[Entracte-Livres] Le Brexit est un roman, "Le cœur de l'Angleterre" de Jonathan Coe
Après "Testament à l'anglaise" (l'ère Thatcher) et "Le cercle fermé"(les années Blair), le romancier britannique Jonathan Coe revient avec "Le cœur de l'Angleterre". Cet ambitieux roman entend raconter comment le Royaume-Uni en est arrivé à voter pour le Brexit. Plus sûr que l'issue du processus, le talent de Coe est intact.
Nul besoin d'avoir lu "Testament à l'anglaise" ou "Le cercle fermé" pour aborder le nouveau roman du britannique Jonathan Coe, "Le cœur de l'Angleterre" (en même temps, si on ne les pas a encore lus, il est urgent de s'y précipiter). On y retrouve les personnages fétiches de l'auteur qu'on a connu adolescents sous Thatcher, jeunes adultes ambitieux sous Blair et qu'on retrouve au début des années 2010 dans une Angleterre en proie aux doutes.
Ressemblances et différences
Par rapport aux deux précédents romans de l'auteur où la mécanique de l'intrigue était particulièrement bien huilée, ce dernier volume n'est pas construit de la même façon. Jonathan Coe a expliqué l'avoir écrit au fur et à mesure de l'actualité, ce qui donne à ce roman un côté au fil de l'eau, suivant le destin parallèle de quelques personnages : l'éternel écrivain en devenir, le chroniqueur politique et son informateur, communicant du parti conservateur, une jeune universitaire qui recherche l'amour, la mère de son amoureux... Mais L'ironie de Coe fait toujours des ravages, tapant là où il faut. A cet égard, le récit d'une croisière pour retraités venus écouter quelques obscurs écrivains et universitaires est un délice. Aussi drôle qu'est crépusculaire la visite d'un site de production automobile où travaillait un des personnages, site devenu un centre commercial où le vieux monsieur ne reconnaît plus rien - et pour cause.
Car Coe sait y faire : on reste accro à son roman, impatient que l'on est de retrouver ses personnages. Chaque chapitre est une variation, changeant de tonalité, on passe d'un passage délirant à un autre plus nostalgique ou à un troisième plus comique. Ainsi, le récit de la cérémonie d'ouverture des jeux olympiques de Londres est un exploit littéraire qui vaudrait à son auteur une médaille d'or. Coe passe d'un personnage à l'autre avec une aisance bluffante, rappelant par son récit que c'est peut être la dernière fois que le Royaume a été uni devant son téléviseur ou dans les tribunes partageant les mêmes émotions et la même fierté devant le même spectacle.
Trompeuses apparences
Derrière les enjeux propres aux différents personnages, Coe s'intéresse à ce qu'il advient de son Angleterre, qui obsèdent un des personnage qui cherche le coeur de l'Angleterre dans le cadre de sa thèse, coeur de l'Angleterre qui est aussi le titre du roman. Est-ce un paysage ? Une chanson ? Un roman de Jonathan Coe ? Plus encore, la question qui semble le passionner au fil des pages est de trouver ce qui fait qu'un groupe tient ensemble. Un couple ou une Nation. "Ce qui me tracasse... c'est que je n'arrive pas à savoir si on est en train de s'éloigner l'un de l'autre ou bien si on a toujours été loin et que je m'en aperçois seulement maintenant." Car chez Coe, les apparences sont trompeuses et se contenter d'elles fait rater un degré de perception de la réalité. "Ils étaient là joue contre jour, collés l'un à l'autre, leur étreinte si longue que le pêcheur assis à quelques mètres aurait pu sans peine les prendre pour mari et femme redécouvrant la fougue de leur jeunesse, plutôt que pour ce qu'ils étaient, un couple d'amants à l'heure des regrets en train de se dire adieu."
Le coeur de l'Angleterre est aussi un roman politique.Si l'auteur était partisan du remain, il n'hésite pas à montrer comment les
bons sentiments ne peuvent pas faire une bonne politique. Tandis qu'une partie croissante de la population adhérait à ce qu'on appelle de ce côté-ci de la Manche l'insécurité culturelle (l'impression de ne plus vivre chez soi), une partie de la classe intellectuelle plutôt de gauche s'est contenté d'un discours bien pensant et surtout superficiel sur les bienfaits de la diversité, condamnant moralement certains propos sans chercher à les comprendre ni même à les écouter. Il est toujours plus facile de déclamer de grands principes que d'écouter les petites raisons. Pourtant, insaisissable, Coe ne donne aucune lecture trop marquée des événements, ne manquant pas de regretter le rôle de certains cercles ultra-libéraux. A la fin du livre, outre le destin des personnages, on est surtout frappé par une chose : les mouvements qui traversent la société de sa très grâcieuse majeuse travaillent aussi la société française. Le roman de Coe a un dernier mérite : remettre avec humour et sentiment un peu d'ordre dans ce chaos. A moins qu'il ne s'agisse d'un K.O.
"Le cœur de l'Angleterre", Jonathan Coe , traduit de l'anglais par Josée Kamoun, Editions Gallimard, 23 euros.
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