[Avis d'expert] Comment la révolution numérique redessine-t-elle les grands défis des villes de demain?

"Scannez le QR code". Dans la ville post-2020, ces quelques mots sont ancrés dans notre expérience urbaine, des restaurants aux salles de sport. Avec la pandémie, la révolution numérique s’est muée en métamorphose urbaine. Ces transformations offrent, pour Benoît Gufflet, coauteur de Learning Cities et Edouard Dupont, consultant chez Wavestone, une occasion unique : celle d’éveiller les consciences sur la place du numérique dans la ville.

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[Avis d'expert] Comment la révolution numérique redessine-t-elle les grands défis des villes de demain?
Edouard Dupont, senior consultant chez Wavestone, et Benoît Gufflet, coauteur de Learning Cities.

Depuis l’apparition du concept de smart city à la fin des années 2000, les villes ont œuvré pour offrir à leurs habitants des services urbains de plus en plus adaptés à leurs besoins. Ces citoyens 2.0 doivent alors partager leurs attentes, remonter leurs observations, ou même se laisser observer dans leurs usages. L’abondance d'initiatives liées au design des services en est la preuve. Par le concept de smart city, le citadin consommateur de l’urbain deviendrait un véritable acteur de la ville. Armé de son smartphone et via des plateformes numériques (issues de la CivicTech), le citoyen de demain serait prêt à formuler des idées, à s’engager, et à donner de son temps (et de ses données) au service d’une ville plus humaine et plus inclusive. C’est le fantasme d’un smart citizen.

Dans cette smart city fantasmée, il devient alors indispensable de mettre en place les moyens nécessaires au citoyen pour qu’il puisse effectivement participer à la construction de sa ville, et ainsi accomplir son destin de smart citizen. Mais l’enjeu ne s’arrête pas à la simple mise à disposition de nouveaux outils (sondages, plateformes citoyennes, budgets participatifs, etc.). Comment évaluer leur réussite ? Quel est le bon taux de participation ? Comment représenter la diversité dans cette nouvelle démocratie urbaine ? C’est indéniable, la participation citoyenne 2.0 pose de nombreuses questions.

Dès leur mise en service, ces outils font apparaître la limite majeure du fantasme de smart citizen : nombre de citoyens s’en désintéressent et leur utilisation se limite à une poignée de "citadins activistes" - des citoyens conscients de leur capacité à contribuer à la construction de leur ville. Au-delà de cette minorité, la majorité reste dans des rapports coûts-bénéfices. Ils s’engagent parfois, certes, mais à une échelle beaucoup plus locale et selon l’attachement qu’ils ont à leur espace de vie. Pourquoi ? Car c’est seulement ici que des gains tangibles apparaîtront, au plus près de chez eux.

Des innovations majoritairement invisibles, et mal comprises

Mais dans des villes de plus en plus connectées, les projets numériques, par essence dématérialisés, restent difficilement compréhensibles et visibles à l'œil nu. Résultat, le citoyen, souvent peu informé sur l’installation de ces outils, ne comprend pas pleinement les bénéfices et les risques des projets sur lesquels il est sollicité. Si l’on prend l’exemple de l’utilisation des données personnelles, il n’aura aucun mal à les partager à des applications comme Uber ou Airbnb, mais sera méfiant dès lors qu’on l’informe d’une captation de données dans l’espace urbain par la municipalité ou l’un de ses prestataires.

Cette position ambiguë est à l’origine des débats enflammés ayant eu lieu à Toronto sur le projet de Sidewalk Labs. Depuis 2017, cette filiale d’Alphabet faisait la une de l’actualité smart city après avoir été sélectionnée pour faire du quartier de Quayside une vitrine de la ville de demain grâce à une multitude d’innovations, technologiques ou non. Souvent présenté comme un projet de "Google City" par ses détracteurs, la question des données personnelles était au cœur du débat et des consultations citoyennes. Rarement interrogés sur ces enjeux, les habitants se sont méfiés et le projet a été abandonné en mai 2020, quand bien même un arsenal régulatif avait été imaginé pour contrôler l’utilisation des données dans ce futur quartier. Erreur de communication ou pas, la ville de Toronto fait à présent tout pour éviter que l'histoire ne se reproduise. Grâce à son initiative "connected communities", elle entend bien créer un dialogue citadin-municipalité éclairé et transparent vis-à-vis du digital dans la ville.

Rendre visible l'invisible pour une meilleure appropriation des technologies

Ce dialogue renouvelé se construit bien entendu au travers de politiques éducatives nationales qui forment et sensibilisent les plus jeunes aux nouvelles technologies, comme ça peut être le cas en Estonie. Mais au-delà de cet enjeu à l’échelle d’une nation, les villes peuvent et doivent elles aussi faciliter ces échanges en faisant en sorte que l’ensemble de leurs habitants soient informés des transformations en cours et à venir. Avant de leur demander d’adopter une position vis-à-vis de la technologie, cette dernière doit gagner en visibilité.

Mais comment ? Rendre visible l’invisible peut tout d’abord se faire au travers d’une meilleure communication, informative et pédagogique, sur les technologies employées et au plus près des usagers (c'est-à-dire sur le terrain). Par exemple, en installant directement sous un arrêt d’autobus une fiche explicative - facilement intelligible pour tous - sur un éventuel procédé d’optimisation des trajets de bus par intelligence artificielle.

Et pourquoi ne pas aller au-delà, en misant sur l’art et la créativité ? Ce secteur tant malmené par la pandémie ne serait-il pas un outil essentiel pour aider les villes à rendre tangibles ces petits capteurs installés ça et là dans l’espace urbains ? C’est en tout cas le pari qu’a fait Tartu, la capitale universitaire de l’Estonie. Là-bas, l’ensemble des anciens immeubles soviétiques qui se sont lancés dans l’installation de systèmes énergétiques connectés - les fameuses "smart grids" - ont été dotés de leur propre fresque, signées par un artiste de street-art. A Berlin, bien avant l’âge d’or du digital, les célèbres tuyaux d’alimentation d’eau étaient peints en rose. Pourquoi ne pas s’en inspirer aujourd’hui pour rendre visible cette nouvelle industrie numérique qui, peu à peu, prend place dans l’espace public ? Le contexte de la crise sanitaire a révélé au grand jour le rôle que peuvent jouer les outils technologiques dans la ville. Ne ratons pas cette opportunité pour permettre aux citadins de les anticiper, les encadrer, et se les approprier.

Par Benoît Gufflet, coauteur du rapport Learning Cities, et Edouard Dupont, senior consultant chez Wavestone

Les avis d'experts sont publiés sous l'entière responsabilité de leurs auteurs et n'engagent en rien la rédaction de L'Usine Nouvelle.

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