"Il faudrait aussi un pôle numérique dans chaque ministère"
C'est là le souhait exprimé par Patrick Bertrand, le président du Conseil national du numérique (CNN) et DG de l'éditeur français Cegid. Dans un entretien accordée à L'Usine Nouvelle, il revient sur l'organisation du nouveau gouvernement et précise le rôle que le numérique peut jouer dans la croissance.
Comment accueillez-vous l'annonce d'un ministère des PME, de l'Innovation et de l'Économie numérique ?
Patrick Bertrand - C'est très important. On pouvait craindre qu'il n'y en ait pas du tout. Mais, qui plus est, la liaison entre les trois aspects (NDLR : PME, innovation et numérique) est vraiment cohérente. Elle permettra d'avancer sur tous les sujets que le CNNum et les différentes organisations professionnelles du numérique ont pu porter jusqu'ici.
L'annonce de ce ministère s'inscrit dans l'orientation qu'avait prise le président de la République lors de sa campagne sur "jeunesse, emploi et croissance." Le numérique peut dynamiser la croissance. Les pays qui ont le plus investi dans le numérique ont eu les taux de croissance les plus importants. Le numérique a contribué de 25 à 45 % à la croissance de leur PIB. Notre conviction est que la croissance sera numérique, ou ne sera pas.
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La grande majorité des emplois créés le sont par les PME. Elles sont aussi à l'origine d'une bonne partie de l'innovation. Quant au numérique, c'est une tendance de fond de la société. Il revêt des aspects économiques, mais aussi sociétaux, d'accès à la culture à l'éducation, de protection de la vie privée, etc. Il peut répondre à plusieurs enjeux de société. À ceux de l'éducation pour commencer.
Vincent Peillon, aujourd'hui ministre de L'Éducation nationale, avait repris dans ses interventions lors de la campagne l'idée d'améliorer l'efficacité de l'enseignement et de l'intégration des jeunes grâce au numérique. Notre jeunesse a parfois plus d'appétence pour les outils du numérique que pour les matières classiques et un niveau incroyable dans le domaine. La santé et la dépendance ainsi que le développement durable, sont d'autres domaines qui en bénéficieront. Regrouper PME, innovation et numérique dans le même ministère permettra de participer à cette dynamique globale.
Quel est votre point de vue sur Fleur Pellerin, choisie pour diriger ce ministère, que l'on connaissait peu sur les sujets du numérique avant la campagne ?
Nous avons eu de nombreux contacts avec Fleur Pellerin pendant la campagne, et face à l'ensemble des organisations professionnelles et des industriels qu'elle a rencontrés, elle a montré qu'elle connaissait très bien ces sujets. Et surtout, qu'elle avait envie de s'en occuper. C'est extrêmement important. Le bureau du CNN va, bien sûr, solliciter une rencontre avec elle et son cabinet dès la semaine prochaine.
Mais au-delà de la dynamique que la ministre apportera, eu égard à l'aspect transversal du numérique, il faudrait aussi un pôle numérique puissant et structurant dans chaque ministère et leurs administrations.
Y a-t-il des mesures que vous appelez de vos vœux ?
Nous ne demandons pas forcément de nouvelles mesures. C'est d'ailleurs antinomique avec la logique d'entrepreneur qui aspire surtout à la stabilité des mesures existantes. Nous voulons plutôt introduire davantage d'efficacité à partir des dispositifs existants. Pour doper l'emploi et la croissance, il y a trois dynamiques possibles.
Pour commencer, il faut mieux organiser la chaîne de financement des PME et TPE. Faire en sorte que le capital-risque soit pérennisé et continue de se développer. Favoriser aussi l'investissement des personnes physiques dans les start-up et ce que l'on appelle le "corporate venture", ces fonds d'aide à l'innovation créés par de très grandes entreprises.
Le CNN travaillera sur des propositions de simplification du chemin que les petites entreprises doivent prendre pour accéder à ces aides et financements. Il existe beaucoup de choses, la priorité n'est pas forcément d'en rajouter. Il faut juste mieux mettre en musique ce qui existe.
Ensuite, la stabilité, la sanctuarisation, des dispositifs fiscaux qui favorisent l'investissement et l'innovation est indispensable. Il ne faut pas les bouleverser en permanence comme cela a été le cas avec le statut de JEI (Jeune entreprise innovante).
Enfin, il faut absolument accélérer le processus sur les filières d'éducation. Et mettre mieux en évidence la nature des emplois dont a besoin le numérique, pour que le monde de l'enseignement s'en imprègne, que les filières soient plus denses, et se trouvent avec des profils de sortie d'école en cohérence avec les besoins des entreprises. Et ce, en y incluant la formation continue et professionnelle.
Notre conviction, c'est aussi que la réindustrialisation passera par le numérique. Et pas uniquement dans une optique de compétitivité par les coûts mais aussi de compétitivité par l'offre : le numérique au service de la qualité du produit, la co-innovation, les services rendus autour du produit – service après-vente, logistique, support, etc.
Y a-t-il néanmoins des idées que vous souhaiteriez voir développer en particulier ?
Nous aimerions comprendre comment le projet de la banque de l'industrie, par exemple, sera mis en œuvre. Par ailleurs, Alain Rousset avait évoqué des orientations vers le développement des régions. Toujours dans la logique de mieux baliser les chemins pour les petites entreprises, la régionalisation des dispositifs de financement pour les TPE et PME, publics mais aussi privés au travers de fonds en région serait une bonne idée. Avec une logique de fonds régionaux de capital risque, qui se créent déjà par endroits. Il faut développer une logique de proximité et de "bottom-up". C'est de l'initiative entrepreneuriale que viendra une partie de la croissance.
Avez-vous évoqué la pérennité du CNN avec Fleur Pellerin ?
Au cours de la campagne, Fleur Pellerin a clairement exprimé l'intérêt que pouvait avoir un gouvernement à disposer d'un comité d'experts sur ces sujets. Il faut rappeler que le CNN n'est pas une instance qui peut "réglementer", mais une force de propositions et un agitateur d'idées. Et cela a du sens parce que beaucoup d'acteurs du numérique font des propositions très pertinentes et qu'il est sans doute difficile pour un gouvernement d'en faire la synthèse. Nous nous positionnons comme un comité d'experts capable de recueillir le plus grand dénominateur commun de cet ensemble d'idées. La feuille de route du CNN s'oriente autour des thèmes suivants : start-up, innovation, compétitivité et libertés, qui seront portés par chacun des quatre vice-présidents.
Vous comptez aussi organiser un colloque des acteurs du numérique au début de l'été ?
Oui, avant que ne s'ouvrent les grands débats. Le gouvernement et le Parlement vont très vite beaucoup discuter d'un programme pour relancer la croissance et l'emploi. Des décisions seront sans doute prises dès juillet. Or, le numérique a de vraies propositions et un rôle à jouer. Nous devons lister les principaux constats que nous avons faits ensemble sur le numérique et l'innovation, et les propositions qui peuvent en découler. Elles serviront de socle à tout le monde, y compris au gouvernement pour l'accompagner dans sa politique économique et industrielle.
"Nous", dans ce cadre, c'est bien sûr le CNN, et les organisations professionnelles, les organisations syndicales, etc. Nous allons contacter Guy Mamou-Mani (Syntec numérique) et le collectif du numérique, des pôles de compétence comme Cap Digital, le comité Richelieu, etc. pour l'organisation de cette réunion sur l'économie numérique et l'innovation. Nous devons nous inscrire dans la concertation et la cohérence avec les acteurs qui ont fait des propositions.
Pour terminer, un mot sur l'introduction en bourse de Facebook ?
Mon commentaire personnel est que la réussite de Facebook montre que l'on peut très rapidement lancer de nouveaux modèles dans le numérique. Créer de la valeur, des emplois, une dynamique, un écosystème… Beaucoup de start-ups, y compris en France, développent sur la plateforme Facebook. Par nature, le numérique crée des opportunités, modifie les modèles… En très peu de temps, sur un principe qui n'existait pas il y a dix ans, ils ont créé Facebook. Et c'est aussi, bien sûr, un phénomène de société !
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