« Fabriquer des masques non-durables pour la population n’a aucun sens ! », clame Capucine Mercier, PDG de PliM

Industrie & Technologies suit l’aventure de la fabrication de masques de protection contre le Covid-19 par des ateliers de confection à travers le cas de PliM, fabricant de produits hygiéniques éco-responsables situé dans les Deux-Sèvres. Si Capucine Mercier, la PDG de cette PME qui a lancé la fabrication de six de ces masques à usage non-sanitaire, félicite l’Etat pour avoir su organiser cette production dispersée, elle regrette le flou persistant sur la durabilité des masques certifiés.

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I&T : Près de trois semaines après notre premier échange, la Direction générale de l’armement (DGA) a-t-elle validé certains de vos prototypes ?

Capucine Mercier : Tout à fait ! Nous avions envoyé environ 70 prototypes d'assemblages à la DGA et nous venons de recevoir une partie des retours, parmi lesquels cinq assemblages ont été validés comme masque à usage non-sanitaire 1 (UNS 1) et un comme masque à usage non-sanitaire 2 (UNS 2).

Avant, on n'avait que les masques médicaux FFP1 et les FFP2. Au vu de la demande liée à la pandémie, l’Etat a décidé de créer de nouveaux « masques barrières » anti-projection de gouttelettes, qui permettent de réserver les masques certifiés FFP1 et FFP2 pour le milieu médical. L’Etat est donc parti de la norme Afnor NF EN 14 683, celle des masques chirurgicaux (FFP1), et a abaissé ses critères, trop stricts pour permettre la production de masques plus basiques. Il fallait ensuite certifier les usages pour chacun des masques. Le gouvernement a donc créé ces deux nouvelles catégories : le masque de catégorie 1 (UNS 1) est un masque barrière pour les gens en contact avec le public (serveurs et serveuses, caissiers et caissières...) et le masque de catégorie 2 (UNS 2) est plutôt destiné aux entreprises, avec peu de contacts avec la clientèle. Ces deux nouvelles catégories ont été officialisées par une note interministérielle du 29 mars 2020.

Quelle différence entre les masques UNS 1 et UNS 2 ?

La note d’information interministérielle du 29 mars définit deux catégories de masques à Usage Non Sanitaire (UNS), comme suit :

  • Catégorie 1 « UNS 1 » : Masque individuel à usage des professionnels en contact avec le public. Ce masque est destiné aux personnels affectés à des postes ou missions comportant un contact régulier avec le public. (Filtration > 90% pour 3 microns, Respirabilité > 96%)
  • Catégorie 2 « UNS 2 » : Masque à visée collective pour protéger l’ensemble d’un groupe portant ces masques. (Filtration > 70% pour 3 microns, Respirabilité > 96%)

« Seuls la Direction générale de l'armement (DGA), l'Institut français du textile et de l'habillement (IFTH) ou l'organisme de certification APAVE permettent de catégoriser la qualité des masques selon leurs usages par l'évaluation de la filtration des particules de plus de 3 microns et la perméabilité à l'air, c'est-à-dire la respirabilité, indique Capucine Mercie, PDG de PliM. Pour passer commande de masques FFP1, FFP2 ou FFP3, l'Etat a mis en place un autre site, StopCovid19.fr. »

Avez-vous lancé la production ?

Oui ! En plus des ateliers de PliM, nous avons aujourd’hui lancé la production dans l'atelier d’un de nos sous-traitants qui avait eu les retours sur ses assemblages. Un autre atelier, qui a commencé plus tard car il était fermé, se lancera rapidement. Nous montons en puissance : nous avons constitué un groupement de couturières et nous discutons avec trois autres entreprises pour élaborer avec elles la confection et la réception des tissus.

Depuis, une dizaine d'autres ateliers demandent à ce qu'on les coordonne. La R&D et le travail commercial sont monstrueux et ils ne sont pas tous équipés en conséquence. Nous allons certainement les mettre dans la boucle mais nous attendons d'avoir toutes les évaluations pour fournir le tissu à tout le monde. Aujourd'hui, nous avons un rythme de 1 500 masques par jour et par atelier. Courant avril, nous atteindrons les 20 000 par semaine.

Quelles sont les différences entre vos six modèles ?

A ce jour, nous pouvons non seulement proposer les deux catégories de masques à usage non sanitaire, mais aussi des variantes de masques UNS 1. Mais le masque UNS 2 se destine à une part plus importante de la population et représentera le plus gros des volumes de commandes. Nous travaillons avec des membranes en coton bio.

Pour les masques UNS 1, nous travaillons avec une formation en sandwich, c'est-à-dire avec un filtre pris en sandwich entre deux membranes en coton bio. Nous avons mis des matières différentes en fonction des usages qu'on trouvait intéressants pour les clients - des plus filtrants, des plus respirants, des plus toniques, des plus souples.

Aujourd'hui, nous proposons des masques avec des élastiques derrière les oreilles mais nous travaillons aussi sur d'autres systèmes d'accroche : des élastiques derrière le crâne et des lanières. L'accroche dépend de l'usage et du besoin de confort de la personne. Or, l'objectif du masque est qu'il soit porté : s'il fait mal ou qu'il dérange ou si on n'est pas bien avec, il ne servira à rien. J'insiste par ailleurs sur un point : le masque ne sert absolument à rien si les gens ne respectent pas les consignes des gestes barrières, les consignes d'usage - comment on met et comment on enlève un masque - et enfin celles de lavage. Ce dernier point est crucial ! Beaucoup font n'importe quoi avec les masques et cela peut être contre-productif...

« La demande est de 18 millions de masques et nous sommes capables d'en produire 889 000 par jour... »

C’est l’autre différence entre les masques médicaux et les UNS 1 et 2 : ces derniers sont durables…

Concernant les nôtres oui. Nous ne travaillons qu'avec du textile, donc lavable et durable. C'est-à-dire qu'une fois qu'on a un masque, il peut durer x années - il en faudra certes quelques-uns pour les laver et les sécher à tour de rôle - et la limite du masque ne vient pas du masque en tant que tel mais des élastiques qui auront plus de mal à résister à des températures de 60°C au lavage. Mais ils se changent.

Ce sont des produits qui permettent de répondre de façon durable à la pénurie actuelle. Le jetable, c'est très bien pour le monde médical mais pas pour l’usage du simple quidam. Cela reviendrait à utilise de la main d'œuvre pour rien. On perd de l'énergie alors que l'on n'arrive pas à assurer la quantité de masque que l’on doit produire en France pour protéger les gens. Et la demande est monstrueuse ! Selon le groupement du Comité Stratégique de la Filière (CSF) Mode et Luxe, elle monte à 18 millions de masques et aujourd'hui, nous sommes capables de produire 889 000 masques par jour. Un chiffre à diminuer selon moi car il inclut non seulement les masques jetables mais aussi les non-tissés…

Qu’appelez-vous les non-tissés ?

Le non-tissé est un aggloméré de tissus, qui peuvent donc se déchirer plus facilement à l'usage, s'effilocher au lavage et tenir bien moins longtemps.

Aujourd’hui, la Direction générale des entreprises (DGE) a regroupé sur son site toutes les entreprises qui ont reçu des rapports DGA pour la fabrication de masques et ils donnent l'évaluation de la DGA sur leurs prototypes. Si cette liste permet de voir les personnes que je peux contacter dans ma région, par exemple, elle n'est pas vraiment à jour et le document n'est pas très lisible - je leur ai fait des propositions d'amélioration pour qu'on s'y retrouve mieux.

Plus important encore : dans la liste, il y a des propositions de masques jetables, de masques lavables et durables - qui peuvent être utilisés un certain nombre d'années - et de non-tissés. C'est-à-dire qu'ils sont semi-lavables, semi-jetables et qu'ils ne durent que cinq lavages, par exemple. Pour moi, cette dernière catégorie n'a aucun sens ! Soit on fait du jetable lorsqu'il y a des risques sanitaires, soit on fait du lavable avec une durée de vie relativement longue afin de dédier le temps de travail à confectionner un produit durable.

Ces différences ne sont pas visibles sur le site de la DGE ?

Non ! Il y a bien une colonne qui distingue les masques lavables de ceux à usage unique mais pas de différence entre les durables et ceux qui ne sont garantis que pour quelques lavages. Ce n'est pas très clair. Le tableau de la DGE doit être plus clair sur ces distinctions. Tout d'abord pour que les clients ne se trompent pas sur la marchandise et ensuite pour faire la lumière sur les tests des masques en non-tissé.

Je m’explique… Tout d’abord dangereux car la plupart des gens ne le laveront pas avant de le porter pour ne pas se priver d'un lavage sur cinq garantis, par exemple, le non-tissé étaient au début mal testés.

Les tests doivent être faits sur le nombre de lavages finis que le fabricant impose. C'est-à-dire que, si le confectionneur garantit un masque fabriqué en non-tissé pour cinq lavages, il doit réaliser les tests après ces cinq lavages pour certifier que son produit est toujours efficace jusqu'à ce point. Ce protocole-là, aujourd'hui, n'est pas encore assez bien compris ni suivi. Il y a le risque que des entreprises malhonnêtes fassent du business avec les masques sans respecter les règles.

Qu’est-ce qui explique ces manquements ?

La structuration de la filière s'est mise en place dans un temps record, certes, mais qui est beaucoup trop long. Les premières évaluations de la DGA ont été réalisées sur des produits qui n'ont pas été lavés. Or, si l'on analyse un tissu qui n'est pas lavé, il y a encore des apprêts dessus, c'est-à-dire des matières qui aident au tissage - en rigidifiant le tissu, par exemple. Ces apprêts peuvent avoir un impact positif ou négatif sur la filtration et la respirabilité, soit les éléments testés par la DGA.

En plus, un tissu non lavé n'a pas les propriétés qui seront les siennes lorsque l'usager portera le masque car le lavage diminue la respirabilité et augmente la filtration. Et même s'il est bel et bien lavé par l'entreprise elle-même, les protocoles de lavage sont différents pour chacune d'entre elle et sont donc difficilement comparables. Aujourd'hui, sur le tableau de la DGE, on retrouve des tissus qui ne sont pas lavés avant les tests, d'autres qui sont lavés une fois, d'autres deux, cinq fois...

Les premiers tests ont été réalisés ainsi… J’ai d’ailleurs un peu tapé du poing sur la table à ce sujet. Depuis le 1er avril, la DGA et l'Institut français du textile et de l'habillement (IFTH) ont changé le protocole. Depuis cette date, tous les tests sont réalisés par l'IFTH qui transmet les résultats à la DGA, qui homologue ou non les modèles proposés. A partir de là, nous allons pouvoir travailler correctement. Ce qui veut dire que tous les tests réalisés par la DGA avant le 1er avril ne sont pas valides et nous sommes donc en train de refaire tous les tests que nous avions réalisés avant le 1er avril.

Aujourd’hui, quelles sont donc les recommandations de lavage des masques fabriqués dans le contexte de la pandémie ?

L'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) recommande de laver avec un plateau de 30 minutes à 60°C - ce dont aucune machine ménagère n'est capable - ainsi qu'un séchage mécanique en sèche-linge - ce que tout le monde ne possède pas - et un repassage à 120°C. C'est ultra-contraignant ! L'ANSM fait très bien son travail pour donner des règles de désinfection mais elles ne sont pas adaptées aux simples quidams.

Maintenant, il y a en quelque sorte un consensus sur les conditions d'usage et de lavage par la voie d'une notice publiée par le groupement national mais je la trouve un peu légère. Depuis le début, de notre côté, nous avions communiqué des pistes d'usage et de lavage des masques pour ne pas laisser les gens au dépourvu. Ces recommandations complètent cette notice mais ne sont pas validées. Je considère que ce n'est pas notre rôle mais celui des organismes de sécurité sanitaire de tester des recommandations adaptées aux citoyens et de les faire valider. Il y a plusieurs pistes - passer les masques à la cocote, au four, les tremper dans l'alcool, etc. - mais nous n'engagerons pas notre responsabilité. C'est trop dangereux. En même temps je préfère donner quelques pistes plutôt que les gens qui ne peuvent pas suivre le protocole de l'ANSM fassent n'importe quoi à la place.

Quelles sont les prochaines échéances, à la fois pour vous et au niveau national ?

Nous sommes très occupées à préparer les ateliers et à organiser l'approvisionnement des tissus. Depuis la semaine dernière, nous travaillons sur un nouveau prototype que nous aimerions homologuer comme masque chirurgical (FFP1). Pour cette nouvelle aventure, nous collaborons avec le Laboratoire national de métrologie et d'essais (LNE), qui est habilité pour analyser des dispositifs médicaux. Encore une fois, l'une des limites concerne le lavage : sera-t-on capable de concevoir des masques chirurgicaux respectant la norme Afnor NF EN 14 683 avec les tissus que l'on a à disposition et notre savoir-faire textile ? Si on se rappelle, avant l'arrivée de produits jetables, les compresses médicales étaient lavées, séchées et repassées. C'est donc peut-être faisable, mais rien n'est sûr...

Au début, chacun s'est lancé de son côté, sans cadre. Ce qui a impliqué beaucoup de perte de temps et d'effort. Aujourd'hui, la structuration à l'échelle nationale s'est considérablement améliorée et il conviendra ensuite de faire de même pour les blouses, charlottes sur-blouses ou encore sur-chaussures. Et cette fois-ci, l'Etat a décidé de structurer les efforts dès le début et de centraliser la R&D : dans un premier temps, l'IFTH travaillera sur les besoins et validera peut-être même des tissus et des assemblages en amont, puis transmettra un cahier des charges aux fabricants qui se lanceront à fond dans la production.

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