Doliprane, Efferalgan : les génériqueurs sont prêts pour le Made in France
Face à l’ambition des pouvoirs publics de substituer des génériques aux Doliprane et Efferalgan, les laboratoires Sanofi et BMS agitent la menace d’emplois sacrifiés. Leurs sites de production seraient-ils vraiment en danger ? Enquête.
Depuis début décembre, l’inquiétude règne au sein des sites de production de Sanofi à Lisieux (Calvados) et Compiègne (Oise), et de Bristol Myers Squibb (BMS) à Agen (Lot-et-Garonne). Leur crainte ? Que des emplois soient menacés par l’intention de l’autorité sanitaire (l’ANSM) d’obliger les pharmaciens à fournir une marque de générique à la place de leurs médicaments, en cas de prescription d’un paracétamol. Les deux laboratoires détiennent un peu plus de 80% du marché français du paracétamol. Face à eux : une quinzaine de génériqueurs (Teva, Mylan, etc.).
Les usines tournent à plein à Lisieux et à Compiègne pour produire le Doliprane de Sanofi (250 millions d’euros de ventes en 2013) et à Agen pour l’Efferalgan et le Dafalgan de BMS. "A Agen, nous fabriquons 37% du paracétamol consommé en France, soit 200 millions de boites, insiste Benoît Gallet, vice-président de BMS France, en charge des affaires publiques. La production du paracétamol correspond à 60% de nos volumes." Le syndicat CFE-CGC de la branche industrie pharmaceutique dénonce une mesure qui "toucherait respectivement 580 emplois chez Sanofi et 1400 chez BMS, en intégrant les sites de production, les sites de distribution, les forces de ventes, les fonctions support, ainsi que 4000 emplois indirects", selon Isabelle Fréret, sa représentante.
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Indice de prix de production de l'industrie française pour le marché français − CPF 20.1 − Produits chimiques de base, engrais, Produits azotés, plastiques, caoutchouc synthétique
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Sanofi n’exclut pas de produire son propre générique
Ces usines sont-elles vraiment en danger ? Il existe des solutions pour maintenir les volumes malgré la concurrence des génériques. Comme celle adoptée par Sanofi lors de la perte du brevet de certains médicaments phare : produire son propre générique sur le même site que le traitement d’origine. "Ce serait possible, mais le marché du paracétamol remboursé est déjà à un niveau de prix limité. C’est une commodité. Il est réparti entre plusieurs acteurs, donc nous sommes déjà en situation de jeu concurrentiel où rajouter du générique ne ferait que tirer tout le monde vers le bas", juge Patrick Biecheler, associé du cabinet de stratégie RolandBerger.
La délocalisation en Inde en cas de politique de coût trop drastique
Christian Lajoux, le président de Sanofi France, ne balaie pourtant pas cette option. "Nous ne l’avons pas aujourd'hui, mais nous n’excluons pas la possibilité d’avoir notre propre générique, confie-t-il à L’Usine Nouvelle. La difficulté que nous avons, c’est qu’une boite de 8 comprimés de Doliprane sort déjà de l’usine à 86 centimes ! Nous avons donc une marge en termes de coûts de production qui est infinitésimale. C’est d’ailleurs pour cela que les concurrents génériques sortent à 82 centimes ! Même si nous avions notre propre auto-générique, nous n’arriverions pas à le vendre moins cher. La seule façon de descendre plus bas, c’est d’aller fabriquer ce produit à Goa, en Inde. Ce que tout le monde veut éviter !"
En Angleterre, Sanofi disposait ainsi d’une usine de production de paracétamol. Qu’il a fermé, suite à une politique locale de prix jugée trop drastique. Il a depuis délocalisé sa production… à Goa. Chez BMS, l’auto-générique est hors de question. "Nous ne sommes pas des génériqueurs. Ce n’est pas du tout dans la politique de l’entreprise, qui a choisi de se focaliser sur l’innovation", insiste Benoît Gallet.
Les façonniers peuvent prendre la relève
Il existe d’autres options. Comme de nouer un partenariat avec un façonnier pour qu’il s’engage à fabriquer le générique en France. Une initiative initiée avec succès par l’américain Lilly et le sous-traitant Delpharm. "C’est possible si le paracétamol est inscrit au répertoire, mais encore une fois le contexte concurrentiel ne s’y prêterait pas et les impacts seraient au global défavorables, notamment pour le maintien d'une production sur le sol français", assure Patrick Biecheler. Le paracétamol étant le produit le moins cher du marché français, il n’y a pratiquement plus d’élasticité en termes de coût de production, selon les industriels.
Sanofi et BMS assurent que les fabricants de génériques ne pourront pas assurer la production des nouveaux volumes en France. Ce qu’un génériqueur dément pourtant fermement : "Les paracétamols des génériqueurs sont quasiment tous fabriqués en France, car ils sont généralement sous-traités à des façonniers. Et je pense que ces derniers seraient très contents de récupérer ces volumes !" Chez les fabricants de génériques, on est donc plutôt favorables à la substitution. A condition qu’elle ne se traduise pas par de nouvelles baisses de prix ? Le syndicat de l’industrie des génériques, le Gemme, ne souhaite pas, officiellement, prendre position sur ce sujet "très politique".
L’option du déremboursement avancée par Sanofi
Sanofi indique étudier toutes les options pour sauvegarder ses usines. Le groupe suggère même la possibilité d’un déremboursement du paracétamol. Etonnant, alors que son Doliprane était le cinquième médicament le plus remboursé en France en 2012, à hauteur de 276 millions d’euros ? "Je ne suis pas en train de demander un déremboursement brutal, mais je prône une vraie réflexion sur l’automédication maitrisée, précise Christian Lajoux. Cela veut dire en concertation avec les autorités de santé, les médecins et les associations de patients. A la différence de la France, le paracétamol n’est pas remboursé dans les autres pays européens. Devant une situation fermée, ce serait la moins mauvaise des solutions."
L’automédication ne représente qu’un quart du marché du paracétamol en France. Le déremboursement conduirait sans doute à une chute des ventes des différentes marques, même s’il offrirait à Sanofi la possibilité de fixer le prix de son choix… "Il y aurait un risque de perte de ventes pour Sanofi, mais on le prend, et on peut envisager de négocier avec les autorités de santé dans un couloir de prix qui soit satisfaisant pour les patients", affirme Christian Lajoux. Les laboratoires doivent rendre leur copie à l’ANSM le 6 février, avant qu’elle ne rende son verdict.
Gaëlle Fleitour
Une décision éminemment politique
Le ministère de la Santé, soucieux de baisser les prix des médicaments et d’instituer plus de concurrence dans le secteur, aura-t-il le dernier mot ? Ou bien le ministère du Redressement productif volera-t-il au secours des emplois menacés ? La question des génériques du paracétamol devrait être tranchée en dernier lieu par le Premier Ministre, a précisé Arnaud Montebourg. Chez Sanofi, on essaie donc de mettre l’accent sur l’intérêt du gouvernement. "Lors de la crise H1N1, le gouvernement nous a demandé de doubler la production de paracétamol. Nous avons pu le faire car nous avions des sites français, mais si nous sommes obligés de couper nos marges et que nous ne pouvons plus pérenniser nos sites, on priverait le gouvernement français de ce levier", affirme ainsi Christian Lajoux, son président.
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