[Chlordécone] "L’Etat pourrait être jugé responsable du préjudice écologique"
Depuis la rentrée, le chlordécone est de nouveau au cœur de l’actualité. Ce pesticide, utilisé jusque 1993 dans les Antilles pour traiter les bananiers contre le charançon est, depuis 1979, classé par l’OMS (Organisation mondiale de la santé) comme perturbateur endocrinien, neurotoxique, reprotoxique (effet néfaste sur la fertilité) et cancérogène probable. Lors de sa dernière visite en Martinique, le Président Emmanuel Macron a dénoncé "l’aveuglement collectif" qui a conduit à utiliser ce pesticide toxique. Il a demandé la conduite d’une évaluation en vue d’envisager des réparations.
L’Usine Nouvelle a interrogé Stéphane Illouz, avocat associé du cabinet Reed Smith et du think tank La Fabrique écologique. Pour ce spécialiste, l’Etat pourrait être reconnu coupable de préjudice écologique et obligé de procéder au nettoyage des sols.
L’Usine Nouvelle - Après les déclarations d’Emmanuel Macron concernant la responsabilité de l’Etat, quelles sont les prochaines étapes pour déterminer les modalités d’indemnisation ?
VOS INDICES
source
212 -3.2
Décembre 2022
PVC
Base 100 en décembre 2014
97.3 +0.41
Décembre 2022
Indice de prix de production de l'industrie française pour le marché français − CPF 21.20 − Préparations pharmaceutiques
Base 100 en 2015
178 -1.93
Décembre 2022
Indice de prix de production de l'industrie française pour le marché français − CPF 20.1 − Produits chimiques de base, engrais, Produits azotés, plastiques, caoutchouc synthétique
Base 100 en 2015
Stéphane Illouz - Dans un premier temps, il va falloir établir les preuves scientifiques du lien entre l’utilisation du pesticide et les dommages sur la santé publique. A l’heure actuelle, il n’y a pas eu d’étude sur ce territoire et sur cette population spécifique. Celle-ci sera menée d'ici à mars 2019 à la demande du Président de République. A partir de cet instant, le gouvernement pourra prendre des
dispositions légales. On peut imager, par exemple, le vote d’une loi qui engendrerait la mise en place d’un fond d’indemnisation, à l’image de ce qui s’est fait pour l’amiante. On peut également envisager que les conséquences de l’utilisation du chlordécone soient inscrites comme maladie professionnelle. La responsabilité des employeurs serait alors quasi automatiquement engagée, mais ces derniers pourront à leur tour attaquer l’Etat pour faute et obtenir une indemnisation par ricochet.
Qu'en est-il des entreprises qui commercialisaient ce produit ? Peut-on imaginer un scénario comme celui auquel fait face Monsanto actuellement aux Etats-Unis ?
Je ne pense pas. La justice française ne fonctionne pas comme la justice américaine. Les entreprises qui commercialisaient le Kepone l’ont fait dans un environnement légal qui n’interdisait pas la vente de ce produit à l’époque. D’un point de vue juridique, elles pourraient donc se retrancher derrière la législation et remettre la faute sur l’Etat qui, jusqu’en 1993, autorisait ce produit.
Quelles sont les différentes actions envisageables par les victimes ?
Il y a plusieurs sources de responsabilités et actions. Actuellement, il y a déjà une action au pénal, contre l’Etat, pour empoisonnement.
Sur des questions réglementaires, il y a également un recours devant les tribunaux administratifs pour pouvoir modifier les limites autorisées de chlordécone dans les produits. En effet, compte tenu de la contamination des sols par le Kepone, certains fruits et légumes des Antilles comptent des résidus du pesticide.
La population civile peut également se tourner vers les tribunaux administratifs sur le fondement d’une responsabilité sans faute de l’Etat pour avoir autorisé la vente d’un produit dangereux. On peut d’ores et déjà prévoir que si l’étude scientifique prouve le lien entre l’utilisation du pesticide et les problèmes de santé publique, de nombreux recours administratifs seront déposés à ce titre.
Et sur la question environnementale ?
Depuis 2016, le préjudice écologique est reconnu dans le droit français. Cette disposition condamne les "atteintes non-négligeables aux fonctions des éco-systèmes". Le scandale du chlordécone rentre dans les critères établis par le texte. L’Etat pourrait être jugé responsable du préjudice écologique pour avoir trop tardé à légiférer. La loi prévoit que la réparation du préjudice écologique s’effectue, en priorité, en nature. Dans le cas présent, l’indemnisation passerait par le nettoyage des sols par l’Etat. A l’heure actuelle, aucune plainte pour dommage écologique n’a encore été déposée mais dès la publication des résultats scientifiques, les associations de protection de l’environnement se positionneront.
Propos recueillis par Adeline Haverland
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