Façonnage : Vers une concentration ?

Après une phase de croissance externe des entreprises, le marché du façonnage en France pourrait entrer dans une phase de rapprochements des acteurs. Si beaucoup le prévoient, peu semblent se sentir concernés !

Partager

« Il y a trop d'usines en Europe. Nous devrions assister à des optimisations et des transferts de production. Ce pourrait être le prélude à un mouvement de concentration et sans doute de rationalisation sur le marché du façonnage », estime Eric Goupil, p-dg d'Unither. Il cite les mouvements sur le marché allemand du façonnage : « Depuis le début de l'année 2013, Aenova a acquis plusieurs sociétés, notamment Temmler et Haupt Pharma ». Au niveau international, le mois de novembre 2013 a été l'occasion d'un rapprochement d'ampleur entre DSM Pharmaceutical Products, filiale de Royal DSM dédiée à la production pharmaceutique à façon, et le façonnier canadien Patheon. Cette fusion devrait permettre la naissance début 2014 d'un groupe aux 2 milliards de dollars de chiffre d'affaires, 8 300 employés et 23 implantations. Le mouvement des rapprochements entre acteurs du façonnage est donc entamé à l'international. La France ne devrait pas y échapper. Un constat fait également par Patrick Barillot, associate director business development de Recipharm. « Dans les 10 ans à venir, nous allons assister à des rapprochements, des rachats et malheureusement à des disparitions. Nous en avons déjà vu et cela va continuer, avec pour conséquence une réduction du nombre de CMO sur le marché. Ceux dont la structure financière n'est pas suffisante vont probablement disparaître. Ne resteront que les CMO les plus importants ainsi que certaines petites usines très bien gérées et ciblées sur des produits de niche », prévoit-il. Si le marché du façonnage entrerait ainsi dans une nouvelle phase de structuration après un développement par croissance organique via l'achat de sites de laboratoires pharmaceutiques, les objectifs de tels rapprochements s'inscriraient dans la même dynamique que celle déjà adoptée par les acteurs du marché français. Ces rachats ou fusions pourraient venir compléter les rachats d'usines des laboratoires pharmaceutiques afin d'accroître le portefeuille de technologies, de se développer d'un point de vue géographique, d'optimiser les coûts, mais aussi d'atteindre une taille critique vis-à-vis des laboratoires pharmaceutiques.

Des complémentarités technologiques

« Pour les CMO, il y a une masse critique à atteindre. Pour qu'il y ait des rapprochements, il faut que cela ait du sens. Ce n'est pas un problème de nationalité mais de complémentarité des opérations et d'efficacité », constate Philippe Mougin, p-dg de Cenexi. Le dirigeant affirme ainsi sa stratégie de diversification de son portefeuille. Elle est passée pour le moment essentiellement par des acquisitions de sites de laboratoires pharmaceutiques. La société, créée en 2008 avec la reprise du site de Roche de Fontenay-sous-Bois (Val de Marne), a étoffé son portefeuille de technologies avec les reprises de Thissen en Belgique et d'Osny Pharma dans le Val-d'Oise, respectivement en 2012 et 2011. Avec ces deux sites de laboratoires pharmaceutiques, le dirigeant s'est doté de capacités pour les produits hormonaux, les produits « high potent », les formes stériles, les anti-cancéreux sous forme lyophilisée, les flacons liquides, etc. Aujourd'hui, Philippe Mougin détaille la stratégie de Cenexi qui consiste « à continuer de monter en puissance avec les sites actuels, mais aussi à poursuivre notre stratégie d'acquisition de nouvelles technologies à travers les opportunités », sans préciser s'il s'agira de sites de laboratoires pharmaceutiques ou de CMO.

La complémentarité et la spécialisation du portefeuille représentent un facteur important de différenciation chez les façonniers. « Nous déployons une stratégie d'élargissement de notre portefeuille. Nous produisons des génériques qui sont les volumes incontournables d'aujourd'hui et de demain. Cependant, nous ne souhaitons pas être uniquement sur ce marché très réglementé dont les marges sont incertaines. Nous avons également des produits princeps dont les volumes annuels sont plus stables, même si nous avons conscience qu'ils sont matures et que les volumes diminuent. Nous misons aussi sur le marché de l'OTC, marché dont nous espérons une croissance de 4 à 5 % par an. Ce sont les médicaments de demain pour les petites pathologies. Nous explorons de plus en plus la dermocosmétique. Nous essayons d'avoir un équilibre de notre portefeuille entre ces différents domaines. Enfin, nous restons en veille pour tout ce qui concerne les biotechnologies », détaille Xavier Monjanel, p-dg des Laboratoires Chemineau. De même, chez Recipharm, Patrick Barillot considère « la capacité du groupe à proposer une grande partie des formes galéniques du marché et une offre de services complète », comme faisant partie des voies stratégiques adoptées par le groupe suédois.

Un développement international

Cette diversification ne concerne pas seulement le portefeuille de technologies, elle se fait également géographique. Les façonniers allant de plus en plus à l'international. « Nous constatons un ralentissement dans la reprise d'usines pharmaceutiques par les façonniers. Ils sont dans une logique d'aller chercher des molécules qu'ils savent produire. Ils ont repris des sites avec des molécules en déclin. Le relais de croissance est de saturer leurs équipements actuels avec des donneurs d'ordre européen et progressivement de s'ouvrir à l'international. Les prochaines acquisitions pourraient se faire aux États-Unis et au Brésil », analyse Patrick Biecheler, partenaire, responsable du Centre de compétences France et du pilotage de l'activité au niveau européen du cabinet Roland Berger. Il cite le récent rachat par Unither d'une usine d'UCB à Rochester aux États-Unis. Avec cette opération réalisée à l'été 2013, le façonnier spécialisé dans les formes unitaires devrait porter son chiffre d'affaires à plus de 200 M€ en 2014 (contre 180 M€ attendus en 2013) et compter 1 070 employés dont la grande majorité au sein de ses quatre usines françaises ainsi que 260 aux États-Unis et un au Brésil. « Avec cette acquisition, nous avons accès à des technologies que nous n'avions pas encore. Et nous allons y implanter nos produits pour servir le marché nord-américain. Nous considérons que l'on ne sert pas bien un continent à partir d'un autre », souligne Eric Goupil (Unither). Une stratégie adoptée également par Fareva. Issu de la société FCA créée en 1985, le façonnier qui fêtera ses 10 ans en 2014 est aujourd'hui implanté en Europe, en Russie, en Turquie, aux États-Unis et au Brésil. De leur côté, les Laboratoires Chemineau affichent une stratégie de développement à l'international. « Aujourd'hui, 15 % de notre chiffre d'affaires (ndlr, 60 M€) sont réalisés en direct à l'export, mais ce chiffre de l'export monte à 30 % quand nous prenons en compte l'export par nos clients. Notre objectif est d'atteindre 50 % dans les deux ans à venir pour être moins dépendants du marché français dont la visibilité a beaucoup baissé ces derniers temps. Nous visons les marchés en croissance tels que le Brésil, le Proche-Orient et d'autres et mettons actuellement en place les moyens pour y parvenir », détaille Xavier Monjanel (Laboratoires Chemineau).

Des optimisations de coûts

Outre les développements de portefeuille et géographique, les rapprochements de façonniers pourraient permettre une optimisation des coûts, notamment liés au réglementaire et à l'assurance qualité. « La concentration des acteurs est aussi poussée par les exigences règlementaires et celles de plus en plus fortes des clients en termes de qualité », souligne Éric Goupil (Unither). Une tendance constatée également par Xavier Monjanel (Laboratoires Chemineau) : « Il devient de plus en plus difficile de rester un petit façonnier face à l'augmentation des coûts réglementaires et d'assurance qualité. Il faut une certaine surface de chiffre d'affaires pour les finance et c'est là qu'intervient alors la notion de taille critique économique ». Cette augmentation des exigences réglementaires et sur la qualité est ressentie également par Philippe Mougin (Cenexi). Le dirigeant a déjà mis en place une stratégie afin de répondre à cette tendance. « Les laboratoires pharmaceutiques demandent de plus en plus un service complet pour un produit qui soit dans les spécificités de l'AMM, livré à temps et avec un accompagnement réglementaire comme les stabilités commerciales, etc. Ils veulent des CMO capables de suivre la vie du produit. Aujourd'hui, nous intervenons par exemple dans le cas de problèmes d'approvisionnement de principes actifs afin de faire une recherche de principe actif, réaliser les lots d'essais, les stabilités, les lots d'enregistrement, etc. », indique le dirigeant de Cenexi qui s'est doté d'une filiale Cenexi Services. Le façonnier Recipharm s'est également structuré pour répondre à la demande. « Nous ne sommes pas qu'un simple CMO, nous sommes un CDMO, c'est-à-dire que nous proposons du développement et de la fabrication. Nous avons des capacités pour travailler de la pré-formulation jusqu'au scale-up industriel. De plus, notre structure de développement nous permet de sécuriser les produits de nos clients en les travaillant au sein du groupe, en fonction des demandes des autorités ou parfois même du marketing. Nous pouvons ainsi gérer la totalité du cycle de vie des produits », indique Patrick Barillot (Recipharm). L'optimisation des coûts constitue également un atout indispensable « Nous nous appuyons sur nos dix sites européens, dont deux en France, en mutualisant nos achats pour les API, les excipients et les éléments de conditionnement à chaque fois que cela est possible », souligne Patrick Barillot (Recipharm).

Le développement des portefeuilles de technologies, une présence géographique étendue, la nécessité d'optimiser les coûts réglementaires et d'assurance qualité devraient ainsi diriger le secteur vers une concentration des acteurs. Une tendance qui permettrait de répondre à la rationalisation du nombre de sous-traitants dans l'industrie pharmaceutique. « A moins de posséder une technologie révolutionnaire, les petits façonniers échappent de plus en plus aux radars des grands donneurs d'ordre qui veulent réduire leur nombre de sous-traitants. Là encore, la notion de taille critique prend de plus en plus d'importance. Il y aura certainement des regroupements entre façonniers afin de leur permettre de passer la barre psychologique des 100 M€ de chiffre d'affaires », prédit Xavier Monjanel (Laboratoires Chemineau). Un constat fait également par Patrick Barillot (Recipharm). « La majorité des entreprises pharmaceutiques cherchent elles aussi à rationnaliser leurs achats et tendent donc à diminuer le nombre de leurs sous-traitants. Nous devons être ainsi capables de leur proposer la gestion de parties importantes de leurs gammes. Aujourd'hui, lorsqu'un laboratoire fait appel à nous, nous pouvons lui proposer la plus grande partie des formes technologiques du marché (comprimés, gélules, lyophilisats, semi-solides, gels, aérosols, stériles injectables en flacons, cartouches ou ampoules, patchs, béta-lactams... ) ». Il ajoute : « Si nous voulons être présents dans les prochaines années et pouvoir attirer les clients dans nos usines, notre bonne santé économique sera aussi un critère déterminant. Ce critère va entraîner un égrainage des entreprises sur notre marché. Une solide constitution financière est rassurante pour nos investisseurs mais aussi pour les donneurs d'ordre car c'est elle qui détermine la pérennité de l'entreprise et de la fabrication de leurs produits. De même, notre capacité à investir dans nos sites de production pour leur maintenance et l'évolution des technologies renforce la confiance du marché à notre égard. » Les façonniers se préparent donc à un mouvement de rationalisation du marché français. Reste à savoir comment ce mouvement va se traduire et quels seront les premiers à l'initier...

Un changement de relation avec les laboratoires pharmaceutiques Eric Goupil, p-dg d'Unither

« Au début des années 2000, le façonnier allait renégocier les prix avec le laboratoire pharmaceutique une fois par an, pour expliquer l'augmentation. Dix ans plus tard, ce sont les clients qui viennent renégocier les prix. A la baisse cette fois. Nous devons donc gagner au moins l'équivalent de l'inflation chaque année. Il est plus facile de gagner en compétitivité quand on est en croissance. Nous sommes spécialisés sur des formes galéniques qui connaissent de la croissance. Nous avons de plus mis en place des techniques d'optimisation continue comme le lean. »

Se distinguer par sa politique environnementale Patrick Barillot, associate director business development de Recipharm

« En tant que groupe suédois, nous sommes très attentifs aux problématiques environnementales. Tous nos sites sont certifiés ISO 14 001 et beaucoup sont également OHSAS 18 001. C'est une ligne imposée par notre maison-mère, mais c'est également une culture d'entreprise qui se traduit aussi par des initiatives individuelles, et pas seulement en production. A titre d'exemple, dans un certain nombre de nos usines, nous utilisons du papier recyclé dans les photocopieuses. Cet aspect fait partie de notre stratégie, et nous sommes convaincus que ce respect environnemental deviendra rapidement un des critères majeurs de sélection des CDMO pour les donneurs d'ordre, voire un pré-requis lors des premières sélections. »

Se mettre en mouvement pour aller chercher les marchés là où ils sont Xavier Monjanel, p-dg des Laboratoires Chemineau

« Le façonnage devient de plus en plus compétitif en France. C'est le résultat de la cession d'usines par des grands groupes à des façonniers et le fait que ces usines arrivent en fin de contrat avec les cédants d'origine. Les acquéreurs cherchent de nouveaux volumes afin d'équilibrer leurs charges de fonctionnement. Par ailleurs, notre industrie est soumise à une pression réglementaire de plus en plus forte, avec les coûts que cela induit et qu'il est de plus en plus difficile de répercuter au client. Enfin, les déficits récurrents de la sécurité sociale incitent les politiques à voter des baisses de prix et des déremboursements dont les conséquences immédiates sont une baisse de marge brute et de volumes chez les sous-traitants. Dans ce paysage morose, chaque façonnier doit adapter sa stratégie, s'il veut rester dans la course dans les années à venir. Cela passera, entre autres, par l'innovation, la capacité à renforcer sa compétitivité, à améliorer sa supply chain et son niveau de qualité. Et à se mettre en mouvement pour aller chercher les marchés en croissance là où ils sont, et se désengager progressivement des marchés en récession.»

Être le prolongement des laboratoires pharmaceutiques Philippe Mougin, p-dg de Cenexi

« Aujourd'hui, les big pharma sont très présentes dans notre activité. Nous menons des conférences téléphoniques toutes les semaines entre nos donneurs d'ordre et nos équipes logistiques. Nous sommes un peu le prolongement de leurs sites de production. Et certains ne veulent plus avoir de sites. Il faut mettre en place de nouvelles relations, notamment pour la gestion des stocks, des produits, des aspects réglementaires, etc. Et parfois mener des investissements communs. Pour d'autres sociétés pharmaceutiques plus petites, nous devons proposer un service complet. Ils se reposent plus sur nous. Nous devons nous adapter pour être capables de dialoguer en vrai partenaire. »

Sujets associés

NEWSLETTER Santé

Nos journalistes sélectionnent pour vous les articles essentiels de votre secteur.

Votre demande d’inscription a bien été prise en compte.

Votre email est traité par notre titre de presse qui selon le titre appartient, à une des sociétés suivantes...

Votre email est traité par notre titre de presse qui selon le titre appartient, à une des sociétés suivantes du : Groupe Moniteur Nanterre B 403 080 823, IPD Nanterre 490 727 633, Groupe Industrie Service Info (GISI) Nanterre 442 233 417. Cette société ou toutes sociétés du Groupe Infopro Digital pourront l'utiliser afin de vous proposer pour leur compte ou celui de leurs clients, des produits et/ou services utiles à vos activités professionnelles. Pour exercer vos droits, vous y opposer ou pour en savoir plus : Charte des données personnelles.

LES ÉVÉNEMENTS L'USINE NOUVELLE

Tous les événements

LES PODCASTS

Poundbury, cité idéale à la mode Charles III

Poundbury, cité idéale à la mode Charles III

S’il n’est pas encore roi, le prince Charles semble avoir un coup d’avance sur l’environnement. Au point d’imaginer une ville nouvelle zéro carbone.

Écouter cet épisode

A Grasse, un parfum de renouveau

A Grasse, un parfum de renouveau

Dans ce nouvel épisode de La Fabrique, Anne Sophie Bellaiche nous dévoile les coulisses de son reportage dans le berceau français du parfum : Grasse. Elle nous fait découvrir un écosystème résilient, composé essentiellement...

Écouter cet épisode

Les recettes de l'horlogerie suisse

Les recettes de l'horlogerie suisse

Dans ce nouvel épisode de La Fabrique, notre journaliste Gautier Virol nous dévoile les coulisses de son reportage dans le jura suisse au coeur de l'industrie des montres de luxe.

Écouter cet épisode

Le rôle des jeux vidéo dans nos sociétés

Le rôle des jeux vidéo dans nos sociétés

Martin Buthaud est docteur en philosophie à l'Université de Rouen. Il fait partie des rares chercheurs français à se questionner sur le rôle du jeu vidéo dans nos sociétés.

Écouter cet épisode

Tous les podcasts

LES SERVICES DE L'USINE NOUVELLE

Trouvez les entreprises industrielles qui recrutent des talents

ORANO

Ingénieur Cyber sécurité réseaux industriels F/H

ORANO - 11/03/2023 - CDI - La Hague

+ 550 offres d’emploi

Tout voir
Proposé par

Accédez à tous les appels d’offres et détectez vos opportunités d’affaires

13 - GIE PACA CORSE

Entretien ménager des parties communes, l'élimination des rejets et l'enlèvement des ordures ménagères

DATE DE REPONSE 21/04/2023

+ de 10.000 avis par jour

Tout voir
Proposé par

ARTICLES LES PLUS LUS