Biomimétisme : des matériaux étirables à l'infini

Les propriétés des fils d'araignées sont exceptionnelles, ils demandent une énergie incroyable pour atteindre la rupture. Des chercheurs se sont inspirés de ce phénomène pour créer des matériaux capables d'être étirés et compressés à l'infini. Une nouveauté qui transforme la science des matériaux.

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Biomimétisme : des matériaux étirables à l'infini
En regardant au microscope, les chercheurs observent que la fibre se tord et s’embobine dans les gouttelettes.

Qui n’a jamais ressenti de la fascination pour une mouche luttant désespérément dans le piège mortel d’une toile d’araignée ? C’est que l’insecte englué n’a aucune chance. La soie de la toile d’araignée a cette propriété incroyable : il faut déployer une énergie colossale pour arriver à la briser. « Une toile d’araignée formée de câbles d’un millimètre d’épaisseur serait capable d’arrêter un Boeing 747 en plein vol », s'extasie Arnaud Antkowiak, chercheur à l’Institut Jean le Rond d’Alembert, au CNRS. Avec trois autres chercheurs, il a réussi à comprendre ce mécanisme et a fabriqué des matériaux possédant ces mêmes propriétés. L’ensemble fait l’objet d’un article paru dans le 16 mai dans le journal Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS).

L’étude bouleverse les connaissances actuelles quant à l’élasticité de ces fibres. Si aucune utilisation concrète n’est pour l’instant prévue, de tels matériaux, que l’on peut embobiner à loisir, pourraient être utiles pour les fibres musculaires, la robotique molle, l’électronique flexible ou encore des fibres magnétiques qui pourraient alors être conservées en bobines.

Beaucoup ont déjà classé la soie d’araignée comme le matériau le plus solide au monde. En réalité la question n’est pas liée à sa résistance mais à sa ténacité. Il faut dépenser beaucoup d’énergie pour que les fils rompent. Et l’équipe de chercheurs prouve que cela n’a rien à voir avec la structure moléculaire intrinsèque du fil d’araignée. L’équipe a étudié des fils situés en périphérie de toile de l’espèce Nephila edulis. Elle fait partie d’un groupe d’araignées qui fabrique une gaine gluante autour de ses fils. Cette glue n’est en fait pas polymérisée, elle garde les molécules d’eau et reste dans le même état liquide que lorsqu’elle est dans l’abdomen de l’araignée. Cela forme donc des gouttelettes sur le premier fil. Ces fibres-là peuvent s’étendre et se compresser à l’infini. Lorsqu’ils sont étirés, les fils réagissent comme des solides et s’agrandissent. Mais s’ils sont compressés, ils restent droits et leur taille diminue, un peu comme des tiges télescopiques. « Seul un liquide se comporte comme cela », note Arnaud Antkowiak. D’où le nom donné par les scientifiques de "fil liquide". En regardant au microscope, les chercheurs observent que la fibre se tord et s’embobine dans les gouttelettes. Le fil d’araignée réagit donc comme un ressort grâce aux gouttes.

Un fil liquide

L’équipe résout une énigme qui date de 1989, lorsqu’un biologiste anglais avait publié une étude dans Nature. Ce dernier montrait des photos de toiles d’araignées séchées où apparaissaient des amas de gouttes. « A l’époque, raconte le physicien, l’article suggérait que les gouttes devaient donner l’élasticité de la toile. Mais par la suite de nombreux scientifiques ont essayé sans succès de reproduire le phénomène. Tout le monde a conclu que l’amas de goutte était un artefact non reproductible ». Et l’ensemble des scientifiques ont conclu que l’élasticité était due à la structure de la soie. Arnaud Antkowiak et Sébastien Neukirch, spécialisé dans les structures fines, ont recontacté le biologiste et se sont mis à l’élevage d’araignées pour étudier cette déformation.

Leur hypothèse est que n’importe quel matériau assez fin se comporte de la même manière. « Si on posait une goutte sur une table, elle pourrait se tordre si elle était très fine », estime Arnaud Antkowiak. Très très fine même. L’échelle doit aller du micromètre au nanomètre. « Avec un cheveu, ça ne marche pas par exemple, c’est trop épais : 80 µm », poursuit le chercheur. La soie d’araignée, elle, mesure 2 à 5 µm. L’équipe a testé une dizaine de couples de matériaux et de liquide tels que l’éthanol et le polyuréthane ou l’acide polylactique et l’huile silicone. Tous ont montré les mêmes propriétés.

Du côté de la science fondamentale, la science des matériaux pourrait en être transformée. « On a toujours essayé d’éviter le flambage, la torsion des matériaux par peur des fissures, dans les ponts par exemple. On se rend maintenant compte que le flambage ne signifie pas toujours une rupture », conclut Arnaud Antkowiak. A l’avenir, les architectes demanderont peut-être conseils aux araignées.

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