[Entracte-Livres] Les envolés d'Etienne Kern, ou l'insupportable pesanteur du monde
Dans Les envolés, un court et magnifique roman, Etienne Kern retrace le destin oublié de Franz Reichelt, inventeur d'un parachute. Il offre une méditation sur les forces contraires, la grâce et la pesanteur, avec une légèreté d'écriture remarquable.
Qu'est-ce qui a bien pu pousser Franz Reichelt, tailleur pour dames venu d'Autriche, à revêtir son costume d'homme parachute pour sauter du premier étage de la Tour Eiffel et connaître un destin funeste ? On imagine qu'Etienne Kern s'est posé cette question avant de se lancer dans l'écriture de son très sensible roman, au titre poétique, Les envolés.
Au début du XXe siècle, l'aviation était à ses débuts. Blériot était un héros, et nombreux étaient ceux qui rêvaient de suivre ce rêve dangereux. « Ces perdus, ces damnés qui lançaient de gros jouets vers le ciel, sans savoir qu'ils y creusaient leurs tombes. »
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Vie modeste et solitaire
Franz Reichelt n'est pas vraiment de ceux-là. Immigré, il est tailleur dans le quartier de l'Opéra à Paris, où il mène une vie modeste et solitaire. Jusqu'au jour où son ami Antonio va, lui aussi, tenter l'aventure des airs. Pour ce dernier, ce sera tragique et il laissera une veuve et une orpheline.
Mais Frantz n'hésite pas longtemps, quand un concours doté de 5 000 francs est organisé par la ligue aérienne et l'Aéro-Club de France. Devant le nombre croissant de morts, ces deux organisations veulent encourager la création d'un parachute. Le tailleur pour dames se précipite : après tout, un parachute est un morceau de tissu. Son intuition est de créer un parachute intégré à la tenue du pilote.
On pourrait objecter que son échec était attendu, compte tenu de son manque de connaissances en physique. Le gagnant du concours, Frédéric Bonnet, était cantinier. Le lecteur contemporain s'étonnera en revanche de la facilité avec laquelle on pouvait sauter à l'époque du premier étage de la Tour Eiffel, sans que grand monde ne s'en émeuve.
Lourdeur du monde et grâce de l'écriture
Ce court roman, d'une incroyable finesse, est écrit tout en nuances. S'y enchaînent le récit de cette histoire incroyable, et celui qui explique pourquoi l'auteur a vraisemblablement été touché par le destin oublié de Franz Reichelt. En peu de mots, Etienne Kern évoque aussi bien cette incroyable histoire, que la folie du créateur qui va au bout de son idée, dût-il en mourir.
Mais qu'on ne s'attende pas à trouver une explication. Le personnage de Frantz Reichelt reste opaque au lecteur. Peut-être parce qu'il l'était d'abord à lui-même, comme le suggère l'histoire d'amour qui le lie à Emma (la femme d'Antonio) ou le lien puissant qu'il tisse avec Louise et sa jeune fille Alice (vous ne verrez plus jamais de la même façon un bouchon de champagne après avoir lu ce roman). Les envolés est aussi l'histoire d'une incroyable solitude.
C'est aussi avec cette économie de mots qu'il éclaire la passion malsaine du public pour ce saut qui s'annonce tragique... « Un mot, un geste pourraient suffire pour sauver Franz Reichelt. Mais il n'est personne. Juste un étranger. Et il est un spectacle. »
A la lourdeur du monde et de la pesanteur Etienne Kern oppose la tendresse de son écriture délicate, créant un effet de contraste saisissant entre le poids d'un corps qui chute et la possible douceur des sentiments. Sans grande illusion toutefois, l'auteur note : « Les gens que nous aimons, nous ne pouvons rien pour eux ». Reste la consolation de la littérature, celle de pouvoir écrire de tous ceux qui ne sont plus, ces mots simples et déchirants : « ils ont été ».
Les envolés d'Etienne Kern, Editions Gallimard.
Les actualités Pathé avaient filmé le saut de Franz Reichelt (la chute finale peut choquer des lecteurs non-avertis)
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