De la littérature avec des malles Vuitton
La maison Louis Vuitton a sollicité onze écrivains contemporains pour écrire des nouvelles autour d’histoires de malles, en plongeant dans les archives de la maison. Si l’objectif publicitaire de l’ouvrage est clair au départ, il finit pourtant par lui échapper grâce aux talents d’un certains nombre d’’écrivains.
Les grandes marques de luxe savent que pour continuer à vendre cher à une clientèle exigeante et toujours plus sollicitée leurs produits artisanaux-industriels, il leur faut cultiver un supplément d’âme. A ce titre s’inscrire dans l’histoire, s’associer à des artistes, dialoguer avec des créateurs ou investir des lieux de culture, sont un bon calcul. En la matière LVMH excelle. L’entreprise avait déjà posé ses bagages, au Musée des Arts décoratifs en 2012 pour une exposition autour de malles anciennes de la maison, pas si exceptionnelles, destinées à emballer des robes du 19e siècle du musée de la mode, qui l’étaient nettement davantage.
Elle tente le coup cette fois-ci en misant sur la littérature avec la complicité de la maison Gallimard. On avait déjà été passablement agacé par l’exposition du Musée des Arts décoratifs qui traçait, entre robes anciennes et créations récentes de la maison, des parallèles particulièrement artificiels entre la personnalité de Louis Vuitton, le fondateur, et le styliste en chef actuel de la maison, Marc Jacobs (il faut bien que commerce se passe). C’est peu de dire donc que nous attendions donc l’objet littéraire avec circonspection. Cet objet qu’elle est-il ? Un recueil de nouvelles intitulé "La Malle".
Des mots de malles
Onze écrivains français contemporains ont été invités par Vuitton à imaginer une nouvelle autour d’histoires de malles, cartons à chapeaux, flaconniers ou attaché-case. Leur imagination pouvait être stimulée par les archives de la maison qui conservent la trace des péripéties avec ses clients prestigieux ou excentriques ainsi qu’un épais dossier de presse puisque Gaston-Louis Gallimard, le petit-fils du fondateur, avait l’étrange manie de collecter tout les faits divers où intervenait des histoires de malles (diplomatiques, sanglantes, perdues...).
Au final, le résultat est plutôt réjouissant et certaines nouvelles sont particulièrement réussies. La palette de couleur est aussi variée que la personnalité des écrivains sollicités. Yann Moix a troussé une nouvelle épistolaire pleine d’humour sur un solliciteur importun qui tente par tous les stratagèmes de se faire offrir pour son employeur, Sacha Guitry, une malle et un carton à chapeau. Marie Darrieussecq, imagine une étrange nouvelle d’anticipation sur une planète colonisée par des humains où l’un des agents fait de l’archéologie dans un vaisseau de terrien qui a "assolit" dans le plus grand secret. Véronique Ovaldé ressuscite la dernière mission de Pierre Savorgnan de Brazza, le colonisateur du Congo, dont le rapport secret sur les traitements dégradants infligés aux africains caché dans une malle à double fond sera finalement enterré par le gouvernement français qui le lui a commandé. Virginie Despentes nous embarque sur la première classe d’un paquebot brésilien avec l’auteur d’un crime passionnel qui a caché son forfait sanglant dans une malle pour s’en débarrasser au large. Certaines nouvelles sont un peu en dessous. David Foenkinos nous perd dans le récit paresseux du duel qui opposa Vuitton au célèbre prestidigitateur Houdini.
L'imagination au service de Louis Vuitton
En réalité, avec cet ouvrage, la maison Louis Vuitton montre qu’un exercice de style serré peut débrider la "folle du logis", comme Nicolas Malebranche dénommait l’imagination. Elle prouve aussi que oui, de grands écrivains peuvent faire de la littérature avec une malle, qu’elle qu’en soit la marque, mais qu’ils auraient tout aussi bien pu le faire avec un bouton de culotte. Le principal intérêt est que Louis Vuitton a pu s’embarquer en passager clandestin dans l’univers de chacun. Et finalement cela n’est pas si grave pour le lecteur s’il y a du plaisir de lecture à l’arrivée.
Anne-Sophie Bellaiche
"La Malle", ouvrage collectif de Véronique Ovaldé, David Foekinos, Yann Moix, Patrick Eudeline, Virginie Despentes, Philippe Jaenada, Bruno de Satbenrath, Fabienne Bertaud, Nicolas d’Estienne d’Orves, Juliette Abécassis, Marie Darieusecq.
Edition Gallimard, 337 pages.
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