"Je suis optimiste, 2014 sera une année de reprise au Maroc", selon Mohamed El Kettani, PDG d'Attijariwafa bank
A l'occasion du colloque économique France-Afrique organisé le 4 décembre à Paris-Bercy par le ministère de l'Economie et Medef international en ouverture du Sommet franco-africain de l'Elysée, L'Usine Nouvelle a rencontré Mohamed El Kettani, PDG d'Attijariwafa Bank, première banque du pays.
Il se montre optimiste sur la reprise de la conjoncture et notamment du BTP, et détaille les projets de sa banque, leader sur le marché marocain et qui connait aussi un fort développement sur le continent africain.
L’Usine Nouvelle : Tout d’abord une question d'actualité, le producteur d’électricité JLEC va entrer en bourse ces prochains jours. Attijariwafa bank est chef de file de l’opération. Celle-ci est-elle un bon signe, selon vous pour la modernisation du secteur financier et la place de Casablanca ?
Mohamed El Kettani. Tout à fait. La bourse de Casablanca a traversé une période difficile depuis quelques années compte-tenu du contexte régional. Nous espérons que l’introduction de Jorf Lasfar Electrical Company, qui pèse près de 50% des besoins électriques du Maroc va tonifier la place financière de Casablanca car le marché manque de papier de qualité et de liquidité. Nous sommes un des trois chefs de file, arrangeurs de l'opération, que ce soit au niveau du conseil ou du placement. C'est une occasion de relancer, avec cette grande entreprise industrielle, la dynamique du marché financier marocain.
VOS INDICES
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Cette opération se fait-elle dans de bonnes conditions ?
Oui. Il s'agit d'une belle entreprise, dans un secteur attractif, l’énergie. Elle est bien gérée, performante, avec un seul client et des contrats long terme auprès de l'Office National de l'Electricité et de l'Eau Potable (ONEE).
"l'industrie doit se moderniser"
Vous dirigez la première banque du Maroc. Vous avez un rôle important à jouer dans la conversion des entreprises à cette modernisation des marchés financiers. À votre avis pourrait-il y avoir davantage d'entreprises marocaines qui peuvent entrer en bourse ?
Oui bien sûr. Notre banque a une responsabilité majeure dans ce domaine comme pour le financement de l’ensemble de l’activité du pays. Attijariwafa bank a l'honneur d'avoir accompagné l'évolution de l'économie marocaine et sa modernisation. C'est la plus ancienne des banques du pays. L'an prochain, nous fêterons nos 110 ans d'existence. Nous avons accompagné la croissance de toutes les entreprises industrielles, commerciales et de services au Maroc. Et nous comptons poursuivre notre engagement.
Quelle est votre modèle de développement au Maroc ?
Parmi les 18 banques du Royaume, nous sommes leaders avec 30% de part de marché. La dynamique et la croissance lors de la dernière décennie du Maroc a permis à Attijariwafa bank d'atteindre cette taille critique. Pourquoi ? Parce que nous avons opté pour le modèle de banque universelle ouvert à tous les segments de clientèle et secteurs d'activité, avec une attention particulière portée aux secteurs à valeur ajoutée comme l'industrie, et au diapason avec les options de développement du pays (contrats-programmes sectoriels, réformes économiques, infrastructures, etc).
Nous avons aussi pour mission d’accompagner l'industrialisation et de saisir les opportunités d’affaires qui s’offrent à nous. Ces opportunités doivent être évaluées de manière rigoureuse pour accompagner des opérations financières viables. C'est de cette façon que nous rendons service à nos clients, à la collectivité et à notre pays.
Un mot de conjoncture, après une croissance 2013 qui sera assez bonne du fait d’une récolte agricole favorable, le gouvernement marocain dans son projet de loi de finances 2014 prévoit un peu plus de 4% de croissance l'an prochain. Cela vous semble-t-il réaliste?
Les prévisions pour 2014 tablent sur 4% à 4,5%. Ce chiffre me semble réaliste, car au travers de ses stratégies sectorielles, le Maroc est proactif pour diversifier ses sources de création de richesses. Notre pays ne peut rester tributaire de la générosité du ciel et donc de l'agriculture même si son poids reste important.
Pourtant au Maroc aujourd'hui, il semble y avoir deux économies. L’une dynamique, portée par les différents plans gouvernementaux, les investissements étrangers, ce qu’illustre par exemple la hausse des exportations aéronautiques et automobiles, et une autre qui connaît des difficultés et a du mal à s'adapter dans la métallurgie ou le bâtiment par exemple. Partagez-vous ce constat ?
Il y a une prise de conscience au premier chef du patronat marocain, la CGEM, que l'industrie doit se moderniser, se mettre à niveau. Dans un même secteur, les entreprises qui ont anticipé, investi et modernisé leur outil de production, ou fait un reengineering s’en tirent bien. Cela se voit dans leurs comptes. Nous le constatons comme banquiers !
Certaines se sont remises en cause pour contrer la compétition internationale car le Maroc a choisi une politique d'ouverture et de liberté d'entreprendre dans l’économie mondialisée. Des entreprises ont donc saisi cette occasion et lancé des programmes de modernisation. Elles sont accompagnées par le secteur bancaire, dont Attijariwafa bank, au premier chef. D'autres, malheureusement, ne se sont pas remises en cause et se trouvent en difficulté. C'est la loi du marché.
C'est-à-dire...
Il est certain que certaines filières traditionnelles comme par exemple les ronds à béton ou les produits plats ont été malmenés durant l'exercice 2012/2013. Le secteur de la sidérurgie, et en particulier la filière très capitalistique de l'acier plat a souffert de l'effondrement des marchés internationaux suite à l'explosion de la bulle financière de 2008. Mais, il y a aujourd'hui une vraie volonté de conforter la position du Maroc à l'export, notamment sur le marché africain, en reprenant la main sur la production.
Vous êtes l'un des principaux créanciers de Maghreb Steel, grande entreprise sidérurgique marocaine aujourd’hui en difficulté, mais dont les dettes ont été rééchelonnées. Dans quelle mesure, cette entreprise est-elle remise sur de bons rails, notamment après le projet du gouvernement d’instaurer des droits antidumping sur l’acier plat d’importation ?
Je ne fais pas de commentaires sur ce dossier.
Au Maroc, on déplore une déprime du BTP depuis plus d’un an. Cette situation n’est-elle pas due à la frilosité des banques ?
Cela n'est pas lié à un défaut de financement des banques. Les crédits qui devaient être débloqués pour la commande publique ont été impactés [par la situation gouvernementale NDLR]. C'est le premier point. Le deuxième est que beaucoup de projets de logements économiques sont arrivés à livraison. Il faut maintenant démarrer de nouveaux chantiers, ce qui prend du temps. Enfin, il y a eu aussi des problématiques liées à certaines procédures administratives, aplanies aujourd'hui.
Comme banquiers, nous constatons une reprise à travers la demande de financement des promoteurs ou celle des crédits acquéreurs sur le logement économique et le logement intermédiaire pour les classes moyennes. Sur le ciment, qui est un bon indicateur, le marché reculait encore à fin juillet-août, mais aujourd'hui il y a une inversion de la courbe.
Un ingénieur pro de la banque
Mohamed El Kettani, 55 ans est depuis novembre 2007, PDG de Attijariwafa, un groupe influent, lié à la famille royale et au carrefour de toute l’activité économique du Maroc. Ingénieur de formation, diplômé de l’ENSTA ParisTech. Il a effectué toute sa carrière dans la banque. Il a débuté la Banque Commerciale du Maroc avant que celle-ci ne fusionne avec Wafa Bank pour devenir Attijarriwafa en 2004. Il est aussi notamment co-président du conseil des chefs d’entreprises France-Maroc. Son prédécesseur Khalid Oudghiri avait quitté le groupe dans des circonstances controversées.
Donc, les banquiers ne sont pas "coupables" ?
En tant que vice-président délégué du Groupement Professionnel des Banques du Maroc, je vous confirme que tous les projets immobiliers solvables qui répondent aux critères de viabilité trouvent un financement. Ceci étant, les banques ont des exigences : un promoteur qui propose un projet sans fonds propres, ou mal conçu, ne trouvera pas d’écho favorable. Les banques marocaines sont devenues rigoureuses dans l'approche et le financement des projets.
"faire du Maroc une plateforme de production"
Le projet de loi de finances 2014 au Maroc est plutôt placé sous le signe de la rigueur, est-ce pour vous un motif d’inquiétude ?
Non. L'investissement public reste à un niveau intéressant et devrait doper la demande intérieure. Dans le domaine des infrastructures, le démarrage de projets de centrales électriques, de parcs éoliens ou solaires mobilisent des investissements importants. À cela s’ajoutent l'extension du réseau autoroutier et le TGV. Je suis optimiste, 2014 sera une année de reprise. De plus, l’intérêt des investisseurs internationaux pour notre pays se confirme : ils veulent faire du Maroc une plateforme de production pour le marché local et, au-delà, pour l'Afrique du nord, l'Afrique centrale et de l'ouest et bien sûr pour l’Europe en tirant profit de notre statut avancé avec l'Union européenne. Suite à la récente visite de sa majesté le Roi aux États-Unis, la zone de libre-échange entre le Maroc et les États-Unis va être aussi revivifiée.
Justement la hausse des échanges avec les États-Unis a été très défavorable au Maroc, cela a creusé le déficit bilatéral…
J'espère que cela va changer suite à cette visite. La délégation économique du Maroc a présenté nos atouts, nos opportunités d'investissement aux opérateurs américains. Ils ont marqué un vif intérêt. Cela a permis aussi à notre banque d'asseoir deux protocoles importants qui vont soutenir notre commerce extérieur et l'investissement des entreprises américaines. Nous avons signé un accord avec l’US EX-IM Bank qui est le bras armé de l'État fédéral pour garantir les investissements américains hors des États-Unis, mais aussi garantir le paiement des exportations et des importations. Cet accord couvre aussi les pays d’Afrique où Attijariwafa bank est installée.
Et le deuxième point ?
Le second protocole d’accord a été conclu avec Citibank et l'OPIC, l’agence qui mobilise les investisseurs privés américains et qui va offrir sa garantie sur les financements que nous allons accorder aux sociétés américaines souhaitant s'installer au Maroc et en Afrique. Citibank devrait aussi nous consentir une ligne pour financer les PME africaines avec la garantie de l'OPIC.
Attijariwafa a aussi conclu cette année des partenariats avec des banques et des agences multilatérales françaises, chinoises, qatarie afin de servir au mieux les clientèles de la banque. Le rôle du Maroc de hub et de plateformes d’affaires pour l’Afrique est donc une réalité qui commence à être reconnue partout dans le monde.
Quel bilan tirez-vous de votre développement en Afrique où vous êtes présents par exemple au Gabon, Sénégal ou au Cameroun ?
C’est une grande réussite ! Nous sommes satisfaits de notre stratégie en Afrique subsaharienne où Attijariwafa bank est installée dans 14 pays. En 5 ans, nous avons acquis 13 banques que nous avons mises au standard du groupe, selon notre modèle de gouvernance. Sur nos 6,5 millions de clients, 3,8 millions (58% NDLR) sont situés au sud du Sahara. Hormis les banques sud-africaines, Attijariwafa bank est à la tête du premier réseau bancaire panafricain avec un réseau de 3 100 agences, Maroc compris. Nous avons dupliqué le modèle de banque universelle qui a réussi au Maroc, en visant aussi bien les ménages, les PME que les grandes entreprises et les grands projets des États dans le cadre de PPP par exemple.
"aucune banque africaine n’est à l’origine de la crise de 2008 !"
Est-il plus facile pour une banque marocaine de se développer en Afrique que pour une grande banque occidentale ?
C’est ce que nos frères et sœurs africaines nous disent ! Certaines institutions malheureusement continuent de placer le Maghreb dans la région MENA alors que nous sommes Africains. Le Maghreb, c’est la porte d’entrée du continent. De plus, entre le Maroc et les pays de l’UEMOA ou d’Afrique centrale existent depuis des siècles de fortes relations commerciales, culturelles et religieuses. Nous sommes bien accueillis et intégrés. Aussi car nous mettons nos paroles en actes.
C’est-à-dire ?
Nous servons tout type de clientèle en ouvrant des agences y compris dans les quartiers populaires ou les souks même s’il y a de grands défis comme l’adressage ou l’éducation financière élémentaire des ménages. Pour une personne modeste, souvent, le simple fait de s’adresser à une banque représente un pas énorme à franchir, tout comme au Maroc d’ailleurs. Il faut briser cette barrière ce qui représente un énorme travail car le taux de bancarisation dans ces pays n’est que de quelques pourcents de la population.
Pour cela, nous nous appuyons aussi sur les technologies numériques à partir de notre savoir-faire au Maroc. Par exemple les plate-formes technologiques d'e-Banking ou même de m-Banking permettent de briser les barrières psychologiques dont je parlais. J’ajoute que sur nos 5 500 salariés en Afrique subsaharienne, nous n’avons que 22 marocains expatriés, cela suppose un lourd effort de formation et une gestion des risques très serrée.
"promotion du concept de co-localisation industriellE"
Justement vos risques restent-ils bien mesurés ?
La perception du risque africain par les Occidentaux doit changer. A ma connaissance, aucune banque africaine n’est à l’origine de la crise de 2008 ! Au Maroc, la crise financière n’a eu aucune conséquence. Personne n’était exposé aux produits dérivés…
Enfin, vous êtes co-président avec Jean-René Fourtou du Club des chefs d’entreprises France-Maroc, les relations sont extrêmement étroites entre nos deux pays, y a-t-il encore des problématiques à soulever ?
Oui bien sûr. Pour cela, ce club est un forum de réflexion. Nous complétons le travail de la Chambre Française de Commerce et d'Industrie du Maroc (CFCIM ) et des deux patronats Medef et CGEM. Voilà deux ans, nous avons lancé une réflexion sur les stratégies sectorielles du Maroc. Nous sommes entrés dans le détail avec des ateliers de travail en analysant chaque filière. Nous avons produit un mémorandum soumis au gouvernement marocain.
Deuxième thématique : la promotion du concept de co-localisation industrielle qui prend aujourd’hui vraiment forme. Troisième point, le sujet de l’accès des investisseurs marocains au marché français. Nous alertons là-encore les gouvernements sur les points à améliorer, même si dans l’ensemble cela se passe bien. Je prends l’exemple d’Attijariwafa bank. Nous avons choisi la France comme hub européen. C’est une passerelle où nous disposons d’une licence bancaire couvrant 6 pays en Europe. Nous accompagnons la diaspora marocaine et aussi africaine, les investisseurs marocains et finançons le « trade finance ». En France, nous avons créé 200 emplois et déployé un réseau de 30 agences que nous voulons continuer d’étendre.
Propos recueillis par Pierre-Olivier Rouaud
Attijariwafa est la première banque du Maroc et couvre tous les métiers bancaires, et est présente aussi dans l’assurance. Son total de bilan s’élevait au 30 juin à 384 milliards de dirhams (34 milliards d’euros). En 2012, son produit net bancaire s’est chiffré à 17,04 milliards de dirhams (+7,3%).
Détenue à 47,77% par SNI, le holding de la famille royale du Maroc, elle est aussi cotée sur la bourse de Casablanca où elle est la deuxième capitalisation derrière Maroc Telecom, à environ 5,5 milliards d’euros.
Le groupe emploie plus de 15 500 salariés, compte 2 424 agences au Maroc, 190 agences au Maghreb, 56 points de vente en Europe et au Moyen-Orient et 286 agences en Afrique de l’Ouest. Au premier semestre, Attijariwafa Bank a publié une activité en hausse de 4,7% mais un résultat net part du groupe en recul de 4,8% à 2,2 milliards de dirhams (195 millions d’euros) en raison notamment de la hausse de créances douteuses.
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