Boeing pointé du doigt ?… Il n’est pas le seul
Les malheurs de Boeing font la une des revues aérospatiales : mais faut-il pour autant vouer aux gémonies le géant américain ? Et ne subit-il pas, comme les autres, les conséquences des dérives des évolutions industrielles ?
Les mésaventures du 737 MAX sont à peine résolus et l’avion de nouveau prêt à reprendre le cycle de ses livraisons, que c’est le 787 qui se retrouve sur la sellette de la FAA, depuis mai dernier, pour des problèmes de production :
- début août, Boeing peinait encore à convaincre la FAA de la validité de ses méthodes ;
- et voilà qu’en juillet, de nouveaux problèmes ont surgi, imposant à l’avionneur de mobiliser une partie de son équipe de Charleston pour les résoudre ; quelques exemples :
- défaut d’ajustement de certaines pièces,
- imperfections dans le revêtement intérieur du fuselage,
- entretoises ne répondant pas aux spécifications.
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Boeing se refuse à tout commentaire, ces défauts n’étant pas de nature à compromettre la sécurité des appareils. Cela dit, la présence de jours entre des pièces constitutives de la cloison avant étanche (du moins censée l’être) a de quoi laisser perplexe, surtout en 2021, compte tenu de tous les progrès tant vantés de la numérisation, entrée en force depuis plusieurs années dans les processus de fabrication et de montage, où tout est "millimétré". Double peine pour Boeing qui devra probablement modifier aussi les 787 déjà livrés… (lesquels avaient acquis une certaine notoriété lors de la décennie précédente avec les incendies des batteries lithium-ion).
Qu’on se rassure (si j’ose dire) : Boeing n’est pas le seul. La conception des nacelles des réacteurs du 737 NG (pas de chance, ce sont des Boeing, mais l’avionneur n’est cette fois pas responsable…) doit être revue par Collins Aerospace suite à deux accidents induits par la rupture d’aubes des réacteurs CFM 5-B, la nacelle étant supposée contenir les débris pour empêcher qu’ils se propagent dans toutes les directions et percent le fuselage : dans le premier accident, le fuselage n’avait pas été perforé, mais dans le second, il l’avait été, ce qui avait entraîné une dépressurisation de la cabine et le décès d’une passagère. Bilan : 6 800 nacelles à modifier…. Il va sans dire que le réacteur CFM 5-B de CFM International est lui aussi en cours de modification.
Là encore, on peut se demander comment de tels événements restent possibles de nos jours avec tous les outils de calcul et de réalisation dont on dispose : qu’en 1952, les premiers avions de ligne à réaction Comet du britannique De Havilland explosent en plein vol, du fait des phénomènes (mal connus à l’époque) de fatigue des liaisons rivetées, cela peut se comprendre ; mais trois quarts de siècle plus tard, que des avions connaissent encore des incidents ou accidents pouvant aller jusqu’au crash (ce qui a été tout de même le cas pour deux 737 MAX), voilà qui pour le moins surprend.
Pour revenir à Boeing :
- L’avion militaire ravitailleur KC-46 (qui l’avait remporté en 2011 contre l'A330 MRTT d’Airbus) connaît de multiples difficultés (notamment avec la perche de ravitaillement), et amène le Pentagone à rouvrir la compétition pour les futurs escadrons : Airbus est à nouveau sur les rangs (allié à Lockheed Martin).
- La capsule Starliner destinée à envoyer des astronautes vers la Station spatiale internationale, devait effectuer, après l’échec de son premier vol d’essai en 2019 (dû à une erreur de logiciel, erreur qui en avait caché d’autres plus graves, d’où une revue complète du logiciel), son second vol d’essai le 3 août : un problème, survenu au dernier moment sur le pas de tir et concernant une valve du système de propulsion, a conduit au report sine die du tir. Il semble qu’un éclair créé par un orage ait "coincé" les 13 valves du système de propulsion : les ingénieurs de Boeing en ont remis pour le moment 7 en état et cherchent toujours l’origine de l’anomalie. Pendant ce temps, la capsule concurrente Crew Dragon d’Elon Musk en est à son troisième vol opérationnel réussi : Elon doit se frotter les mains… Mais jusqu’à quand ? Sans jouer les Cassandre, les étapes que brûle Elon dans le spatial font qu’un accident de Crew Dragon (et plus tard du Starship qui doit envoyer des humains sur la Lune puis sur Mars) n’est pas exclu.
Alors, Boeing serait-il devenu incompétent ? Mais on a vu qu’il n’est pas le seul à connaître des déboires : avant d’ostraciser un constructeur qui a tout de même écrit des pages parmi les plus belles de l’aéronautique et du spatial, ne faudrait-il pas se poser la question des causes premières de cette situation ? J’ai trop de fois évoqué dans ce blog les conséquences d’une foi aveugle dans la numérisation et, maintenant, de l’intelligence artificielle pour ne pas y repenser. Cependant, aujourd’hui, les systèmes sont devenus trop complexes pour qu’on abandonne la numérisation. Alors, notre industrie est-elle trop numérisée ou mal numérisée ou pas assez numérisée ? A cela, je répondrai par le (bon vieux) dicton qu’il faut simplement donner (ou plutôt, comme l’avait dit un ancien président de la République, redonner) du temps au temps, notamment à celui de la réflexion…Et si les malheurs des uns font souvent le bonheur des autres, ceux-ci ne doivent pas oublier qu’ils peuvent aussi connaître des malheurs semblables, que de toute façon la roue tourne, et que leur bonheur sera probablement de courte durée.
Rodolphe Krawczyk
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