« Christine Lagarde a une vision franco-française »
« Lagarde critique la politique de Berlin », titre en Une le Financial Times de lundi. Christine Lagarde, ministre des Finances, désapprouve le modèle allemand basé sur la pression des coûts du travail, dans une interview accordée au journal. « Le but de l’entretien était généraliste. Le sujet était l’Europe et la crise grecque. Christine Lagarde n’est pas responsable du choix éditorial du Financial Times qui a mis en valeur une citation sur un entretien de 40 minutes », précise un proche de la ministre. Cela n’avait donc pas pour but de mettre l’Allemagne au pied du mur.
Outre les bonnes performances de l’Allemagne que Christine Lagarde salue, la ministre pense que ce n’est pas « un modèle viable à long terme et pour l’ensemble du groupe [de la zone euro]. Il est clair que nous avons besoin d’une nouvelle convergence.» Pour René Lasserre, directeur du centre d’information et recherche de l’Allemagne contemporaine, « le discours de Christine Lagarde au Financial Times reflète une vision franco-française qui ne prend pas en compte la spécialisation de l’économie allemande. L’Allemagne importe beaucoup, presque autant qu’elle exporte. »
Et il explique sa vision des choses : « Si l’Allemagne ne maintient pas sa compétitivité internationale, c’est toute l’Europe qui en pâtira. Dans les années 2000, l’Allemagne perdait en compétitivité. Cela a entraîné une hausse importante du chômage, qui a culminé à 5 millions en 2005 en Allemagne, et une baisse de la consommation. Aujourd’hui encore, l’industrie des biens d’équipement dans laquelle l’Allemagne est fortement spécialisée influe directement sur le niveau d’emploi et la demande intérieure. Ignorer cela en conseillant une politique économique de la demande, c’est ignorer le fondement même de l’économie allemande qui a toujours été et reste une économie industrielle »
René Lasserre dénonce un ethnocentrisme économique propre àla France.« Ces conseils sont compréhensibles en France, où règne une économie de consommation. Mais demander à l’Allemagne de diminuer sa compétitivité relève d’une politique à courte vue. On ne peut pas demander au principal voisin et partenaire de renoncer à sa spécialité industrielle parce qu’on en a plus», dénonce-t-il.
La ministre estime aussi que la première économie de l’Union européenne devrait surtout jouer plus collectif en dynamisant sa politique intérieure. Pour François Rachline, directeur général de l’institut Montaigne, « elle a raison de faire appel à la solidarité européenne. Une convergence des politiques économiques dans l’Eurozone est plus que nécessaire, à fortiori entrela Franceet l’Allemagne. Il faut rappeler qu’au moment de la réunification, un ostmark a été échangé contre un mark en dépit de la valeur marché. Il y avait un risque inflationniste que l’Allemagne a su gérer. Mais, cela a eu un impact direct surla Francedont l’Allemagne était – est toujours – le principal client et fournisseur. La solidarité de la Franceavec l’Allemagne a cependant joué. »
François Rachline essaye de redonner un cadre aux propos de Christine Lagarde : « Il faut savoir que cet appel à la solidarité concerne, pour l’instant tout au moins, le cas dela Grèce. Leministre allemand des Finances, Wolfgang Schaeuble, posait la question : pourquoi les Allemands paieraient pour des gens qui partent à la retraite avant eux ? Cependant, la position de Christine Lagarde est de rappeler que la crise grecque aura un impact sur les pays périphériques. Et l’Allemagne en premier lieu puisque les banques allemandes sont fortement impliquées dans la péninsule hellénique. »
Fonds Monétaire Européen
L’autre pomme de discorde est le projet de Fonds monétaire européen proposé par le ministre allemand des Finances Wolfgang Schauble. Ce n’est « pas une priorité » selon Christine Lagarde surtout qu’il faudra « quatre, cinq ans » pour qu’il soit effectif. Pour René Lasserre, « s’il est vrai que sa mise en œuvre prendra du temps, ce n’est pas une raison d’y renoncer. Au contraire, il est urgent de mener cette politique, quitte à mettre en place une solution en biseau. Une solution qui allierait une rigueur des objectifs et du respect de ceux-ci en attendant la mise en place définitive du Fonds européen. »
Pour François Rachline, un tel fonds ne serait pas forcément la solution la plus stratégique : « Le Fonds monétaire européen ne sauvera pasla Grèce , il pourrait éviter que une telle crise se reproduise. Le problème est que le fonds européen risque de rassurer les Etats : ils sauront qu’ils peuvent être sauvés en dernier recours. Cela ne constitue pas un carcan responsabilisant en termes de dettes publiques. En revanche, des obligations d’Etat conjointes àla Franceet l’Allemagne contribueraient à renforcer le traité européen. Ces Eurobonds, des obligations qui peu à peu seraient communes à plusieurs pays de la zone euro, permettraient ainsi de financer des projets communs à des pays de la zone euro. »
Cette proposition dont le père fondateur est Jacques Delors, séduit de plus en plus. Pervenche Berès, député européenne PS d’Ile de France et membre dela Commissiondes affaires économiques et monétaires, pense que les deux aspects d’un tel projet seraient un grand pas dans la collaboration économique au sein de la zone euro. « La capacité d’emprunt pour des investissements et l’émission en commun d’une partie de la dette souveraines sont deux mécanismes qui méritent notre attention. Le Pacte de stabilité n’a en rien permis d’éviter la situation grecque. C’est une condition suffisante mais pas nécessaire. Il faut aujourd’hui créer un dynamisme collectif au sein de la zone euro. »
La vision de Christine Lagarde a au moins le mérite d’appeler à une initiative plus approfondie de la part des pays de la zone euro en matière de coopération économique. En espérant simplement que les critiques de la ministre ne nous mettront pas à dos nos voisins outre-Rhin.
Morgane Remy
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