De l’hydrogène blanc dans le bassin houiller lorrain
Environ 46 millions de tonnes d’hydrogène naturel, soit plus de la moitié de la production mondiale d’hydrogène actuelle : c’est le trésor inattendu que pourrait renfermer le sous-sol du bassin houiller lorrain. La découverte a été faite par Philippe de Donato et Jacques Pironon, chercheurs et directeurs de recherche au CNRS (laboratoire GeoRessources - Université de Lorraine/CNRS), accompagnés de leurs collègues. Initialement, il était question de recherches sur le méthane. « Nous pilotons un programme de recherche qui s’appelle Regalor (REssources GAzières de LORraine), commencé en 2018 sur une demande initiale de la région Lorraine. Elle s’appuyait sur des analyses réalisées en 2012 par l’Ifpen (Institut Français du Pétrole et des Énergies Nouvelles) à partir de forages réalisés dans le bassin houiller lorrain, qui avaient montré qu’il y avait du méthane dans les veines de charbon », raconte Philippe de Donato. Les projections à l’ensemble du bassin donnaient le tournis : 370 milliards de mètres cubes, soit 8 années de consommation annuelle française.
Etudier l'exploitabilité du méthane
Le programme Regalor a alors pour objectif d’étudier l’exploitabilité de ce gaz : « est-ce qu’il y en a suffisamment ? Est-ce que sa teneur est homogène sur le territoire lorrain? Est ce qu’il est pur ? Nous avions toute une série de questionnements, et pour y répondre, nous avons eu l’idée de créer un outil qui nous permette d’aller voir dans le sous-sol, directement au contact des veines de charbon », ajoute le spécialiste. Pour cela, les chercheurs ont imaginé, en collaboration avec la société Solexperts, une sonde capable d’emprunter les puits de forage déjà existants, et qui puisse descendre jusqu’à 1100 mètres de profondeur. « Il nous a fallu deux ans pour la concevoir, car c’était un véritable challenge. D’abord elle doit pouvoir descendre à 1100 mètres, où les pressions sont de l’ordre de 100 à 110 atmosphères (bars). Par ailleurs, à ces profondeurs, le milieu est ennoyé, donc il faut que la membrane de la sonde puisse laisser passer le gaz en bloquant l’eau. C’est le principe du Gore-Tex mais appliqué aux hautes pressions des profondeurs », indique Philippe de Donato.
Une sonde unique au monde
A cela s’est ajouté un challenge supplémentaire, note-t-il : « Dans le cadre de ce programme, notre partenaire industriel, la Française de l’Energie, a mis à la disposition de notre communauté scientifique un site d’expérimentation en Moselle-Est, le site de Folschviller. Sur ce site il y a un petit puits d’exploration extrêmement intéressant parce qu’il est vertical et qu’il traverse toutes les couches de charbon, comprises entre 600 et 1200 mètres ». Problème : ce puits fait 6 cm de diamètre. La sonde a donc dû s'adapter à ces conditions en miniaturisant l’ensemble des composants, ce qui en fait un outil unique dans le monde.
Un gisement d'hydrogène naturel économiquement intéressant
L’exploration a alors pu commencer, et des mesures ont été effectuées à différents paliers à 100 mètres, 600 mètres, 800 mètres et 1100 mètres. Et au fur et à mesure de ces paliers, les chercheurs ont constaté que le sous-sol contenait non seulement le méthane attendu, mais aussi, et à la grande surprise des chercheurs, des quantités de plus en plus importantes d’hydrogène. De moins d’1% à 100 mètres à 6% environ à 800 mètres et 15 à 17% à 1100 mètres de profondeur. « Et 15 à 17%, cela devient un gisement d’hydrogène naturel économiquement intéressant », précise le spécialiste. Etant donné que ce gisement produit lors du carbonifère lorrain mesure plus de 6 kilomètres d’épaisseur, les chercheurs estiment, grâce à leurs simulations, qu’à 3000 mètres, avec les conditions de température, de pression, de teneur en oxygène quasi nulle, la teneur en hydrogène du gaz pourrait atteindre 90%, « du jamais vu sur la planète ».
Un eldorado potentiel
Mais comment se serait formé cet hydrogène ? « L’hypothèse que nous faisons et que nous allons confirmer dans les deux ou trois mois qui arrivent est que le sous-sol est riche en phases minérales de type carbonate ferreux. Et ce carbonate ferreux réagit avec les molécules d’eau, la réduit pour produire de l’hydrogène. Si cette hypothèse est vérifiée, cela devient encore plus intéressant, car on a affaire à de l’hydrogène blanc, qu’on peut qualifier de renouvelable puisque cette réaction continue de se produire », pointe Philippe de Donato. Actuellement, l’équipe travaille à la suite de Regalor, qui prendra fin en décembre 2023, une suite orientée sur l’exploration et l’extraction. « A très court terme, nous avons sélectionné trois autres puits situés dans un périmètre d’à peu près une vingtaine de kilomètres autour du puits de Folschviller, dans lesquels nous allons faire des mesures. Cela nous donnera des informations à la fois sur l’étendue et l’homogénéité de la teneur en hydrogène. Et si l’on confirme ces concentrations, on n’est pas loin d’un eldorado », s’enthousiasme Philippe de Donato.
Extraire l'hydrogène dissous dans l'eau
Ensuite, l’exploration va les amener à sortir de la dimension régionale pour l’interrégionale - la région Hauts-de-France, notamment, souhaiterait aussi sonder le sous-sol de son bassin houiller. Puis ils continueront l’exploration au niveau européen et international. Pour le moment, seul un autre gisement d’hydrogène naturel est connu, au Mali. Enfin, une fois les gisements identifiés, se pose la question de l’extraction de cet hydrogène. « L’objectif, explique Jacques Pironon, serait de pouvoir extraire l’hydrogène dissous dans l’eau en fond de puits pour le remonter en surface. On sort des techniques conventionnelles d’extraction et de production de gaz du sous-sol. Il faut inventer des nouveaux systèmes pour pouvoir désorber ce gaz. On a un certain niveau de confiance dans la mesure où, plus on descend en profondeur, plus la pression des fluides augmente. Donc le différentiel de pression entre le fluide en milieu profond et la pression atmosphérique augmente, et très naturellement le gaz va remonter. Pour faire court, on a des bases, mais pour l’instant nous n’avons pas la solution en matière de production, cela reste un questionnement que l’on partage avec l’industrie aujourd’hui ».
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