Le premier exploit du photographe Dominique Delpoux est d’avoir réussi à pénétrer un monde qui n’aime pas se montrer : les abattoirs. Les Français aiment la viande pour autant qu’on ne révèle pas la sanglante réalité qui se cache derrière la préparation de leurs steaks. Les industriels le savent. Quant à exposer les salariés du secteur, c’est également une gageure. Le métier est dur et les employeurs n’ont pas la réputation d’être les champions des conditions de travail. Même si en la matière, les choses progressent pour réduire le coût élevé des troubles musculo-squelettiques.
L’idée d’un reportage dans une des entreprises de Vitré (Ille-et-Vilaine) a été lancée par la directrice de l’Artothèque de la commune, Isabelle Tessier. Elle souhaite faire travailler Dominique Delpoux, qui depuis 20 ans multiplie les projets sur le monde du travail et lui propose trois ou quatre sites industriels. "J’ai choisi les abattoirs car je me suis toujours demandé pourquoi on travaille dans ce secteur ? Qui sont ces gens ? Boucher, on peut éventuellement avoir la vocation mais les abattoirs ce n’est pas évident", explique Dominique Delpoux. Il réussit à lever les réticences de la direction en expliquant que son intérêt porte sur les gens et qu’il n’a pas l’intention de donner dans le sensationnel.
C’est en effet sur la voie de l’intime qu’il s’est engagé. Car son travail repose sur un dispositif rigoureux de portraits, toujours de face, de salariés d’abord en plein travail à l’usine puis au repos dans l’environnement privé de leur salon ou de leur cuisine. L’anonyme découpeuse de rumsteck en masque et charlotte se transforme en une très élégante quadragénaire. Ses gants de latex masquent des ongles impeccablement manucurés. Au bout de ses doigts la masse rouge d’un bloc de viande a disparu au profit de la touche rose vif du vernis de ses ongles.
Sur un autre diptyque, un homme entouré des peaux de moutons qu’il vient de dépecer est, l’instant d’après, capté dans la simplicité de sa cuisine. Sur la gazinière traîne encore la petite casserole qui appartient très certainement à un célibataire. "Lorsque je suis allé dans l’abattoir la première fois, je m’attendais à découvrir des forts des Halles, hauts en couleur, dans une ambiance de cinéma à la Franju, j’ai été frappé par un univers aseptisé peuplé de gens en uniforme, parfois masqués. J’avais envie de découvrir qui se cachait derrière", raconte Dominique Delpoux. Opération réussie. Pour chacun d’entre eux, il a restitué la dignité du métier et la singularité de la personne.
Anne-Sophie Bellaiche
29/09/2013 - 10h06 - Tib
Répondre au commentaire