Business des infrastructures en Afrique : entre blocages et bouillonnement
La croissance en Afrique sub-saharienne dépassera les 5% cette année. Cette dynamique reste conditionné à l'accélération du rythme de construction de ses infrastructures portuaires, routiète ou énergétiques. En dépit des blocages politiques, tous les financiers publics et privés de la planète s'intéressent désormais à ce pactole. Décryptage depuis Brazzaville.
Construire, voire reconstruire l’Afrique, tel était le thème du forum "Build Africa" qui se tenait à Brazzaville, capitale de la République du Congo (RC) début février. Une rencontre organisée par les autorités congolaises (et Richard Attias), qui a vu défiler un bon millier de responsables politiques et économiques, grands patrons ou autres entrepreneurs dans le Palais des congrès de Brazzaville.
Le constat déroulé pendant deux jours (sous bonne garde militaire, mitraillettes au poing, présence du président Sassou N’Guesso oblige), est bien connu. Malgré le réveil de l’économie africaine, ses infrastructures, lacunaires, restent un frein à sa croissance. Derrière une explosion de projets de Durban à Tanger, l’équipement en routes, ouvrages d’art, ports, aéroports ou autres réseaux et centrales électriques, reste très insuffisant dans la plupart des 54 pays du continent.
VOS INDICES
source
Et ce qui est vrai pour les services de base, le devient pour de nouveaux besoins : "La forte croissance de l’Internet mobile en Afrique et l’explosion du transfert de données implique une véritable course aux équipements qu’on peine à suivre", note Christian de Faria, PDG Afrique de l’opérateur télécom Airtel.
Pour Dominique Lafont, PDG de Bolloré Africa Logistics "les infrastructures sont la condition, sinon suffisante du moins nécessaire, à l’industrialisation". Ce groupe a accéléré sa croissance en Afrique. Son effectif a bondi de 50% depuis 2006, à 24 000 personnes, et il a gagné ou renouvelé de nombreuses concessions portuaires (Guinée, Côte d’ivoire...). Il met notamment la dernière main au nouveau terminal à conteneur du port congolais de Pointe Noire, un "ticket" à 300 millions de dollars.
"industrialisation"
Pour le patron de Bolloré Africa : "Chaque fois que ce type d’équipement structurant se met en place, les effets sur les secteurs des services ou de l’industrie sont rapidement visibles, surtout s’il est conçu dans une optique d’intégration régionale." En attendant, le déficit en équipements pèse sur l’industrialisation totalement marginale de l’Afrique : celle-ci compte pour à peine plus de 1% de la production manufacturière mondiale !
"Nos pays importent du fil de coton ou du concentré de tomate. Il ne s’agit pas d’être high-tech pour cela mais de s’en donner les moyens", lance Sanusi Lamido Sanusi, bouillant gouverneur de la banque centrale du Nigéria (suspendu depuis). Pour lui, "l’Afrique subsaharienne croit de 5% par an. Cela n’est en rien réjouissant. Nous devons viser 10 à 15 à la manière de la Chine ou de l’Asie du sud-est. L’histoire de ces pays montre que cela passe par les infrastructures."
Selon la BAD (Banque africaine de développement), le continent nécessite 93 milliards de dollars d’investissements en infrastructures par an, mais seule une moitié, 45 milliards sont au rendez-vous. "Le résultat : un manque à gagner de 2% du PIB par an", appuie Jean-Jacques Bouya, ministre de l'Aménagement et des grands travaux de la RC et grand ordonnateur du forum. "Nos pays regorgent de ressources minérales et agricoles, c’est le cas du Congo. Cela est inutile si nous sommes incapables, de les transformer et seulement de les exploiter faute d’énergie ou de voies de communication", indique-t-il mettant en avant les grands projets du pays, comme le futur port minéralier de 45 millions de tonnes de Pointe Noire, qui sera construit par le groupe CRB venu de Chine. Les entreprises chinoises sont omniprésentes au Congo.
A entendre les panelistes, les raisons du retard africain sont sans équivoque : absence dans de nombreux pays de cadre légal clair, gouvernance défaillante ou corruption. De fait, à quelques exceptions (Rwanda, Afrique du sud, Ethiopie…), l’Afrique sub-saharienne pointe en queue du classement Doing Business de la Banque Mondiale (la République du Congo figure à la 185ème place sur 189 pays). "Ce que les investisseurs veulent ce sont des institutions stables et une vision à long terme notamment dans l’équipement du pays, estime le marocain Najib Boulif, ministre délégué aux transports. C’est ce que le Maroc met en œuvre au-delà des alternances politiques et cela explique leur intérêt pour notre économie."
Venu d’Afrique du sud, Robert Matana Gumede est un homme d’affaires très engagé du "black business" dans son pays. Il a fondé Guma, un groupe de 14 000 personnes. Pour lui : "l’Afrique offre d’énormes opportunités. Mon groupe investit dans les TIC, les hôpitaux ou encore l’énergie dans une vingtaine de pays. L’indécision des gouvernements reste pour la majorité de nos projets, le handicap principal à leur concrétisation." Ce patron cite par exemple Inga3, un méga barrage sur le Bas-Congo. Il se dit prêt à miser lourd sur ce projet (EDF s’y intéresse aussi). Problème : il traine dans les cartons faute d’engagement de la République démocratique du Congo mais aussi de l’Afrique du sud qui doit acheter une part de l’électricité, après que le groupe BHP Billiton se soit retiré du dossier. Sur ce projet, les Etats-Unis conditionnent, eux, leur financement aux réformes du pays de Joseph Kabila. CQFD. "Le plus gros déficit de l’Afrique, ce sont ses politiques", lance Sanusi Lamido Sanusi, qui poursuit un rien provocateur : "la corruption existe aussi en Chine ou en Inde… mais ces pays avancent."
financeurs privés
Pourtant, en dépit de tous ces facteurs bloquants, on doit le constater, l’Afrique progresse. Les projets fleurissent à l’image du futur chemin de fer Kigali-Monbassa en Afrique de l’est, de l’expansion (pétrole oblige) du port de Takoradi au Ghana, de la modernisation d’Abidjan ou encore du pont rail-route reliant par-dessus le fleuve Congo, Brazzaville et Kinshasa.
Derrière ces projets, les "véhicules" financiers ciblant le continent se développent à grande vitesse. C’est même un petit boom. "Pour moi, le financement n’est plus vraiment un problème", estime un patron du BTP. De fait, il y énormément d’argent disponible pour l’Afrique via les financements multilatéraux, les banque de développement mais aussi de plus en plus les financeurs privés. L’impécuniosité des états africains dont les ressources fiscales dépassent rarement 15% du PIB, contre 35% au moins pour les pays développés, ne serait plus le frein majeur longtemps déploré.
Le chemin du Congo
Dans le cadre du plan "Chemin d’avenir", promis par Denis Sassou N’Guesso au lendemain de sa réélection en 2009, le Congo, un pays grand comme l’Allemagne pour 5 millions d’habitants promet de multiplier les projets structurants surtout depuis que l’argent du pétrole offshore afflue. Ces projets comprennent le nouveau port à conteneur de Pointe Noire (1,4 million de boites) presque achevé par Bolloré. A cela s’ajoute un port minéralier au même endroit qui sera le débouché des futures mines de fer de Zanaga projet mené par Xstrata accompagner d’une centrale électrique. Autres dossiers : des milliers de km de route et lignes électriques, trois aéroports ou encore les équipements pour les Jeux panafricains de 2015, une bonnepart de ces projets étant construit par des groupes chinois. Dans les cartons aussi le pont international sur le Congo ou la rénovation de la mythique ligne ferroviaire Congo-Océan.
Ces dernières années d’innombrables fonds publics, privés ou hybrides ont été montés à Londres, Johannesburg ou Lagos; Ils ciblent notamment ce marché des infrastructures. Le temps des ruineux projets de type "éléphants blancs" sur fonds multilatéraux perdus d’avance cède la place à des montages pointus et des projets concoctés par de jeunes loups de la finance. Le site web spécialisé Ecofin recense ainsi 860 fonds investissant en Afrique! Avec des acteurs aussi variés que des financiers londoniens, l’Union européenne (EU-Africa Infrastructure Trust Fund), les capitaux du Golfe (Abraaj de Dubaï) ou même australien (Macquarie). Le fonds britannique Actis a ainsi acquis l’an dernier au Maroc les actifs de Veolia dans l’eau.
La Chine, omniprésente en Afrique, est aussi de la partie avec son China-Africa Development Fund, lancé en 2006 avec plus de 70 projets à son actif et 2,5 milliards de dollars investis dans une trentaine de pays. "Et nous voulons faire plus encore", nous indique son directeur marketing Liliang Teng.
Ces acteurs ne visent pas seulement des mégas projets en milliards de dollars. Ainsi Helios Towers Africa, un fonds porté par, notamment, George Soros, s’intéresse uniquement aux tours et relais télécom pour de "petits tickets" de quelques millions de dollars au Ghana ou en Tanzanie. IHS, un fonds londonien en plein boom dans lequel Wendel a investi, est sur ce même créneau.
partenariats public privé : le début
Le fonds franco-luxembourgeois Edifice Capital réunit, lui, des investisseurs institutionnels (fonds de pension, assurances..) et privés européens. "L’objectif, nous explique un de ses associés Olivier Stintzy, est d’investir de façon minoritaire quelques millions de dollars par dossier dans des projets d’infrastructure en partenariat public privé. Nous travaillons sur plusieurs projets." Pour lui, le marché des PPP va se développer, c’est certain.
Durant le forum de Brazzaville, Edifice Capital a, d’ailleurs, signé un accord d’assistance technique sur les PPP avec la direction aux grands travaux du Congo. Ces PPP restent marginaux en Afrique, mais suscitent un intérêt croissant. Ceux déjà lancés sont scrutés de près, notamment pour ceux impliquant un péage des usagers sur le sujet sensible de leur acceptabilité sociale… C’est le cas des 30km de l’autoroute Dakar-Diamniadio au Sénégal, monté par Eiffage et ouvert l’an dernier. Autre exemple, le pont à péage d’Abidjan, un ouvrage à 272 millions d’euros porté par Bouygues et de nombreux partenaires financiers (BAD, Banque de Développement des Pays-Bas…), dont une banque commerciale marocaine (BMCE) ou le Fonds Panafricain de Développement des Infrastructures. Ce pont Henri Konan Bedié -il doit ouvrir cette année- fait partie d’un programme lancé par la Côte d’Ivoire qui comprendra aussi trois autoroutes à péage. Même la BAD a décidé de cultiver cette veine public-privé".
Elle a lancé en juillet 2013 avec le soutien de la fondation américain "Made in Africa", le fonds "Africa50" chaudement soutenu aussi par l’Union africaine lors de sa dernière assemblée fin janvier. Objectif pour cette année : 500 millions de dollars. Mais il ne s’agit pas seulement de financement. Pour Neside Tas Anvaripour, sa volubile directrice, il s’agit d’accompagner l’appétence des investisseurs pour les infrastructures africaines et les gouvernements dans une optique d’efficacité.
Selon elle, en Afrique, les projets mettent de 15 à 20 ans pour être conduit de l’idée à la réalisation finale. "C’est beaucoup trop long. En Asie, l’échelle de temps est de 5 ans. Cela explique une bonne part du retard du continent. Africa50 veut mettre à contribution les meilleurs experts et "challenger" les pouvoirs publics pour montrer que l’on peut réduire les process par deux ou par trois", lance-t-elle avec enthousiasme. Un vrai projet d’architecte.
A Brazzaville, Pierre-Olivier Rouaud
Dominique Laffont, PDG de Bolloré Africa Logistics
L’Afrique reprend goût aux infrastructures, pourquoi ?
Le financement reste un point bloquant ?
Et la gouvernance ?
"L’argent ne manque pas pour les projets sains"
C’est un facteur primordial du développement de son industrie et de ses services. La croissance est forte depuis plusieurs années mais repose en partie sur les matières premières qui génèrent peu d’emplois. C’est le moment d’investir dans les infrastructures logistiques ou énergétiques pour éviter les goulots d’étranglement, accélérer l’arrimage de l’Afrique à la globalisation et stimuler le commerce intra-africain. Moderniser les infrastructures a un effet sur les flux d’investissements. Au sein de Bolloré Africa logistics, depuis 2005, nous sommes passés de 17 000 à 25 000 personnes avec une trentaine de contrats majeurs dans les concessions, des investissements qui sont passés de 50 millions à 300 millions d’euros.
Il n’est pas une difficulté quand les projets sont sains et porteurs, surtout s’ils s’inscrivent dans une vision à long terme des États. Prenez le complexe portuaire de Pointe-Noire au Congo que nous gérons depuis 2009. Sur les vingt-sept ans du contrat de concession, nous y investirons au moins 570 millions d’euros. Ce port, le seul en eau profonde de la région, va devenir avec son terminal à conteneur un moteur de désenclavement pour le Congo mais aussi toute une région de Kinshasa, jusqu’au Gabon.
L’Afrique est souvent stigmatisée pour de mauvaises raisons. Les États qui ne respectent pas leurs signatures envoient des signaux négatifs aux investisseurs. Dans le même temps, un privé se doit de respecter ses engagements.
SUR LE MÊME SUJET
Business des infrastructures en Afrique : entre blocages et bouillonnement
Tous les champs sont obligatoires
0Commentaire
Réagir