[Avis d'experts] Industrie: comment planifier les investissements de la transition écologique?
Le secteur industriel représente aujourd’hui environ 20% des émissions françaises de gaz à effet de serre (GES). En dépit d’objectifs ambitieux fixés au niveau national, ses émissions n’ont pas significativement baissé depuis 2010. A l'heure où le gouvernement français prône une véritable « planification écologique », Erwann Kerrand et Hadrien Hainaut, de l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE), identifient les conditions pour qu’une telle démarche soit au service de la décarbonation de l’industrie.
Bien que l'industrie française émette moins que celles des pays voisins en raison d'une électricité peu carbonée, elle reste trop émettrice vis-à-vis des objectifs nationaux. Le rythme que connaît la décarbonation de l’industrie ces dernières années est trop lent au regard des objectifs climat à 2030. Entre 2013 et 2019, l'industrie a réduit ses émissions de 1,8% par an. Pour atteindre nos objectifs 2030, fixée par la stratégie nationale bas carbone (SNBC), il faudrait que les émissions diminuent bien plus rapidement : de l'ordre de 4,4% par an. Et encore, cela ne tient pas compte du rehaussement de l’objectif global européen de -40 % à -55 % de GES d’ici à 2030, qui entraînera une révision de l’objectif pour le secteur industriel. Le respect de ces objectifs implique donc une refonte profonde de la façon dont les pouvoirs publics pilotent et soutiennent cette transition.
L’action publique en faveur de la décarbonation de l’industrie n’est pourtant pas restée au point mort ces dernières années. Plusieurs initiatives de concertation par filière permettent d’y voir plus clair sur les trajectoires possibles pour décarboner l’industrie. L’Etat a renforcé l’accompagnement financier de la transition. Les travaux de concertation par filières doivent permettre d’élaborer des trajectoires de décarbonation. Ainsi, l’article 301 de la loi climat et résilience, adoptée l’été dernier, propose de mobiliser les comités stratégiques de filière qui réunissent déjà les industriels et l’Etat autour de « contrats de filière », pour élaborer « des feuilles de route de décarbonation ». Certaines feuilles de route ont déjà été publiées (filières Papier-carton et Mines et métallurgie), les autres sont attendues pour la fin de l’année. De son côté, l’Agence de la transition écologique (Ademe) publie des plans de transition sectoriels qui définissent des scénarios approfondis pour les industries grandes consommatrices d’énergie à l’horizon 2050.
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La décarbonation de l’industrie doit considérablement accélérer
En ce qui concerne la décarbonation des procédés industriels, plusieurs pistes sont bien identifiées : le recours à la biomasse, la capture et séquestration du carbone, ou encore l’électrification et le recours à l’hydrogène. Plusieurs arbitrages dessinent même une tendance en faveur de la dernière option. En témoigne la récente décision d’ArcelorMittal d’investir dans des fours électriques pour ses deux sites sidérurgiques. La relance de la production nucléaire souhaitée par le président de la République semble également s’inscrire dans cette tendance. Elle s’observe encore au niveau de l’Union européenne : dans le plan RePower EU, présenté en mai par la Commission européenne, figure un axe dédié au renforcement de la production d’électricité renouvelable et à la production interne d'hydrogène renouvelable.
En parallèle, de nouveaux financements publics ont été mis sur la table depuis la crise du Covid-19. Jusqu’à récemment, les principales politiques publiques visant à soutenir la décarbonation de l’industrie reposaient en grande partie sur le système européen d’échange de quotas d’émissions carbone (SEQE), le Fonds chaleur et les subventions de l’Ademe pour la réalisation d’études sur l’efficacité énergétique. Plusieurs nouvelles enveloppes de financement ont été dégagées ces deux dernières années : les plans hydrogène, France relance et France 2030 apportent ainsi un accompagnement de l’ordre de 20 milliards d'euros sur la période 2020-2030. Toutefois, il reste difficile de savoir si ces actions permettront d’accélérer suffisamment la décarbonation de l’industrie pour respecter les objectifs climat.
En donnant de la visibilité, la planification écologique doit faciliter les investissements
Les récents progrès dans l’action publique ne produisent pas néanmoins des baisses d’émissions suffisantes. Le candidat Emmanuel Macron a d’ailleurs proposé de renforcer l’action de l’Etat avec un projet de planification écologique : « une programmation des investissements avec des objectifs territoire par territoire, secteur économique par secteur économique, filière par filière ». Ce projet donne à l’Etat un rôle clé dans le pilotage des investissements industriels. Soit, mais comment s’y prendre pour s’assurer que l’Etat sera plus efficace que pour les initiatives récentes ?
Une planification écologique réussie précisera le cap à moyen et long terme, et fournira la visibilité qui est essentielle pour convaincre les industriels d’investir. Alors qu’ils doivent dès à présent engager des investissements à longue durée de vie, les industriels se heurtent à l’absence de perspectives claires, notamment en ce qui concerne les débouchés. Le rôle de la nouvelle Première ministre Elisabeth Borne sera de piloter cette transition au niveau du pays. L’industrie demeurant l’un des secteurs économiques où l’Union européenne a créé le plus d’interdépendance, il sera également important que ce pilotage se fasse en coordination avec nos partenaires européens.
Entre un scénario «techno push» et un «sobriété low tech»
L’un des principaux enjeux de cette planification sera notamment de définir les investissements nécessaires à la décarbonation. Au-delà de la question des technologies à privilégier, sur laquelle des grandes tendances se dessinent, les volumes à produire restent une source majeure d’incertitude pour les besoins d’investissements. Le plan de transition réalisé par l’Ademe pour le secteur du ciment illustre bien comment cette question des volumes fait varier considérablement les besoins d’investissements. Parmi les deux scénarios qui permettent d’atteindre les objectifs nationaux, on distingue le scénario « techno push », qui table sur une baisse modérée de la demande en ciment et un recours important à la capture et la séquestration de carbone avec un besoin d’investissement de l’ordre de 8 milliards d’euros, tandis que le scénario « sobriété low tech » s’appuie sur une importante réduction de la production industrielle dans une société plus sobre en ciment, et ne nécessiterait « que » quelque 240 millions d’euros d’investissements. Pour les industriels, les divergences entre ces deux scénarios peuvent pousser à l’inaction : comment prendre le risque d’investir massivement dans un appareil productif qui risquerait d’être sous-utilisé ?
Cette clarification des besoins d’investissements est un préalable pour élaborer des politiques publiques efficaces en matière de décarbonation de l’industrie. Ce n’est qu’une fois que l’on sait combien et dans quoi il faut investir que l’Etat peut calibrer les différents outils nécessaires pour les déclencher, assurer leur suivi et corriger le tir si besoin. C’est dans cette perspective qu’I4CE travaille à analyser les travaux existants au sein des filières. Notre objectif sera de mettre en avant les récents progrès et d’estimer les besoins d’investissements pour avoir une industrie française décarbonée. Une fois ces besoins d’investissements estimés, l’Etat pourra mettre en place des politiques publiques qui traduiront les grandes orientations industrielles en mesures concrètes, et fourniront un signal fort pour déclencher les investissements nécessaires à la transition de l’industrie.
Par Erwann Kerrand et Hadrien Hainaut, de l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE)
Les avis d'experts sont publiés sous l'entière responsabilité de leurs auteurs et n'engagent en rien la rédaction de L'Usine Nouvelle.
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