[Entracte Livres] Avec "L'intrusion" (Gallimard), Quentin Lafay signe le roman de l'intimité violée
Dans "L'intrusion" publiée chez Gallimard, Quentin Lafay, dont c'est le deuxième roman, imagine (vraiment?) l'impact d'un piratage informatique sur la vie privée d'une personne. Ce ne sont pas nos grands secrets qu'il faut protéger, c'est la masse des petits, insignifiants en apparence et pourtant essentiels à nos vies.
"Toutes ressemblances existant avec des personnes ou des événements ayant existé... pure coïncidence". La formule consacrée signalait dans le passé les oeuvres d'imagination et en lisant le bref roman de Quentin Lafay, on ne peut s'empêcher de s'interroger si l'auteur s'est inspiré d'une expérience personnelle pour écrire son livre. Il a fait partie de l'équipe du candidat Emmanuel Macron lors de la dernière élection présidentielle, équipe qui a été victime d'un piratage informatique. Il a depuis quitté la politique et on lui doit un des rares articles intéressants écrits sur l'affaire Benalla, article publié dans le toujours inspiré Vanity Fair.
Piratage et implosion de la vie privée
Pas de politique dans ce roman au style élégant et classique, mais une analyse des conséquences d'une attaque survenue dans une sorte de cabinet de conseil où travaille le narrateur. Responsable de la fuite en raison d'un clic sur un lien qu'il n'aurait pas dû faire, il voit son adresse de courriel privé piratée. C'est une bombe à fragmentation dans sa vie qui donne lieu à une sorte de "haïku" :
"Les pirates sont-ils mes ennemis ?
L'invisible est impossible à haïr.
Impossible à pardonner"
Qui assumerait de voir ses écrits vus et lus par tous ? L'argument selon lequel on ne risque rien si on n'a rien à cacher tombe évidemment, car Quentin Lafay nous rappelle que nous avons tous quelque chose à cacher, même s'il s'agit de choses apparemment sans importance, "le misérable tas de petits secrets" qui fait qu'un Homme est Homme selon Malraux.
"J'ignorais alors que l'intimité est autre chose, qu'elle n'est ni une collection d'objets, ni la somme des secrets enfouis, ni même l'accumulation de souvenirs inavouables, mais un ensemble vital et insaisissable de non-dits, d'affects, de traces, de stigmates, que l'Autre peut difficilement effleurer, et qui forme la part inaliénable et essentielle de ce que nous sommes".
Quand les réseaux sociaux s'en mêlent
Peu à peu le monde du narrateur se délite. Il découvre que son employeur a des activités plus que limites. Il y a l'ami qui découvre ce que l'on a dit de sa conjointe, l'amoureuse qui lit des doutes. Rien d'essentiel, mais tous ces petits arrangements qui font nos vies, ces secrets qu'on confie qui prenne une ampleur inédite à l'ère des réseaux sociaux, où chacun se permet de juger autrui sans connaître le contexte. Les ambiguïtés deviennent trahisons, les doutes la preuve d'une corruption.
Ce court roman (ou cette longue nouvelle) est parfaitement construit et se termine dans les règles de l'Art. On ne dira rien de la chute qui est un petit bijou d'ironie sur nos vies à l'heure du mariage des technologies numériques et du marché. Et si les derniers livres politiques étaient des romans...
L'intrusion Quentin Lafay Edition Gallimard 14 euros
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