[Entracte-Livre] Avec "Protocole gouvernante", Guillaume Lavenant signe un premier roman aussi fort que singulier
Ecrit à la deuxième personne du pluriel, "Protocole gouvernante" est le récit d'une infiltration. Une jeune femme sonne à la porte d'une famille bourgeoise pour occuper le poste de gouvernante de la petite dernière. Mais il faut se méfier des apparences : cette intrusion en cache d'autres. Une réussite signée par un ingénieur de l'Insa Lyon.
Où sommes-nous ? Dans quel monde nous plonge Guillaume Lavenant avec ce "Protocole gouvernante" paru aux éditions Rivages ? D’ailleurs le titre lui-même est un mystère avec cette juxtaposition étrange de noms communs… Il y a bien peu d’auteurs qui sont capables dès la première page, les premières lignes de leur roman à créer un mystère. Ils sont encore moins nombreux à savoir le tenir sur deux cents pages sans que la tension jamais ne se relâche. Guillaume Lavenant est de ceux-là et c’est d’autant plus remarquable qu’il s’agit du premier roman de cet ingénieur diplômé de l’Insa Lyon.
Tout est déjà écrit, mais par qui
Le récit est mené à la deuxième personne du pluriel. Le livre s’adresse donc à vous. Mais ce n’est pas vraiment vous, mais la fameuse gouvernante qui va venir travailler dans une famille très classe moyenne supérieure de l’Ouest parisien. Un couple, deux enfants, une belle maison, une jolie voiture. "Ce à quoi vous devez vous attendre, vous le trouverez décrit dans ces lignes", prévient le narrateur étrangement absent de ce roman qui décrit donc par le menu tout ce qui va arriver. Tout est déjà écrit, mais par qui ?
Deux narrations sont menées parallèlement : celle d’un feuilleton suivi avec intérêt par la maîtresse de maison et la gouvernante et celle des auteurs de ce manifeste étrange issu d’un groupuscule plus ou moins secret. Qui sont Straub et Lewis ? Que veulent-ils ? Que recherchent-ils ? On le découvre peu à peu avec plus ou moins d’effroi, avec aussi d’étranges échos avec l’actualité de ces dernières années (Les black blocks ou le groupe de Tarmac… car un groupe œuvre dans la clandestinité avec des motivations pas vraiment connues). "… chacun s’activant dans les couloirs du palais, démontant les hauts panneaux de bois, faisant chuter les lustres décrochant les tableaux, enfonçant les portes les unes après les autres…"
Mini causes, maxi effets
Pendant ce temps, la gouvernante se livre à un micro sabotage quotidien, comme si elle menait une expérience scientifique (le fameux protocole) sur la théorie du chaos : un micro phénomène répété à l’infini peut être invisible mais finit par produire avec du temps des effets majeurs. "Nous devons veiller sur tous, disait Lewis, veiller sur tous, ne rien abîmer, transformer, transformer sans cesse."
C’est que la fluidité de la lecture ne doit pas masquer la remarquable qualité d’écriture de ce roman. Style neutre, peu d’images, emploi de la deuxième personne du pluriel, le tout tenu sur toute la longueur, font de ce récit un ouvrage particulièrement singulier dans le paysage littéraire français. Ce roman possède une véritable rigueur géométrique "Des lignes et des corps, disait Lewis. Des lignes et des corps qui s’entrechoquent dans un certain volume nous ne sommes pas plus que cela. Rappelez-lui les mots de Lewis, nous ne sommes pas plus que cela. Rappelez-lui les mots de Lewis, des lignes, dites-lui cela, des lignes et des corps soumis aux aléas du vent…"
Qu’adviendra-t-il de ce protocole minutieux ? Atteindra-t-il son but ou échouera-t-il et si oui pourquoi ? En refermant le roman, on réalise que la réponse, outre qu’elle met fin à un suspense, ouvre à un vertige existentiel quasi-métaphysique.
Protocole gouvernante, Guillaume Lavenant, Editions Rivages, 18,50 euros
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