"L'agilité industrielle, c'est un vrai défi", selon Emmanuel Picot, PDG d’Evolis, n°1 de l'impression de cartes plastiques

Evolis fait figure de champion français, leader mondial des solutions d’impression de cartes plastiques au format de carte de crédit. La PME de 380 personnes affronte des géants mondiaux comme Datacard, Zebra Technologies ou HID Global. Dès le départ, elle a choisi de fabriquer ses systèmes d’impression en France pour faire de l’agilité sa grande force. Face au risque de dématérialisation de la carte dans certaines applications, elle recherche des relais de développement pour poursuivre sa forte croissance avec l'objectif de franchir la barre des 100 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2020, contre 80 millions d'euros en 2017. Entretien avec son PDG-cofondateur Emmanuel Picot.

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Emmanuel Picot, PDG et cofondateur d'Evolis, en quête de nouvelles opportunités

L'Usine Nouvelle - Vous revendiquez une position de leader mondial dans les imprimantes de cartes plastiques. Comment vous situez-vous sur ce marché ?

Emmanuel Picot - Nous sommes leader mondial des solutions de personnalisation de cartes plastiques au format carte de crédit quelle que soit la technologie : carte à puce avec ou sans contact, carte à piste magnétique ou carte toute simple. Nous fabriquons nos systèmes d’impression dans notre usine à Angers. Nous sommes leader en volume avec un part de marché un peu en dessous de 30%.

Quel est le secret de votre réussite ?

D’abord nous sommes 100% focalisés alors que, chez nos concurrents, l’impression de cartes n’est qu’une activité parmi tant d’autres. Dès le début, nous avons eu une politique de qualité que nous n’avons pas cessé de développer depuis 18 ans. Les clients et utilisateurs de nos produits ont cette image d’une entreprise qui fait de la qualité. Parce que nous sommes dédiés à 100% à cette activité, nous sommes en capacité de ne pas livrer que des produits standards mais de les adapter aussi aux appels d’offre et demandes spécifiques des clients. Cette flexibilité, à la fois technique et industrielle, fait une grande différence. Nous sommes capables de faire des produits spécifiques que nos concurrents aux structures beaucoup plus importantes n’arrivent pas à faire ou ne le font pas aussi bien que nous et pas avec la même réactivité et la même flexibilité. Cette agilité industrielle est l’un de nos atouts et l’un de facteurs différenciant forts. Quand vous cumulez qualité globale, flexibilité, agilité industrielle et technique, et l’aspect dédié à cette industrie, vous avez les facteurs gagnants qui font qu’en quelques années nous sommes devenus leader mondial.

Est-ce que vous voyez à terme des menaces ou des défis ?

Des défis, nous en voyons tous les jours avec les demandes spécifiques. Comme le monde évolue très vite, le défi est de continuer à la fois de grandir et de garder cette même agilité. Plus vous prenez une taille critique, moins vous êtes agile. Pour autant, dans un monde qui bouge très vite, il faut rester agile et s’adapter au marché. Le marché de la carte est excessivement varié en applications. Ces applications même par zones géographiques ne sont pas les mêmes. Les systèmes pour le monde bancaire aux Etats-Unis ne sont pas les mêmes qu'en Amérique du Sud. Ce n’est pas parce que vous êtes en capacité de produire un système spécifique qu’il sera le même dans toutes les zones géographiques. Cette agilité-là est un vrai défi industriel. La menace n’est pas sur le plan de la concurrence. Oui nos concurrents sont gros, oui ils ont plus de moyens, oui nous pouvons être challengés. Ce n’est pas là où je vois le risque et la menace. Au contraire, je trouve cela stimulant d’être challengé. La compétition n’est pas tant une menace mais une opportunité pour nous remettre en question et nous améliorer. Je vois la menace plutôt sur de nouvelles pratiques. Un exemple : le marché des cartes de fidélité sur lequel il y a quelques années nous vendions quelques milliers de machines. Aujourd’hui c’est un marché où nous ne vendons plus de machines, parce que le digital a pris le pas sur la carte. Il a fallu trouver de nouvelles opportunités et de nouveaux marchés pour nos produits pour compenser la perte de ce marché. La menace de demain sera de cette nature. Quelle sera la capacité de notre entreprise à aller chercher les nouvelles opportunités de demain pour compenser les marchés qui n’existeront plus car la carte aura disparu ? C’est cela le défi.

Le marché des cartes bancaires aux Etats-Unis connait un marasme. Est-ce que cela vous affecte ?

Sur les cinq dernières années, nous avons une croissance à deux chiffres. Ceci montre bien notre capacité à aller chercher de nouvelles opportunités pour nos produits. Cela fonctionne pas trop mal. Maintenant, il faut rester dans cette dynamique. Nous avons investi dans une société de logiciels même si nous avons une équipe de développement des logiciels internes de nos machines, les firmware et drivers. Nous avons acheté CardPresso, une société de soft près de Lisbonne qui développe des solutions applicatives. C’est un virage important pour notre entreprise qui doit répondre à cette recherche d’opportunités pour compenser ce qui pourrait demain disparaitre. Nous avons développé des applicatifs dédiés intégrant nos imprimantes pour attaquer des marchés très particuliers. C’est une façon pour nous de nous ouvrir des portes et de nouvelles opportunités.

Quels sont les marchés qui risquent de décliner ou disparaitre demain ?

Notre marché traditionnel est le contrôle d’accès. C’est notre marché historique. Cela continue à fonctionner et à se développer. Ensuite il y a eu des déclinaisons dans le domaine de l’identification, des loisirs, des transports, etc. La banque est venue tardivement. Les premières applications bancaires que nous avons gagnées datent de 2006. C’est une grosse dizaine d’années après notre marché de départ dans le contrôle d’accès. La carte bancaire existait avant 2006. Mais elle n’était pas personnalisée de façon décentralisée avec la possibilité d’éditer des cartes de crédit et débit en agences bancaires en quelques secondes devant le client. Cela a été fait pour la première fois en Corée du Sud en 2008. Le marché s’est développé en Asie, au Moyen-Orient et aujourd’hui aux Etats-Unis. Mais pas en Europe, où le monde bancaire reste sur le modèle de production centralisé.

Et les nouveaux marchés comme les magasins ou la grande distribution, c’est l’avenir ?

Soyons clairs. Ce sont des axes de développement. Nous n’allons pas tout miser dessus. Notre stratégie est de nous dire quelles seraient les solutions que nous pourrions développer pour attaquer des applications verticales. L’une des solutions que nous avons sorties est un système d’étiquetage de produits frais. Elle est venue d’un constat que les normes européennes renforcent l’information sur les origines des produits frais. Le système d’étiquetage traditionnel ne convient pas car il faut changer quasiment au quotidien l’étiquetage. Les solutions que nous proposons permettent une réactivité et une flexibilité à des coûts très attractifs. Nous avons pu au travers des tests et évaluations développer des solutions et des logiciels permettant d’éditer des étiquettes de façon instantanée et à des coûts attractifs. Notre première solution packagée est sortie mi 2017.

Vous en attendez beaucoup ?

Sur ce marché d’étiquetage de produits frais, nous pensons avoir un marché de 40 000 solutions dans le monde sur 5 ans entre 2017 et 2021. C’est assez significatif. En 2017, nous avons vendu un peu plus de 50 000 machines. Ce marché, c’est équivalent quasiment de notre production annuelle actuelle. Il n’existait pas il y a deux ans. Nous sommes copiés, ce qui prouve que nous avons raison. Ensuite nous pensons qu’il y a un potentiel plus important que 40 000 machines. Ceci est juste notre part à nous. Il est possible que nous fassions plus.

Quel impact sur le chiffre d’affaires en attendez-vous ?

C’est un vecteur important de croissance. Les cartes de fidélité ne sont plus faites avec nos machines. Il fallait trouver des relais de croissance. Dans cette stratégie, nous commençons par une solution d’étiquetage de produits frais. Nous sommes en train de travailler sur d’autres solutions pour attaquer d’autres nouveaux marchés. Et toutes ces solutions vont se cumuler les unes aux autres en terme de développement et de chiffre d’affaires. C’est une stratégie globale qui nous permettra de passer de 80 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2017 à 100 millions d’euros en 2020, même si, sur certaines applications traditionnelles de la carte aujourd’hui, nous voyons une décroissance. Ce sont les nouveaux marchés qui vont porter notre croissance.

Les cartes tendent à se dématérialiser au profit d’applis mobiles. Quel impact cela pourrait avoir sur votre activité?

Dans la carte de fidélité, le digital est devenu une réalité sous la forme d’applis mobiles. Ce marché n’existe quasiment plus. Pour autant, il y a d’autres applications où on ne voit pas le digital prendre le relais, notamment les documents gouvernementaux (cartes électeurs, permis de conduire, cartes d’identité…). On ne les voit pas se dématérialiser. Pour le monde bancaire, tout dépend de la stratégie des banques. En 2006, quand nous avons commencé à livrer des machines aux banques, on payait déjà par téléphone portable. Nous avons livré 23 000 systèmes d’impression aux agences bancaires en Corée du Sud entre 2006 et 2008. Les appels de renouvellement sont toujours d’actualité dix ans après. Même si le paiement par téléphone se développe, et c’est une réalité, il y a toujours des cartes émises, car il y a deux phénomènes : la bancarisation de la population mondiale qui va continuer à augmenter dans les années à venir, notamment dans des pays comme le Chine et l’Inde, et le passage des banques de la technologie de carte à piste magnétique à celle de la carte à puce qui offre une sécurité plus importante. Toutes les études montrent que le domaine bancaire de la carte va continuer à croitre pendant les huit prochaines années, même s’il y a un développement du digital dans le paiement. On va voir une cohabitation du digital avec le système traditionnel à carte. Je ne vois pas de menaces précises à court terme. Certains marchés particuliers peuvent décliner. La carte de fidélité en est un exemple probant. Sur les transports, c’est possible qu’on passe au smartphone.

Le numérique pourrait être une menace. Y a-t-il moyen d’en faire une opportunité dans votre métier ?

Nous travaillons sur des technologies RFID. Demain, on peut imaginer que le sans contact puisse se développer sans le support de la carte. Des applications purement dans le digital en rupture avec le marché de l’identification n’est pas pour nous un axe de développement à ce jour.

Les matériels d’impression tendent à devenir des commodités. D’où les difficultés de constructeurs comme Xerox ou Ricoh. Vous ne craignez pas de voir vos matériels se commoditiser par des constructeurs chinois ?

Le spectre de nos applications est très large. Il va des petits clubs de fitness au coin de la rue jusqu’aux gouvernements, de cartes d’étiquetages chez les bouchers ou les boulangers jusqu’aux cartes des banques. Les volumes vont d’une machine à éditer des cartes de club ou les étiquettes chez le boucher jusqu’à des milliers de machines pour éditer les cartes de paiement par une banque. Nous avons un spectre très large à la fois en volume et d’applications. Suivant les pays, les technologies que nous intégrons ne sont pas les mêmes. Les machines que nous livrons au monde bancaire aux Etats-Unis ne sont les mêmes que les machines que nous livrons au monde bancaire en Amérique du Sud. Non seulement nous avons un large panel d’applications, mais même par application nous n’avons pas les mêmes machines selon les zones géographiques. Cela signifie sur les 52 000 machines que nous avons vendues en 2017, nous faisons énormément de petits volumes. C’est la somme de ces petits volumes qui fait les 52 000 machines. Cela nous protège. Un constructeur asiatique raisonne, lui, en volume de masse. Déjà 50 000 machines n’est pas beaucoup. Si vous le découpez par marchés et typologie de clients, vous avez des volumes excessivement faibles. Nous avons plus de 350 références de produits aujourd’hui. En plus, nous avons des contraintes de production qui peuvent être quasiment unitaires. C’est cela notre grande force. Pour quelqu’un qui veut se lancer sur le marché, cela devient très compliqué de pouvoir d’être productif, compétitif et qualitatif. Ce savoir-faire que nous avons développé depuis 18 ans est un peu notre identité, marque de fabrique et domaine de protection. Nous arrivons à faire cela grâce au système français qu’on appelle le système D. Globalement, notre force est d’avoir réussi à industrialiser notre système D, d’être capable d’adapter le produit aux besoins spécifiques du client tout en continuant à livrer des produits standard.

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