[Entracte - Livres] "Mon année de repos et de détente" d'Ottessa Moshfegh, ou le récit d'un confinement volontaire

Dans "Mon année de repos et de détente", la jeune romancière new yorkaise Ottessa Moshfegh raconte le confinement volontaire d'une jeune femme. Aussi drôle que féroce, désespéré qu'enthousiasmant, ce roman confirme que les écrivains sont les plus à même d'explorer les vies que nous menons. Ou pas.

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[Entracte - Livres]
Un roman où la narratrice veut dormir. Pas le lecteur.

Alors que les pages littéraires de la presse et les émissions consacrées au plaisir de lire ont semblé vouloir cherché à tout prix des livres pour accompagner la pandémie et le confinement, on ne peut que s'étonner que "Mon année de repos et de détente" de l'écrivaine Ottessa Moshfegh, une nord-américaine d'origine irano croate, aurait pu être largement conseillé et disséqué. Car, alors que la France s'apprête à entrer dans la phase dite de déconfinement lundi 11 mai, la narratrice de ce roman choisit pour sa part une sorte de confinement volontaire. Las de la vie et du monde, après avoir enterré son père puis sa mère, étudié l'histoire de l'art à Columbia et travaillé dans une des galeries d'art contemporain les plus chics du New York downtown, la narratrice décide de passer une vie enfermée ou presque dans son appartement de l'Upper East Side. Elle se réservera quelques sorties pour s'alimenter, aller chez sa psy et se fournir en drogues, enfin en médicaments de toutes sortes, qui sont la grande occupation de cette enfermée volontaire.

American way of dépression

Avouons-le par le mystère des piles et des rangements successifs, cet ouvrage paru en septembre 2019 avait échappé à notre vigilance et c'est donc confiné que nous avons eu la chance de le lire, car c'est un livre tout simplement FORMIDABLE. (on n'ose pas écrire un chef d'oeuvre car les oubliettes de la littérature sont emplies d'un chef d'oeuvre d'un jour, mais on y pense très fort).

Car sur le résumé pas vraiment exaltant du roman, ce sont des éclats de rire que provoque la lecture. Ottessa Moshfegh n'a pas son pareil pour décrire les faux-semblants de l'American Way of life. Tout y passe, à commencer par ce besoin ultra névrotique d'être normal, au sens statistique du terme : dans la moyenne. Pas de bourrelets qui dépassent, ni d'humeurs qui débordent, surtout pas. Ou quand la moyenne devient une tyrannie, aurait pû dire Tocqueville s'il avait fait ce voyage en Amérique.

Psy ou dealeuse ?

Très bonne romancière, l'auteure n'enferme évidemment pas son personnage seule dans une chambre. Elle multiplie, outre les souvenirs évoqués, les visites de l'amie de la narratrice, Reva, aussi bouleversante que pitoyable dans ses tentatives désespérées d'être normale. Boulet au pied de la narratrice, elle a toujours le régime ou la thérapie qui pourrait la sauver. Les deux jeunes adultes ont l'amitié vache, pour ne pas s'avouer le véritable attachement de ces deux paumées perdues du côté de la Cinquième Avenue.

La seconde est la psy de la narratrice, le docteur Tuttle, véritable dealer qui sait comment truander la mutuelle pour qu'elle ne s'aperçoive de rien, oublie que sa patiente est orpheline et passe son temps à lui demander des nouvelles de sa mère, avant de se lancer dans les médecines parallèles.

Signes précurseurs du chaos

S'il n'était que cela, Mon année de repos et de détente serait déjà formidable. Mais il est davantage, quand le fameux médecin donne un médicament hyper puissant à sa patiente. Le résultat : cette dernière se réveille réalisant qu'elle a accompli une vie pendant ces phases de sommeil de trois jours dont elle ne garde aucun souvenir. Une sorte de somnambulisme assisté chimiquement.

On vire dans une dimension quasi fantastique, interrogeant ce qu'est une personne, sa vie, la responsabilité de ses actes... On se retrouve quelque part entre la Métamorphose de Kafka et Mars de Fritz Zorn.

Le monde est fou

Dans ce roman, tout est fou, tout le monde est fou. On est à New York, le 11 septembre 2001 s'approche à mesure que la narratrice s'installe dans son sommeil comateux quasi-permanent qui lui donne un regard d'une acuité particulière.

Le livre se termine par la tragédie que l'on sait et pourtant on le referme avec une envie de vivre plus grande que jamais, sans avoir du subir la leçon de morale gnan gnan dont nous gratifie trop souvent la culture made in USA.

Bon déconfinement à tous.

Mon année de repos et de détente Ottessa Moshfegh Ed Fayard Traduction (excellente) de Clément Baude

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