ÉTAT DES LIEUX 1963-2013 : histoire d'une métamorphose

Cela fait cinquante ans qu'InfoChimie scrute les évolutions de l'industrie chimique. Une industrie qui a rompu avec des pratiques parfois contestables du passé, mais qui ne sait plus comment se défaire d'une image désastreuse, bien éloignée de la réalité.

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ÉTAT DES LIEUX 1963-2013 : histoire d'une métamorphose
1963

Info Chimie a fêté, cette année, son cinquantième anniversaire. Cela fait cinq décennies que cette publication accompagne une industrie qui pâtit aujourd'hui d'une image très dégradée auprès du grand public. Pourtant, dans les années 60, à la naissance d'InfoChimie, cette industrie chimique était à son apogée, en pleine époque des « Trente Glorieuses ». A peine sorti de la guerre, le pays devait se reconstruire. La population était enthousiaste, portée par une croissance économique forte. Dans sa première édition de février 1963, Info Chimie débutait par ce titre : « La chimie et la conjoncture économique : une expansion exceptionnelle ». Le même article faisait état d'une production chimique en hausse de 20 % sur les neuf premiers mois de 1962, par rapport à la même période de 1961. A l'époque, le trio de tête du « marché commun » pour la production chimique était constitué de la France, de l'Italie et de l'Allemagne (RFA).

Les entreprises qui avaient pignon sur rue dans ce domaine de la chimie s'appelaient Eastman -Kodak, Kuhlman, L'Air Liquide, Lafarge, Pechiney, Progil, Rhône-Poulenc, Saint-Gobain, Ugine... A côté de cette chimie, il y avait une parachimie importante : un secteur des peintures puissant, une industrie des cosmétiques portée par L'Oréal, des pneumatiques par Michelin sans oublier le secteur pharmaceutique. Ce dernier émanait tantôt de grandes sociétés. « C'était l'époque où des médicaments sortaient des industries chimiques, à commencer par l'aspirine produit chez Bayer ou chez Rhône-Poulenc », explique un ancien universitaire. Mais dans la pharmacie, il y avait aussi un tissu de petits laboratoires, dont Roussel Uclaf ou Servier. Sanofi ne naîtra que dans la décennie suivante (1973) au cœur du groupe Elf. Toutes ces entreprises de parachimie ne rechignaient pas à se réclamer du monde de la chimie. D'ailleurs, la pharmacie qui était très avancée, tant en chimie organique, qu'en extraction ou en chimie analytique a tiré la chimie pendant de nombreuses années. La chimie était considérée comme un beau métier, utile pour la société. Quant au grand public, il avait confiance dans l'industrie chimique, sans pour autant la connaître. « C'est une époque où la chimie en tant qu'industrie intermédiaire ne dialoguait pas avec le grand public car elle n'avait pas d'interface avec l'utilisateur final », explique un ancien industriel. Pour autant, les riverains n'avaient pas peur des usines. Elles étaient bien intégrées dans leur environnement et considérées comme des sources d'emplois.

Pendant cette époque des « Trente Glorieuses », l'innovation battait son plein. La synthèse totale des stéroïdes, nécessitant une quarantaine d'étapes, a marqué les esprits. On peut aussi évoquer des « progrès formidables » dans le domaine des polymères. Il a fallu atteindre ces années 60 pour maîtriser la relation entre structure et propriétés de ces architectures complexes. C'est à cette époque que de nouvelles fibres vont faire leur apparition en Europe, en particulier les innovations de DuPont déjà éprouvées sur le marché américain comme le Lycra ou le Mylar. Et puis, il y a eu les progrès de la chimie analytique. « Pendant ma thèse, l'infrarouge commençait à peine à se développer, mais on n'avait pas de RMN ni de chromatographie en phase gazeuse », ajoute le scientifique.

Les relations entre recherches académique et industrielle étaient déjà établies. « Je me souviens de partenariats avec Rhône-Poulenc et Roussel Uclaf. On recherchait des bourses pour les étudiants et des débouchés après leurs études », illustre une ancienne chercheuse.

Au plan industriel, c'est à cette époque que l'agglomération lyonnaise s'est dotée de nombreuses infrastructures chimiques pour créer le « couloir de la chimie ». L'industrie pétrolière s'est aussi imposée sur le site de Feyzin, en bordure du Rhône, avec une mise en service en 1964 par la société Elf. A l'époque, cette zone au sortir de Lyon était encore relativement rurale. La pression urbaine au pied des sites industriels s'est surtout exercée dans les années 1970-80.

Mais à force de croissance et de développement tous azimuts, l'industrie chimique a fini par prendre des risques. Il fallait aller vite. On sautait des étapes et on ne produisait pas en toute sécurité. De même que l'on ne s'inquiétait pas de générer des déchets qui n'étaient pas toujours traités et pouvaient se retrouver dans la nature. Des déchets de dangerosité variable pouvaient même être enfouis dans l'enceinte des sites industriels. « Dans la conception d'une installation, on ne cherchait pas à concevoir un procédé tirant vers les 100 % de rendement. On se contentait de rendements plus faibles qui généraient forcément des co-produits », reconnaît l'industriel.

Et il aura fallu plusieurs signaux d'alerte pour qu'elle bouleverse ses pratiques. « L'accident de Seveso (en 1976) a été un facteur déclenchant de crainte et de rejet. On s'est aperçu que l'industrie chimique était une industrie à risque », se souvient l'industriel. Puis, il y a eu Bhopal en 1984. En parallèle, une pensée écologique a commencé à se formaliser à partir du début des années 60 avec la publication du livre de Rachel Carson, Les printemps silencieux. Cette biologiste marine a été la première à poser le problème de l'emploi inconsidéré des pesticides, en particulier le DDT. Après avoir sensibilisé une grande part de l'opinion américaine aux problèmes environnementaux, sa pensée s'est diffusée en Europe et en France avec une publication de l'ouvrage en version française début 1963.

Une conscience écologique venue des États-Unis

Quinze pages seront consacrées à cet ouvrage dans le numéro d'InfoChimie de mai 1963, où il est vivement critiqué. « Il est nécessaire de préciser tout de suite l'impression assez pénible que l'on éprouve dès les premières pages. En effet, et cette ambiguïté se poursuivra tout au long de la lecture, l'auteur balance constamment entre le pamphlet frisant la calomnie et l'ouvrage de vulgarisation qui se veut scientifique ». Et l'article conclut ainsi : « Face à l'accroissement constant de la population, l'homme doit satisfaire des besoins toujours nouveaux, aménager la nature, c'est-à-dire nécessairement, favoriser certains équilibres au détriment d'autres ». A leur façon, les deux chocs pétroliers de 1973 et 1979, avec leurs conséquences négatives sur l'emploi, ont aussi pesé négativement sur la confiance dans cette industrie.

L'industrie chimique a fini par gagner cette réputation d'industrie dangereuse et polluante dont elle n'arrive plus à se défaire. Les années 80 seront marquées par une prise de conscience de la profession des risques qu'elle pouvait engendrer et de la nécessité de changer les pratiques. « On aurait dû prévoir et prendre en charge ce changement plus tôt », regrette l'industriel, évoquant la prise de conscience plus précoce de l'industrie nucléaire. C'est ainsi qu'est apparu en 1985 au Canada le programme Responsible Care. Puis, l'industrie chimique a irrémédiablement mis le cap en 1998 sur la chimie verte, avec la publication des 12 principes énoncés par Paul Anatase. L'idée étant de replacer l'homme et l'environnement au cœur des pratiques. « Je ne suis pas inquiet pour la chimie car c'est une science incontournable », estime l'universitaire. Par contre, en dépit de tous les efforts, la cote de popularité de l'industrie chimique ne remonte pas dans les enquêtes d'opinion du Cefic. A partir des années 60, l'humanité a été mise en face d'une contradiction entre son besoin de développement et la nostalgie du naturel. Cinquante ans après, l'arbitrage n'a toujours pas été fait, provoquant des tensions qui sont temporairement apaisées par la remise en cause du progrès scientifique et de l'industrie, les coupables idéaux. « Le virage de la chimie de spécialité vers une terminologie applicative est un bon virage », estime l'industriel. Pharmacie et cosmétique se sont écartées depuis longtemps de l'industrie chimique. « Il faut présenter la chimie comme une science et non pas comme une industrie. L'industrie chimique ne doit plus se maintenir en bloc. Elle doit maintenant penser à s'intégrer dans des filières de spécialités qu'elle dessert », poursuit-il. Continuer de faire de la chimie, sans se réclamer de l'industrie chimique, c'est peut-être ainsi que s'écrira l'histoire de la chimie en France pour les cinquante prochaines années.

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