Comment Airbus s’y prend pour déloger Boeing de Chine

Airbus inaugure à Tianjin un centre d’aménagement cabine dédié à l’A330. En s'installant en Chine, l'avionneur a fini par dépasser Boeing en parts de marché. Le pays profite de cette bataille pour gagner en compétences dans l'industrie aéronautique.

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Comment Airbus s’y prend pour déloger Boeing de Chine
Airbus inaugure à Tianjin un centre d’aménagement cabine dédié à l’A330 le 20 septembre 2017

L’outsider prends le pas sur le leader historique. En Chine, Airbus pourrait bientôt supplanter Boeing qui en l’espace de vingt ans a vu ses parts de marché passées de 6% à 52%, aujourd'hui à la tête d'une flotte de plus de 1480 appareils. L’inauguration mercredi 20 septembre à Tianjin d’un centre d’aménagement cabine dédié à la famille des A330 - avec livraison d'un premier appareil à Tianjin Airlines - devrait encore creuser l'écart en faveur de l’avionneur européen. Un bâtiment de 210 mètres de long, employant à termes entre 250 et 300 personnes, qui permettra d’assurer l’installation d’équipements aussi variés que l’air conditionné, les sièges et autres éléments de cuisine. Un argument commercial de poids pour les compagnies aériennes chinoises qui pourrait favoriser la vente de long-courriers dans le pays.

Une nouvelle offensive chinoise de la part de la filiale aviation commerciale du groupe Airbus qui était attendue depuis plus de deux ans. Rappel des faits : en juin 2015, le Premier ministre chinois Li Keqiang de passage à Paris annonce une commande de 75 A330, dont 45 fermes, au prix catalogue – et donc très théorique – de 18 milliards de dollars. Un gros contrat assorti d’un accord industriel prévoyant l’ouverture d’un nouveau site pour aménager les A330 en Chine pour les besoins des compagnies locales. En résumé : achète-moi des avions, je te construis une usine à domicile. En l’occurrence à Tianjin, au sud-est de Pékin.

Tianjin, centre névralgique

Pour Airbus, c’est d’abord l’opportunité de redonner du souffle à son programme A330 dont il a dû baisser la cadence de production culminant à 9 appareils par mois en 2014 à 6 depuis 2016. L’avionneur qui a déjà livré au total 1361 exemplaires de ce long-courrier possède aujourd’hui un carnet de commandes de 327 appareils. Le lancement de l’A330neo – lancé en 2014, pour une entrée en service début 2018 – pourrait relancer les ventes. Au passage, les A330 qui seront équipés en Chine soutiendront l’emploi français : les appareils continueront d’être assemblés à Toulouse avant de subir leurs opérations de finition en Chine.

Mais surtout, l’accord passé en 2014 permet à Airbus de renforcer une présence en Chine entamée dès 1994 via de simples bureaux, mais qui aura mis du temps à monter en puissance. En 2005, l’industriel ouvre à Pékin un centre d’ingénierie. Coup d’accélérateur en 2008 avec l’ouverture de la ligne d’assemblage final dédiée à la famille A320 à Tianjin. Un site – où se trouve également un centre logistique – qui devient le centre névralgique de la stratégie du groupe en Chine : après avoir pénétré le marché chinois avec ses monocouloirs, Airbus s’attaque avec le centre d’aménagement cabine tout juste inauguré à celui des long-courriers. Le nouveau site de Tianjin sera en mesure de livrer deux appareils par mois. Et si Airbus ne mentionne pour le moment que l’aménagement des A330, il ne fait aucun doute que demain les A350 pourraient y faire aussi escale.

L'essor des classes moyennes chinoises

Avec cet investissement mesuré d’environ 200 millions d’euros (150 pour le bâtiment, 50 pour les outils), soit trois fois moins qu’une ligne d’assemblage, Airbus perpétue cette internationalisation qui le distingue de son rival américain. Et qui marche à plein en Chine où Airbus a ouvert depuis des sites de services et de formation. L’avionneur compte aujourd’hui quatre grands sites d’assemblage dans le monde quand l’américain concentre sa production sur son sol : en France (Toulouse) et en Allemagne (Hambourg) bien sûr, mais aussi aux Etats-Unis (Mobile) et en Chine. La recette gagnante d’Airbus a poussé Boeing à opérer un virage à 180 degrés, ce dernier ayant annoncé en début d’année la construction d’un site d’aménagement cabine pour la famille des monocouloirs 737 à Zhoustan, capable d’aménager une centaine d’appareils par an.

Impossible pour les deux géants de l’aéronautique de laisser passer le marché chinois. Côté Airbus, on estime que la Chine représente 18% des quelque 35 000 avions neufs qui devront être produits pour les vingt prochaines années, soit 6300 avions. Chez Boeing, on vient une fois de plus de relever les prévisions de ce juteux marché : le pays aurait besoin de 7240 avions sur la même période, chiffre prenant en compte les avions de moins de 100 places. A la clé, plus de 1000 milliards de dollars à se répartir. L’essor des classes moyennes chinoises n’a pas fini de faire bondir le trafic aérien domestique – qui tire la demande en monocouloirs – mais aussi d’inciter les compagnies aériennes chinoises de proposer des vols intercontinentaux. Que les A330 d’Airbus pourraient d’ailleurs assurer…

L'industrie aéronautique chinoise s'envole

Au passage, même si aucun discours officiel ne devrait le confirmer, Airbus s’offre la possibilité de court-circuiter quelque peu la classique chaîne de fournisseurs occidentaux. Avec ce centre d’aménagement cabine, l’avionneur fera appel à des entreprises chinoises qui pourraient à termes fournir la quasi-totalité des équipements cabine. Mais aujourd'hui, les fournisseurs chinois sur ce créneau sont quasi inexistants. A l’heure de la consolidation de ce segment à haute profitabilité marqué par les rapprochements entre Safran-Zodiac et UTC-Rockwell Collins, Airbus voit là l’occasion d’aller se sourcer ailleurs, et par là même occasion à moindre coût. L’industrie chinoise n’est d’ailleurs pas étrangère aux mouvements en cours, comme le rappelle l’achat de Thomson Aero Seating (systèmes de divertissements et de connectivité) par le constructeur chinois Avic.

L’occasion de cette bataille industrielle entre Airbus et Boeing est trop belle pour l’industrie chinoise qui y voit l’occasion d’acquérir au passage les compétences qui lui manquent encore. Le moyen-courrier C919 de l’avionneur chinois Comac (filiale d’Avic) a effectué son premier vol en mai dernier et pourrait entrer en service en 2020. Il est largement inspiré de ces concurrents directs, les A320 et B737. Les transferts technologiques effectués avec Airbus depuis plus de dix ans pour l’A320 auront contribué à son essor.

Alors que le pays ne cache plus ses velléités de développer un long-courrier en coopération avec le russe UAC pour 2025, le nouveau site d’Airbus va permettre une fois de plus à l’industrie chinoise de monter en compétences cette fois-ci dans une nouvelle branche, les cabines long-courriers qui bien plus diversifiées (cuisine, classes business, connectivité…) que les cabines moyen-courriers. En 2016, Avic annonçait son intention de se lancer dans la production de moteurs d’avions chinois, un équipement considéré comme le plus complexe de l’aéronautique et du coup chasse-gardé de la poignée de sociétés occidentales capables d’en produire. Pas à pas, la Chine comble ses lacunes. Jusqu’au jour où le duopôle Airbus-Boeing tremblera.

A Tianjin, Olivier James

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