[Industry Story] Hors norme – Boris Vian, l’ingénieur poète
"Je vous souhaite la bienvenue dans cette vénérable maison qu’est l’Association française de normalisation. Vous serez à l’essai trois mois durant au service de la verrerie contre un salaire, confortable disons-le, de 4 000 francs mensuels." C’est sur ce ton paternaliste qu’Ernest Lhoste accueille le jeune Boris Vian à Paris, rue Notre-Dame-des-Victoires a l’été 1942.
À ceux qui se sont étonné que le jeune homme suive des études d’ingénieur plutôt qu’un cursus artistique, Boris a toujours répondu que l’art ne s’enseigne pas. "J’aurai toujours un métier pour vivre." Il met donc en pratique les leçons du paternel dans le royaume de la mécanique et de la chimie qu’est l’école Centrale. Marié et père d’un petit garçon, l’apprenti poète poursuit une vie joyeuse faite de musique et de surprises-parties. Le jour, l’ingénieur se contraint à l’étude des dimensions des bouteilles de verre et de leur goulot. Mais très vite, l’élaboration de nouvelles normes l’ennuie. Au point d’imaginer des règles incongrues comme une "Gamme d’injures normalisées pour Français moyen", qu’il classe selon les corps de métiers qui le rebutent : militaire, ecclésiastique... Il sait que le temps lui est compté. Écrire, sortir, Vian profite. Dans les caves, le zouave jazze, trompette, orchestre, swing, dancing, Vian joue. Poésie, Paris, théâtre, Sartre, Vian écrit. Saint-Germain, copains, Le Procope, hop hop hop, Vian se presse. Il dit qu’il ne dépassera pas les 40 ans, son cœur fatigue. Alors le voilà déserteur. Au bureau, il s’échappe dans la rédaction de son premier grand roman "L’Écume des jours" au dos des imprimés de l’entreprise. En février 1946, Lhoste, le "sinistre emmerdeur", le licencie. À moins que Boris ne démissionne. Son copain Claude Léon le fait embaucher à L’Office du papier où il doit surveiller le bon respect des règles techniques. Encore des protocoles. Il y achève son roman et écrit le suivant.
Viendront les succès, les chansons, les pseudonymes, les amours, les déconvenues. Jusqu’au 23 juin 1959 où le Bison Ravi succombe à une crise cardiaque durant la projection de "J’irai cracher sur vos tombes". À 39 ans. À 10h10. L’heure à laquelle les montres sont arrêtées pour que l’on puisse lire correctement la marque. Une norme internationale.
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