Comment réussir sa roadmap zéro CO2 : l’exemple de Faurecia
La réduction de l’empreinte CO2 s’inscrit comme un levier indissociable de la stratégie des industriels. Dans cette interview croisée, Yann Brillat-Savarin, Vice-Président Exécutif en charge de la stratégie du Groupe Faurecia, et Jean-Nicolas Brun, Directeur Exécutif Industrial & Services d’Accenture pour la France et le Benelux, donnent les clés pour comprendre les enjeux de la création, du déploiement et du suivi d’une roadmap zéro CO2 efficiente.
Quelle place occupe aujourd’hui la notion de « zéro CO2 » dans l’industrie ?
Yann Brillat-Savarin : La neutralité CO2 est devenue un enjeu essentiel, qui dépasse le seul cadre de l’industrie. La prise de conscience du réchauffement climatique est collective. Professionnels comme citoyens, nous avons une responsabilité vis-à-vis des générations futures. La crise sanitaire a conduit aussi à s’interroger sur notre modèle de croissance. Dans le secteur automobile, les planètes s’alignent. Les nouvelles régulations en faveur d’une mobilité zéro émission viennent conforter les engagements des acteurs de la filière. Ainsi, en 2020, Faurecia a pris l’engagement de devenir neutre en CO2 dès 2025 pour les émissions internes et de réduire de moitié, dès 2030, les émissions contrôlées. Ces objectifs ont été impulsés par notre CEO, Patrick Koller, avec un engagement au cœur de notre entreprise qui est de créer de la valeur pour tous, y compris les générations futures.
Être précurseur procure un avantage concurrentiel à travers des solutions plus vertes. Au-delà, l’engagement écologique devient un critère de choix tant pour les investisseurs que pour les candidats. Il constitue un argument pour attirer les talents de demain.
Jean-Nicolas Brun : La prise de conscience des organisations pour définir des scénarios de roadmap repose sur le poids de l’empreinte carbone. Son évaluation permet d’identifier des leviers d’action, de créer un modèle, avant de lancer un plan d’exécution. La force d’une transformation réussie repose sur l’équilibre entre les notions intrinsèques (impulsées par l’organisation à travers des modèles d’auto-responsabilisation) et extrinsèques (imposées par les normes ou par les exigences de la filière). Il est nécessaire de s’appuyer sur un cap clair, d’insuffler le rythme et d’être en mesure de fournir des indicateurs objectifs.
Précisément, quels sont les axes qui orientent sa définition ?
Y.B-S : Pour avancer, il faut déjà savoir d’où l’on part. Chez Faurecia, nos émissions atteignent environ 30 millions de tonnes de CO2 par an. Les 2/3 sont liées à la quote-part associée aux émissions des véhicules équipés de nos produits, qui dépendent principalement du mix de motorisation. 1/3 des émissions est plus directement sous notre contrôle : elles sont associées à l’énergie que nous consommons, aux matières premières, aux flux logistiques… Le leitmotiv qui guide notre action repose sur le fait de consommer « moins, mieux et plus longtemps ». Sur le plan énergétique par exemple, nous allons réduire de 15 % à 20 % nos consommations électriques, mais aussi élargir notre approvisionnement vers l’électricité verte, comme le solaire.
Concernant les autres émissions, nous étudions de nouvelles architectures de produits afin de limiter les besoins en matériaux, ou d’utiliser des matériaux biosourcés permettant la séquestration du CO2. Enfin, pour consommer plus longtemps, nous devons développer l’économie circulaire et ainsi imaginer la seconde vie et le recyclage de nos produits : sièges, tableaux de bord...
J-N.B : Aujourd’hui, quelle que soit la nature d’un projet envisagé par l’industrie, y compris IT, l’empreinte carbone est prise en compte. Le digital constitue un levier fondamental de la transformation des entreprises. Il permet de déterminer les process, de modéliser les solutions à même de réduire l’empreinte écologique, et de mesurer les progrès réalisés. Les nouvelles technologies donnent l’opportunité à la R&D d’explorer de nouvelles sources d’énergies ou de matériaux, de revisiter les produits et les méthodes. L’avantage concurrentiel passe notamment par le digital.
Quel est l’impact sur la stratégie globale des industries ?
Y.B-S : Repenser les produits et les matériaux est l’axe clé pour aller vers la neutralité CO2. Cette initiative est au cœur de notre développement. Mais elle ne se limite pas à notre organisation : elle implique toute la chaîne de valeur, en amont comme en aval, avec nos fournisseurs et les constructeurs. Sa mise en œuvre permet de resserrer les liens, et d’en tisser de nouveaux. Réduire les émissions de CO2 conduit à échanger de manière différente avec l’ensemble des acteurs de la chaîne pour aider toutes les structures à mener leur transformation durable.
J-N.B : Le Covid constitue un moment de vérité. L’intelligence des dirigeants a été d’ouvrir le jeu, de permettre à leurs partenaires de revisiter la manière de travailler, de partager les retours d’expérience comme au Movin’On Summit et d’ouvrir de nouvelles voies, à l’image de l’hydrogène. Les États ont pris aussi leurs responsabilités à travers des plans de soutien de l’économie. De nouvelles chaînes de valeur structurantes et différenciantes se mettent en place, en particulier dans le secteur automobile.
Une fois créée, comment assurer la mise en place de la roadmap ?
Y.B-S : L’enjeu est d’intégrer la notion environnementale dans nos process habituels. Le succès repose sur l’impulsion donnée par le top management. Il est nécessaire d’être exemplaire et cohérent dans les décisions prises et les objectifs recherchés pour faire vivre cette démarche. Pour être efficace, chaque service doit apporter sa contribution à l’édifice : la production, l’ingénierie, les achats… L’important est de responsabiliser les opérationnels. Ainsi, nous avons créé un réseau avec des « champions » pour animer notre roadmap, et développé des outils de gouvernance qui incluent un prix interne du CO2 dans les projets menés. Cela rentrera en ligne de compte dans les rémunérations des managers.
J-N.B : La technologie et le digital permettent de soutenir l’effort. Faurecia anime un programme uniforme et global à l’échelle. La data représente un levier pour concrétiser les engagements à maîtriser l’empreinte carbone. La mise en place d’une plateforme de données composée de points de mesure, contribue également à créer un cercle vertueux.
En ce sens, quelle place occupe la data dans son suivi ?
Y.B-S : Les données sont essentielles dans une démarche de réduction des émissions de CO2. L’initiative est complexe, technique, elle demande de la rigueur. La réduction du CO2 est une première étape. Demain, la consommation d’eau ou de matériaux sera aussi prise en compte. Traiter le sujet de manière transverse et large nécessite des outils digitaux pointus. Ils offriront un pilotage automatisé, en temps réel, mais aussi plus précis donc permettront de réduire les incertitudes dans la mesure.
J-N.B : L’art est difficile car les industriels possèdent des marges serrées, et des commandes précises. Malgré les difficultés publiques, managériales ou exécutives, il faut jouer la carte de la performance durable et responsable, engranger chaque avancée comme autant de victoires, et valoriser chacun des progrès autour d’une démarche ESG (Environnement, Social, Gouvernance) qui est un des facteurs clés de la renaissance de l’Industrie et de son attractivité.
Contenu proposé par Accenture