[Energie] Pourquoi les objectifs d’effacement ne seront pas atteints
Le gisement technique d’effacement dans l’industrie et le tertiaire est de supérieur à 6 GW, selon une étude de l’Ademe. Mais pour le rendre accessible, il faudrait rémunérer au moins à 60 €/kW/an cette capacité. On en est loin.
La dernière programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) fixe à 5 GW en 2018 et 6 GW en 2023 le développement de capacités d’effacement en France. En 2016, le transporteur d’électricité RTE, qui gère le mécanisme, estimait les capacités entre 2,5 et 3 GW, contre 6 GW en 1997 (mais le panaorama industriel n’est pas le même). On est donc loin du compte.
Pour mémoire, l'effacement de consommation électrique consiste, en cas de déséquilibre offre/demande d'électricité, à provisoirement réduire la consommation physique d'un site donné ou d'un groupe d'acteurs. Les entreprises s’engagent, contre rémunération, à arrêter de tirer sur le réseau à la demande de RTE, soit en déplaçant dans le temps leur production, soit activant une autre source d’énergie (comme un générateur à fioul). C’est plus la capacité à effacer, que l’acte lui-même, qui aujourd’hui est valorisée sur les marchés. 95 % des revenus liés à l’effacement concernent des rémunérations capacitaires.
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Est-il possible de combler le gap entre les objectifs de la PPE et le potentiel d’effacement des consommateurs en France ? Où faut-il revoir à la baisse les objectifs d’effacement dans la prochaine PPE, qui va être rediscutée cet automne ? Une étude de l’Ademe, publiée à l’occasion du deuxième colloque Energie Industrie, qui se tient du 25 au 27 septembre à Montrouge (Hauts-de Seine), ne répond pas à ces questions, mais apporte des éléments à la discussion. Les experts de l’Ademe ont en effet cherché à évaluer le potentiel d’effacement par modulation de process (et non par substitution) dans l’industrie et le tertiaire en Métropole.
Un gisment théorique de 6,5 à 9,5 GW
Selon l’étude, le gisement technique d’effacement par modulation de process de courte durée (c’est-à-dire de moins de 30 minutes), est estimé entre 6,5 à 9,5 GW (selon les scénarios) en cumulé pour l’industrie et les secteurs du tertiaire. 70 % de ce potentiel, soit environ 5,7 GW, se trouvent dans l’industrie, principalement dans les secteurs de la métallurgie (24 %), la mécanique (20 %), la chimie (13 %) et le papier (13 %). Dans l’industrie, 40 % du gisement concerne les usages thermiques (fours, principalement) et 30 % les usages "moteurs" (broyage, laminage, air comprimé…). Le potentiel chute à 5,2 lorsque l‘effacement doit être de deux heures et à 4,5 GW pour une activation de 8 heures.
Pour le tertiaire, qui représente 30 % du gisement technique (2,5 GW environ) ce sont les bureaux qui constituent plus de 50 % du potentiel (1,4 GW), suivi du grand commerce alimentaire (20 %) et du traitement de l’eau (20 %), à 40 % grâce à des actions sur les usages thermiques (froid, chauffage et climatisation). Pour une activation de deux heures le potentiel chute à 1,5 GW et pour huit heures à 0,7 GW.
DES FREINS FINANCIERS
Le potentiel pour remplir les objectifs de la PPE serait donc là, sauf si l’on s’intéresse aux aspects économiques. Selon l’étude de l’Ademe, le gisement technico-économique de l’effacement en France dépend du niveau de rémunération. Il ne serait plus que de 1,5 à 3,6 GW (selon les scénarios) pour des rémunérations de 30 €/kW/an ou inférieur et entre 2 à 5 GW pour des rémunérations de 60 €/kW/an ou inférieure. Or aujourd’hui, s’il est difficile de donne un coût fixe à l’effacement, "il est de l’ordre de 10 €/kW/an", évalue Marion Bertholon, ingénieure, une des auteurs de l’étude de l’Ademe. Soit très en dessous du scénario le plus bas.
Les adeptes de l’effacement en France sont aujourd’hui principalement les électro-intensifs, pour lesquels l’effacement est entré dans leur process depuis longtemps. Selon l’étude de l’Ademe, les nouveaux gisements les plus accessibles sont concentrés dans les secteurs de la métallurgie, la chimie et l’industrie du papier. Ils sont beaucoup plus diffus dans le tertiaire. Pour transformer tous les gisements en capacités, il faudrait une rémunération de l’ordre de 100 €/kW/an.
Des objectifs surévalués
Les freins ne sont pas que financiers. Selon l’étude, qui tente une comparaison internationale peut convaincante avec les États-Unis, le Royaume-Uni et le Japon, ils ne seraient pas non plus d’ordre réglementaire, même si les dispositifs gérés par RTE restent très complexes. Les verrous seraient aussi liés à des questions d’organisation et de culture d’entreprise. Modifier le fonctionnement d’un outil de production est souvent complexe et mal vécu.
Mais les objectifs de la PPE ont-ils encore un sens, dans un contexte de surcapacité d’électricité, de bas coût et de montée en puissance des énergies renouvelables. "L’objectif 2018 a surement été surévalué", avance Marion Bertholon. L’étude de l’Ademe le laisse en tout cas penser, même si elle ne tient pas compte ni des politiques d’efficacités énergétiques, ni de la montée en puissance de l’autoconsommation. Elle pointe surtout une évidence : pour inciter à l’effacement, il faut une juste rémunération des services rendus. "L’idée serait d’apporte un complément de rémunération en plus du mécanisme de capacité", conclut l’expert de l’Ademe. La loi de transition énergétique pour une croissance verte de 2015 prévoit de nouveaux appels d’offres pour l’effacement. Il est encore temps d’en changer les règles.
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