Pour son premier roman, Vanessa Bamberger s'intéresse à un patron de PME au-delà de la crise de nerfs. A force d'encaisser les coups du sort et du marché, Thomas se retrouve entre la vie et la mort, dans un service de réanimation. Ce fervent partisan de l'industrie qui produit des valves pour un médicament destiné aux asthmatiques est littéralement à bout de souffle. Aux clichés ou aux ouvrages désincarnés sur l'économie, "Principe de suspension" oppose un regard précis sur le difficile métier de dirigeant et signe un roman mêlant l'intime et le professionnel avec justesse.
Mais qu’est-il arrivé à Thomas, ce grand gaillard au physique de tombeur, courageux pour deux, dont la vie ne tient que grâce à un tuyau qui le relie à une machine à respirer ? Un comble pour ce quadragénaire qui a racheté une PME industrielle de l’Ouest de la France, notamment parce qu’il aime y voir le travail des hommes et la mécanique parfaite des machines. Ce qui n’est pas simple dans la France d’aujourd’hui : “Jamais un merci, jamais un signe de reconnaissance. C’était ce qui leur manquait, à tous ici, quels que soient leur place et leur salaire : la reconnaissance. Il n’y avait plus la moindre fierté à travailler dans l’industrie en France, patron ou pas. Les Français n’aiment pas leur industrie, sous estiment les métiers techniques, de l’ouvrier à l’ingénieur, contrairement aux Allemands et aux Italiens”.
Car pour son premier roman, Vanessa Bamberger a choisi de raconter le burn-out d’un patron de PME sous pression. La description est tellement précise qu’on pourrait croire qu’il s’agit d’une fiction inspirée de l’étude réalisée l’an dernier par la banque publique d’investissement sur la solitude du dirigeant. Tous les ingrédients sont réunis : une petite entreprise, sous-traitant unique d’un grand groupe, un dirigeant seul qui garde la face en toute occasion et peine à exprimer ce qu’il vit, des collaborateurs loyaux jusqu’à un certain point… Et une fuite dans le travail aux allures de cercle vicieux, plus il travaille, plus il est seul ; plus il est seul plus il travaille.
Précision de la description et justesse des personnages
Cette précision de la description n’a rien d’étonnant puisque, nous apprend le dossier de presse, l’auteure est journaliste et a réalisé de multiples interviews pour écrire ce roman. Elle possède incontestablement un talent d’observation, en particulier quand elle raconte l’effet du travail sur les corps : “tous (les salariés les plus jeunes) acceptaient les sacrifices physiques en gardant l’oeil sur leur fiche de paye et pas sur leurs collègues quadragénaires qui ressemblaient déjà à de vieux messieurs”.
Reste que si le cadre est des plus crédibles, le roman ne s’arrête pas là et va au-delà de ses déterminants socio-économiques. "Principe de suspension" est un vrai roman à la construction maîtrisée, alternant scène à l’hôpital autour du corps de Thomas et récit des circonstances qui l’y ont conduit, créant un vrai suspense psychologique. Jusqu'au dénouement où l'épreuve s'avère salvatrice pour la Pme mais où le happy end est finalement en demi-teinte.
Surtout, elle ne limite pas les personnages à leur statut social. Et Thomas est sûrement un personnage plus complexe qu’il n’y paraît. “L’idée de subir à nouveau le regard d’inspecteur du travail de son mari la fait frémir” se surprend à penser Olivia, son épouse. C’est pourtant le même Thomas qui “n’avait pas investi dans des presses plus performantes pour faire face à la concurrence et à la pression de HFL, mais qu’il était sincèrement persuadé qu’elles auraient pour effet de diminuer la pénibilité : les emplois qu’elles faisaient disparaître étaient de faible intérêt ou alors très ingrats, exigeant des gestes répétitifs aux répercussions épouvantables sur la santé des opérateurs.”
La comédie du pouvoir
"Principe de suspension" raconte aussi plutôt bien la comédie du pouvoir au sein d’une PME, avec ses personnages obligés : les dupont et dupond syndicalistes (ce sont deux frères dans le roman) le fidèle directeur de site, le directeur de l’innovation charismatique ou encore le rejeton du précédent propriétaire devenu DRH.
Ce qui frappe surtout, c’est qu’en quelques mois, c’est la deuxième fois qu’un écrivain propose une sorte de réhabilitation du dirigeant de PME, sortes de héros résistant contre la mondialisation et la financiarisation de l’économie. Comme un retour du small is beautiful en version française. Dans Sous la vague, Anne Percin faisait de l’héritier d’une maison de cognac un résistant contre les menées d’un grand groupe de luxe qui cherchait à tourner la page de la tradition. Là, Vanessa Bamberger montre un petit patron seul et isolé, littéralement essoré par son donneur d’ordre, un grand groupe international qui délocalise à l’Est, sans souci des emplois locaux dans son usine et chez ses sous-traitants. Comme un remord et un regret à la mémoire de ces patrons loin des rémunérations des stars du Cac 40. “Il n’était pas commode, et il avait des oursins dans les poches, mais c’était un patron courageux et exemplaire. Il prenait moins de vacances que ses ouvriers. Il donnait l’exemple. Il était fier de sa réussite, mais à part pour lui mettre des bâtons dans les roues, les élus locaux ignoraient son existence. Pourtant c’est une belle histoire, l’histoire d’un vrai patron, qui aurait pu inspirer les jeunes de la région. Parce que les jeunes de la région, ils n’ont pas de modèle, alors ils n’ont pas de respect”.
Christophe Bys est grand reporter à L'usine Nouvelle. Il a été rédacteur en chef adjoint de Stratégies Télécoms et Multimédias et rédacteur en chef de Sociétésdelinformation.net au cours des années 2000. A L'Usine Nouvelle, il suit de près les questions liés aux ressources humaines et au management et, plus généralement tout ce qui concerne le futur du travail. Il présente le podcast consacré aux femmes de l'industrie, anime Le pitch du lundi et est responsable éditorial du hors série annuel "Le guide de l'ingénieur"
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