Tout le dossier Tout le dossier

Excellence opérationnelle - 4.0 : comment s’organiser, grandir (et se réinventer)

À l’heure où la pandémie de COVID-19 ébranle des secteurs industriels entiers dans leur fondement, la résilience s’organise. Dans ce contexte incertain, l’excellence opérationnelle conjuguée aux leviers de l’industrie du futur sont plus que jamais stratégiques pour s’adapter, se projeter, gagner en compétitivité. Digitalisation et organisation, robotisation, agilité des process et des équipes, versatilité des modèles de business sont au centre des enjeux industriels à relever... le défi de l’après.

Partager
Excellence opérationnelle - 4.0 : comment s’organiser, grandir (et se réinventer)

«Agilité, engagement et excellence opérationnelle : les clés du succès pour les Opérations, afin de faire face à la pandémie et accompagner la croissance ». Bien des dirigeants industriels auraient souhaité tenir un tel propos en sortie d’année 2020. Il émane de la Directrice Générale - Technologies et Opérations chez L’Oréal, Barbara Lavernos, à l’occasion de la présentation du rapport 2020 du groupe de cosmétiques. Ses équipes « ont immédiatement adapté leurs outils industriels pour produire plus de 5,8 millions de litres de gel hydroalcoolique dans plus de 70 % des usines de L’Oréal dans le monde, puis ont organisé leur distribution » poursuit la dirigeante, avant d’en donner la recette : « Grâce à l’avancée technologique des Opérations de L’Oréal et à leur capacité de transformation agile, les équipes ont parfaitement embrassé la double accélération liée au contexte imprévu de l’année. D’une part, le digital, au cœur du quotidien de nos équipes, a permis de maintenir opérationnelles toutes nos activités industrielles et logistiques en ayant recours à la réalité virtuelle pour assurer la maintenance à distance ou l’installation de nouveaux équipements, ou encore à l’impression 3D pour concevoir nos futurs lancements.

D’autre part, les équipes ont fait face à l’accélération inédite du e-commerce (+ 62 % sur l’année), par l’absorption des commandes multipliées par 4 certains mois et la préparation de deux livraisons par seconde en 2020. Cette accélération a exigé une adaptation en temps réel aux besoins spécifiques des consommateurs durant la crise : boom de la coloration à domicile, augmentation inédite des produits de soin pour les mains […] »

Tout vient du terrain

L’Usine L’Oréal de Vichy, 400 salariés et spécialiste du soin de la peau à base d’eau thermale, vient d’ailleurs d’être labellisée « Vitrine du Futur » par l’Alliance Industrie du Futur, pour l’organisation de sa production via le numérique, l’exemplarité des process déployés et la place accordée à l’humain. Produits « augmentés » pour les clients, mais aussi co-construction avec les employés et progrès environnemental du site ont été parmi les éléments clés de la décision.

Digital déployé à tous les étages de la chaîne de valeur, flexibilité d’équipes formées et engagées, technologies 4.0 imbriquées, organisation efficiente des usines et de la logistique-distribution ont été autant de clés de la résistance du géant de la cosmétique. Ces éléments sont évidemment recherchés par bon nombre d’acteurs industriels, tous secteurs confondus.

Avec un postulat de base désormais partagé : l’excellence opérationnelle s’appuie sur un comportement d’entreprise qui lui donne agilité et performance sur ses marchés… et qui ne peut être atteint que par une intelligence collective depuis le terrain. Philippe Larrauri, fondateur du cabinet de conseil Aldatze, en sait quelque chose. Son expérience de dirigeant chez plusieurs industriels de renom (Schlumberger, Valeo, Safran) à des postes clés de directeur industriel et qualité, et sa forte expertise du lean l’ont accompagné tout au long de sa carrière. Avant que l’intéressé ne s’en défasse progressivement : « Bien évidemment, les outils et process comptent lorsque l’on s’engage dans une démarche d’excellence opérationnelle mais, pour inscrire la démarche dans la durée, une transformation culturelle est indispensable – la transformation des managers, notamment dans leur posture est primordiale – c’est en fait l’humain et sa capacité à évoluer qui prévaut » indique le responsable, qui a complété son bagage en devenant coach de dirigeant.

Ayant conduit le pilote QRQC (Quick Response Quality Control) initié par Valeo en 2000, Philippe Larrauri insiste sur l’importance, pour le manager, d’apprendre à oser s’inscrire dans le moment présent pour développer une écoute active de l’autre. « Lorsqu’un client fait appel à moi et manifeste son désir d’évoluer, je déambule sur le terrain : c’est là que nos sens et nos émotions s’activent… or elles sont toujours justes ! » explique-t-il.

S’il reconnaît avoir longtemps pratiqué le monitoring d’activité via des statistiques de reporting, il s’agit d’activités réalisées « à postériori ». « Leur usage, bien qu’utile, n’est pas adapté à la résolution de problèmes, levier de l’amélioration de la performance opérationnelle. » Et le responsable de citer l’exemple du groupe Safran, parmi les plus avancés en matière d’excellence opérationnelle : « Cela a pris du temps d’évoluer. SAFRAN a d’abord travaillé sur le changement culturel via la QRQC, pour ensuite développer la démarche « One Safran », qui comprend notamment la digitalisation du système de management de l’entreprise en permettant à chaque métier d’inscrire le progrès « pas à pas ».

Repenser

Quand son (ou ses) marchés ont été ébranlés sur leur fondement, c’est l’ensemble du modèle qui se trouve questionné. C’est notamment le cas de l’aéronautique, secteur historiquement engagé dans l’excellence opérationnelle. Optimisation des coûts, redéfinition du partage de valeur sur le « produit avion », voire nouveaux modèles, tout est désormais questionné à la suite de l’arrêt du marché avec le COVID-19, puis son redémarrage (très) progressif : « Constructeurs comme OEM (Original Equipment Manufacturers) travaillent d’arrache-pied sur la réorganisation de leur make et de leur buy, avec une redéfinition drastique de la chaîne de valeur à maîtriser » constate Matthieu Lemasson, Partner spécialiste de l’aéronautique au sein du cabinet conseil Price Water house Coopers.

Outil du lean bien connu, le Data management n’a bien-sûr pas attendu l’épisode COVID-19 pour être déployé et exploité. Chez Airbus, l’approche DDMS (continuité numérique) n’est pas nouvelle. Et l’avionneur explique que ce programme « se concentre sur les méthodes et les outils numériques nécessaires à des « processus commerciaux de bout en bout » qui garantissent que nous pouvons réduire les coûts et les délais de mise sur le marché de nos produits, tout en répondant aux attentes de nos clients en matière de qualité, de sécurité et de performance environnementale. »

Mais dans la logique d’écosystème (très) intégré, cher aux grands donneurs d’ordre aéronautiques, ce levier reste finalement « imparfait » : « Tous les contributeurs, y compris les plus gros, ne fournissent que trop peu les données accurate, alors que c’est « le temps réel » qui doit permettre de changer les variables de performance et de véritablement exploiter le concept de control tower. Cela vient autant de limites techniques, d’organisation fonctionnelle, que de choix stratégiques » constate Matthieu Lemasson.

D’autres mouvements pourraient se produire, comme le détaille aussi le Livre Blanc du cabinet PwC France (cf. par ailleurs) tout récemment publié. Les réorganisations sont une piste… La récente annonce de la réintégration au sein du groupe Airbus de la filiale Stelia Aerospace, dédiée aux aérostructures, en serait-il les prémices ? L’événement, concomitant ou presque avec celui du plan d’investissement de 110 M€ sur 4 ans du spécialiste des aérostructures, ne semble pas vraiment un hasard : l’acteur est leader sur l’usine du futur. L’investissement consiste à « moderniser nos lignes de production (déjà mobile) avec une digitalisation accrue à toutes les étapes », a souligné Stéphane Campion, Dans le détail, le développement de la robotisation chez Stelia doit notamment permettre de se passer à terme des gabarits lors de l’assemblage, et de déployer des lignes modulables pouvant accueillir plusieurs versions voire différents programmes d’avions. Stelia Aerospace anticipe également un usage accru de l’intelligence artificielle et du big data pour optimiser la supply chain.

Repousser les limites Face à des enjeux de marché cruciaux, nécessitant gains de productivité et pilotage d’activité toujours plus agile, certaines PME et ETI investissent afin de changer de dimension. C’est le cas de Matra Electronique, filiale de MBDA France. L’entreprise, installée dans l’Oise, évolue sur des secteurs technologiques : elle fabrique notamment des cartes électroniques et harnais pour la défense, l’aéronautique, le spatial, la sécurité et la santé. La société travaille depuis 4 ans à son projet Horizon, une nouvelle usine où l’excellence opérationnelle a été le fil rouge pour décider des évolutions à opérer.

Le nouveau site de Matra Électronique (18 900 m2 et 40 M€ investis) sera à quelques kilomètres de son site actuel, mais s’avère très éloigné en termes de fonctionnement, comme l’indique Julien Marie, le Directeur Général : « Nous avons beaucoup travaillé à opérer l’interconnectivité de nos moyens avec une supervision globale de notre infrastructure via l’exploitation des data. Et le véritable défi a été de le faire en adoptant une architecture système totalement fiable en matière de sécurité industrielle. » Une suite logicielle de test a été déployée plusieurs mois sur les moyens de production actuels, afin de disposer d’une expérimentation réussie fiable. Gains de temps de cycle et optimisation des flux sont planifiés, pour un saut de productivité notable. Le programme de nouvelle usine a mobilisé toutes les équipes, via des groupes de travail collaboratifs, et conduit à créer certains postes, comme celui de développeur informatique industriel ou encore celui d’ingénieur cybersécurité.

Dans le détail, l’entreprise recourt à beaucoup d’ingrédients de l’industrie 4.0, tels que la robotique, l’ingénierie collaborative ou le jumeau numérique. De nouveaux moyens de production comme des machines de report de composants, à cadence plus élevée, sont aussi attendus.

Et parce que le retour d’expérience est aussi facteur d’amélioration continue, nul doute que Matra Electronique fera part de ses avancées et gains dans le cadre de son club de l’Excellence 4.0 (cf. par ailleurs), lancé voilà 3 ans.

Sujets associés