Climat social : l’heure est à la "résignation rageuse"
Le calme apparent de la situation sociale est trompeur. Selon la note de conjoncture de l’association Entreprise et personnel, loin de signifier une adhésion aux évolutions en cours, comme pourrait le laisser croire la faible mobilisation contre la réforme des retraites, elle témoigne des blocages du jeu des principales organisations syndicales. Sur le terrain, le mécontentement prend des formes nouvelles.
Après la Cegos, c’est au tour de l’association Entreprise et Personnel (EP) de se pencher sur le climat social, en publiant ce vendredi 18 octobre sa note annuelle de conjoncture. Les deux organisations n’arrivent pas aux mêmes conclusions, chacune n’ayant pas forcément la même méthode ni le même objet. Pour Entreprise et Personnel dont le travail est plus macrosocial, le ton de cette rentrée est à "la résignation rageuse".
Résignation car les sujets de mécontentement ne manquent pas pour les salariés ou pour les dirigeants d’entreprise. Mais pour les experts d’Entreprise et Personnel, cette année comme l’an dernier, les sujets de mécontentement ne cristallisent pas. Surtout, aucune organisation syndicale ne les relaie globalement. Pour expliquer cette situation, EP pointe l’habileté du gouvernement qui réussit à relativement bien déminer les confits, à les circonscrire en contenant les mécontentements dans des sphères réduites de la société.
Des stratégies subtiles qui nuisent à la clarté
En témoigne l’adhésion molle à la réforme des retraites, les syndicats ne parvenant pas à rassembler un mouvement de contestation d’ampleur. Parmi les causes expliquant cette situation, Jean-Pierre Basilien et Michèle Rescourio-Gilabert, les auteurs de la note, mettent en avant la situation des principales organisations syndicales de salariés, aux stratégies contrastées :
- La CGT dans le ni, ni : "ni protestataire, ni soutien" tente de "préserver les acquis des années Thibault", où l’organisation a voulu montrer sa capacité à mobiliser, mais aussi à proposer.
- Si la CGT ne soutient pas le gouvernement, elle n’entend pas entrer dans une opposition systématique, surtout à la veille d’élections municipales.La position de la CFDT est plus ambiguë. Ces idées sont largement reprises par le gouvernement, mais elle se garde de crier victoire trop fort, ne souhaitant pas être associé à un gouvernement impopulaire.
- Quant à FO, "l’enjeu majeur de 2014 va être les élections professionnelle dans les fonctions publiques. Elle va y jouer sa position de première organisation de la fonction publique d’Etat."
Pour la dimension rageuse, c’est essentiellement le ras-le-bol fiscal qui l’explique. Les auteurs de la note de conjoncture rappellent que François Hollande a été élu sur la base d’une promesse assez vague de redressement économique dans la justice sociale. La formule avait laissé croire à chacun que ce serait les autres, les riches qui allaient payer. Résultat : les différentes mesures distillées au coup par coup augmentent le nombre de foyers de la classe moyenne qui se sentent "trop" imposés, à commencer par le million de nouveaux contribuables, compté par EP, suite au maintien du gel du barème de l’impôt sur le revenu ou à la suppression de la défiscalisation des heures supplémentaires. A force de compromis pour déminer, l’exécutif se prive d’une ligne économique et budgétaire claire, grâce à laquelle chacun pourrait mesurer l’importance relative de sa contribution. A la place prévaut un sentiment d’improvisation permanente.
Sur ce point, l’analyse d’EP sur la politique en direction des entrepreneurs affine le diagnostic. Le gouvernement de gauche a réalisé de vrais pas en direction du monde économique, notent les deux auteurs. Pourtant, le tango des mesures "un pas en avant, un demi pas en arrière" lui font perdre du crédit. Résultat : le pouvoir exécutif prend le risque de mécontenter ses électeurs sans bénéfice du côté des dirigeants.
Des formes de protestation individuelle
Dans ce contexte de résignation rageuse, les risques d’explosion sont limités. Cela ne signifie pas pour autant que les directions d’entreprises soient à l’abri de toutes menaces. Ces derniers ont changé de forme, explique en substance Michèle Rescourio-Gilabert. A l’expression collective du mécontentement succède des formes de protestation individuelle, comme l’indique la montée de "l’absentéisme, le refus des heures supplémentaires, le fait de laisser passer des défauts de qualité…"
Dans ce contexte, les négociations annuelles obligatoires sur l’évolution des salaires risquent d’être compliquées. Les salariés qui voient leur revenu disponible baisser suite à la hausse de la pression fiscale risquent de demander davantage à leurs employeurs. D’autant que l’instauration du Crédit impôt compétitivité emploi est dans les esprits. L’autre point d’attention concerne les carrières proposées par les salariés. Alors que le discours RH parle de plus en plus de talents, les salariés n’y croient plus beaucoup, prévient EP. En ces temps de croissance faible, ils ont intégré que "les barrières n’ont jamais été aussi difficiles à franchir".
Le monde social semble correspondre au constat fait par le philosophe Marcel Gauchet : "la surface reste tranquille, mais les fractures cheminent en profondeur." Faute d’expression sociale, l’expression du mécontentement pourrait passer par la voie politique. Les résultats des élections municipales et européennes seraient alors la vraie traduction de cette résignation rageuse.
Christophe Bys
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