Ce qui a poussé Bruxelles à sanctionner lourdement le laboratoire Servier

La Commission européenne vient d’infliger au laboratoire Servier une amende hors-norme : 331 millions d’euros, soit 8% de son chiffre d'affaires. Le groupe pharmaceutique aurait empêché les concurrents d’un de ses médicaments phares d’arriver sur le marché. Ce qu’il dément. Décryptage.

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Ce qui a poussé Bruxelles à sanctionner lourdement le laboratoire Servier

C’est une enquête au long cours qui aboutit enfin. Six ans après les premières perquisitions dans les locaux du laboratoire Servier, la direction générale de la Concurrence de la Commission européenne vient d’infliger au français une amende de 331 millions d’euros pour abus de position dominante. Un montant record comparé à la taille de l’entreprise (4,15 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2013) et aux sanctions subies l’an dernier par d’autres laboratoires dans des affaires similaires : le danois Lundbeck (93,8 millions d'euros d’amende), l’américain Johnson & Johnson (10,8 millions d'euros) et le suisse Novartis (5,5 millions d'euros)…

Ce que reproche Bruxelles à Servier ? D’avoir freiné l'entrée sur le marché des copies d’un de ses traitements phares contre l’hypertension, le Périndopril. En s’emparant de technologies clés et surtout en négociant en 2006 avec cinq fabricants de médicaments génériques. "Servier a mis en œuvre une stratégie visant à exclure ses concurrents et retarder l'entrée sur le marché de médicaments génériques meilleur marché, au détriment des budgets publics et des patients", accuse la Commission Européenne.

Un montant record dû à une accumulation de faits

Même s’il doit avancer immédiatement le montant de l’amende, le laboratoire a décidé de faire un recours. "Il n’y a pas eu d’effet sur la concurrence, pas eu de délai sur l’entrée des génériques sur le marché, donc nous avons du mal à comprendre ce que nous reproche la Commission et ce montant", assure Arnaud Maheas, le directeur des affaires publiques européennes de Servier, à L’Usine Nouvelle.

Pour Evelyne Friedel, avocate associée du cabinet Taylor Wessing, les faits sont pourtant clairs. "Le montant de l'amende est très élevé car Servier a cumulé des faits d'entente horizontale avec d'autres fabricants, un abus de position dominante, une infraction sur plusieurs années et un objet anticoncurrentiel caractérisé, note-t-elle. Qu’il y ait eu quelques entrants sur le marché est sans importance. Le fait que certains concurrents majeurs n’aient pas pu le pénétrer est suffisant. La sanction est d’autant plus lourde que les effets se font ressentir sur l'Assurance Maladie."

Pas d'affaire Motorola bis, selon la Commission

L’industriel joue la carte de la bonne foi. "Comment fait-on pour défendre nos brevets si nous n’avons plus le droit de régler des accords à l’amiable ?, se défend Arnaud Maheas. Chaque accord était différent, car ils étaient destinés à solder des contentieux, et ce sont les génériqueurs qui étaient venus nous voir. La première jurisprudence sur le sujet date de l’an passé, or nos accords dataient de 2006 : il n’y avait aucune raison de penser que ce que l’on a fait pouvait aller contre les règles de la concurrence !" N’hésitant pas à citer un célèbre exemple issu d’un autre secteur : les télécoms."Lors de sa récente décision dans l’affaire Motorola sur les brevets essentiels liés à une norme, la Commission a décidé de ne pas infliger d’amende en raison de la nouveauté de son raisonnement et de l’absence de jurisprudence", rappelle l’industriel.

Un point de vue que ne partagent pas forcément les experts en droit de la concurrence… "Ce n’est pas tout à fait exact de prétendre que les règles n’étaient pas claires à l’époque des faits, estime Evelyne Friedel. Peu importe qu’il y ait eu ou non une jurisprudence proche du cas d’espèce ! Le comportement consistant à se mettre d'accord avec un concurrent pour l'empêcher d'entrer sur le marché est par définition anticoncurrentiel! Et ce depuis le Traité CEE de 1957."

L'acquisition de technologies jugée anticoncurrentielle

Pour Servier, Bruxelles se serait aussi trompée dans la définition du marché, en le réduisant à celui de la molécule de Périndopril, alors que ce dernier avait une quinzaine de concurrents directs dans l'hypertension. "Cela veut dire que n’importe quel laboratoire pharmaceutique est en position dominante", s’étrangle Arnaud Maheas.

Le laboratoire est également accusé de s’être emparé de brevets technologiques liés à sa molécule, afin de bloquer des sources d’approvisionnement clés pour les fabricants de génériques. "Donc on ne peut plus acquérir de technologies pour optimiser nos procédés de fabrication ?, questionne Arnaud Maheas. Et cela n’a pas empêché d’autres laboratoires concurrents, comme Sandoz, de développer leur propre voie chimique."

Tout comme Lundbeck il y a un an, qui avait reçu le soutien du syndicat européen de l’industrie pharmaceutique, l’EFPIA, Servier a donc décidé de contester la sanction de Bruxelles. Mais la décision en appel n’interviendra pas avant plusieurs années.

Gaëlle Fleitour

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