[Coronavirus] Comment les respirateurs artificiels sauvent les cas critiques

Emmanuel Macron a annoncé, ce 31 mars, qu’un consortium de quatre industriels français (Air Liquide, PSA, Schneider Electric et Valeo) allait produire 10 000 respirateurs médicaux d’ici mi-mai. Pourquoi cet équipement médical est-il si crucial pour sauver les cas critiques de Covid-19 ? Comment fonctionne-t-il exactement ? Industrie & Technologies a interrogé des experts.

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[Coronavirus] Comment les respirateurs artificiels sauvent les cas critiques

Alors que la vague de cas de Covid-19 continue d'enfler en Europe et aux Etats-Unis, les respirateurs artificiels s'imposent en enjeu prioritaire. Ce 31 mars, le consortium d'industriels VentilatorChallengeUK s'est formé au Royaume-Uni pour en produire, suivi en France par un consortium autour d'Air Liquide, qui vise à fabriquer 10000 respirateurs d'ici mi-mai. Vendredi 27 mars, Donald Trump avait déjà imposé à General Motors de s'y mettre.

Et pour cause : les respirateurs artificiels sont le principal moyen de sauver les trop nombreux patients que le Covid-19 plonge dans un état critique. Ces patients développent un syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA), qui se manifeste par l'inflammation de nombreuses zones du poumon.

« Au niveau de ces zones enflammées, le poumon "s'effondre", c'est-à-dire qu'il n'est plus capable de s'ouvrir et de se remplir d'air. A la place, il se remplit de différents fluides dus aux processus d'inflammation », décrit Julian Botta, médecin-urgentiste au John Hopkins Hospital, à Baltimore. Le patient ne peut plus respirer correctement, il doit être intubé. On lui introduit une sonde respiratoire par la bouche jusqu'à la trachée, après lui avoir administré du curare, un anesthésiant musculaire.

La ventilation mécanique, un principe physiologiquement opposé à la respiration naturelle

Une fois intubé, le patient ne respire plus du tout par lui-même, la mécanique du respirateur artificiel doit prendre le relais. « L’appareil lui apporte ce qu’on appelle le volume courant, soit le volume nécessaire à chaque inspiration, pour pouvoir permettre son oxygénation et l’évacuation du dioxyde de carbone (CO2) », précise un spécialiste de la ventilation médicale, employé chez un fabricant de respirateurs et enseignant sur le sujet à l'université.

La sonde respiratoire est ainsi reliée aux deux branches du respirateur, une inspiratoire et une expiratoire. Le respirateur est connecté à des gaz médicaux, air et oxygène – ou, parfois, seulement air – mis à disposition par l’établissement médical et envoyés dans la branche inspiratoire par un propulseur.

« Quand on parle de ventilation mécanique, il s’agit d’un principe physiologiquement opposé à ce qu’il se passe lorsqu’on respire de manière spontanée, détaille l’enseignant. Lorsque vous respirez naturellement, les muscles inspiratoires tirent sur la cage thoracique qui s’étend et la pression négative générée dans cette cage thoracique fait rentrer le volume courant d’air. En ventilation mécanique, on insuffle le volume courant dans les poumons du patient, placé dans une sorte de "coma artificiel", et la cage thoracique répond à cette pression en se gonflant. »

Sensibilité extrême des poumons à la pression

Or, en cas de SDRA, « les poumons deviennent extrêmement sensibles à la pression », pointe Julian Botta. Si ce n’était pas très dangereux lors de la courte phase de pré-oxygénation, à long terme, une trop grande concentration d'oxygène ou une pression trop importante lors de l’insufflation « peut créer des lésions sur les tissus pulmonaires », poursuit-il. « De plus, les zones enflammées ne sont pas toutes réparties au même endroit. D'autres parties du poumon fonctionnent normalement et pourraient elles aussi souffrir d'être exposées à des pressions trop importantes et s'enflammer à leur tour. Si vous envoyez de l'air à trop forte pression, vous détériorez les parties saines des poumons. Si vous n'en envoyez pas assez, vous ne comblez pas le manque de ventilation dû aux parties infectées. »

C’est pourquoi les respirateurs de réanimation classiques, vendus par Air Liquide Healthcare, GE Healthcare, Dräger, Löwenstein, Getinge, Hamilton ou encore Medtronic sont équipés de détendeurs qui régulent la pression d’entrée de chaque fluide, l’air et l’oxygène, paramétrés par le praticien en fonction de la fraction inspirée en oxygène (FiO2), soit la quantité d’oxygène présent dans le mélange gazeux envoyé aux patients.

Dosage délicat

Pour une personne en bonne santé, la FiO2 tourne autour de 21% d’oxygène, mais elle peut être bien supérieure pour un individu souffrant de SDRA. « Dans un respirateur industriel, il n’y a pas vraiment de mélangeur : on fait venir un certain débit d’air et un autre d’oxygène et l’on régule grâce à une valve électro-magnétique proportionnelle, une sorte d’aimant dans lequel on fait passer un certain courant électrique qui fait déplacer une bille en métal qui ouvre plus ou moins la valve », décrit le spécialiste des respirateurs industriels.

Malheureusement, selon Julian Botta, les médecins naviguent un peu à vue : « Il n'y a aucun moyen de savoir très exactement la part du poumon qui fonctionne et celle qui ne fonctionne pas. Les médecins doivent donc contrôler très précisément que la quantité inoculée ne force pas sur les parties en bonne santé. » Les médecins doivent donc être très prudents sur la quantité de gaz envoyée. C’est la raison pour laquelle les respirateurs industriels fonctionnent selon deux modes dits de « ventilation protectrice » :

  • Le mode « volume contrôlé », qui permet de déterminer un volume, de l'inoculer puis de voir l'effet sur le niveau de pression dans le poumon.
  • Le mode « pression contrôlée », qui permet d'envoyer de l'air jusqu'à ce que l'on atteigne un certain niveau de pression et vérifier ensuite le volume d'air qu'est capable de supporter le poumon.

« Historiquement, en France, les médecins travaillent avec le premier mode et le reste du monde avec le second », précise le spécialiste des respirateurs.

La pression expiratoire positive, la clé de la rémission du patient

En plus de fonctionner à revers de la respiration naturelle, le processus de respiration mécanique se découpe généralement non pas en deux phases - inspiration, expiration - mais en trois – inspiration, plateau, expiration – comme on le voit sur le graphique suivant. Cette phase permet justement aux praticiens d’inoculer les gaz avec le plus de précision possible en fonction des besoins du patient, souligne Julian Botta.

« Après la phase inspiratoire, il est crucial de pouvoir effectuer une manœuvre de retenue respiratoire. C'est une fonctionnalité qu'ont les respirateurs de réanimation qui permet de retenir l'expiration pendant environ 5 à 10 secondes afin d'équilibrer la pression entre le respirateur et les alvéoles pulmonaires et d'annihiler l'influence de l'intubation et de pouvoir mesurer l'exact pression dans les alvéoles. »

Enfin, les médecins traitant des patients souffrant de SDRA ne se contentent pas de les assister dans leurs processus de respiration : ils tentent bien sûr d’améliorer l’état de leurs poumons. Pour ce faire, il s’agit d’essayer de rouvrir le plus de zones pulmonaires infectées et de les garder ouvertes. « Généralement, placer les patients sur le ventre peut aider, par exemple, car cela permet à certaines parties du poumon de mieux s'ouvrir, grâce à la gravité », témoigne Julian Botta.

« En plus de cela, poursuit le médecin, vous devez être capable d'opérer une pression expiratoire positive [en anglais, positive end expiratory pressure, ou PEEP, ndlr]. Il s'agit d'appliquer une résistance lors de l'expiration pour empêcher le patient d'expirer aussi rapidement qu'il le ferait en temps normal. Imaginez, vous êtes dans une voiture qui roule très vite, vous ouvrez la vitre et glissez votre tête à l'extérieur, le vent contre votre visage. La pression expiratoire crée une sensation similaire. Une telle manipulation permet aux zones pulmonaires enflammées mais capables de s'ouvrir un petit peu de ne pas se refermer. Il est plus simple de les contraindre à rester ouverte que de les rouvrir encore et encore, ce qui peut en plus causer de nouvelles lésions et aggraver encore le problème. »

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