[Avis d'expert] Vaccin et effort de recherche : une lecture incomplète
Bernard Guilhon, professeur des universités à Skema Business School, livre son analyse du financement et du développement de la recherche française. Il affirme la nécessité de créer des passerelles entre les start-up et les instituts de recherche public/privé qui prennent en charge la création de nouveaux produits et les Big Pharmas qui assurent ensuite les fonctions d’exploitation.
Le déficit de la recherche publique française a été maintes fois souligné. Les crédits ont régressé de 28% entre 2011 et 2018 et si on met en rapport les performances appréciées par les publications, les citations et le nombre total de brevets avec les montants de dépenses de recherche engagés, on constate que la France n’est pas située sur la frontière d’efficience. Cependant, l’affaiblissement de l’effort de R&D s’inscrit dans un contexte plus général marqué par la transformation du modèle d’affaires des grandes entreprises, la course à l’innovation et l’importance des facteurs organisationnels.
La prépondérance des objectifs financiers au détriment de l’innovation résulte de la recherche de valeur pour l’actionnaire. Sur les 10 dernières années, Sanofi a distribué 99% de ses profits en rachats d’actions et versements de dividendes, sommes qui auraient pu financer la R&D. De ce point de vue, la faiblesse de la recherche publique française pénalise les innovations radicales qui ont peu de chances de se développer via les mécanismes du marché parce que les bénéfices de l’innovation ne peuvent être captés que plusieurs années après que les investissements en R&D ont été réalisés. De plus, la R&D est un actif difficilement redéployable.
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26 Septembre 2023
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Juillet 2023
Indice de prix de production de l'industrie française pour le marché français − CPF 21.20 − Préparations pharmaceutiques
Base 100 en 2015
131.1 -3.1
Juillet 2023
Indice de prix de production de l'industrie française pour le marché français − CPF 20.1 − Produits chimiques de base, engrais, Produits azotés, plastiques, caoutchouc synthétique
Base 100 en 2015
Sur la frontière technologique, l’impératif d’innover se heurte au raccourcissement de l’horizon temporel. La course à l’innovation engage l’avenir par des décisions dont la portée à long terme est grande au moment où les ressources temporelles pour innover diminuent lorsqu’il s’agit de créer un vaccin en un an au lieu des dix ans habituels. En effet, il s’agit de décisions irréversibles, sans que l’irréversibilité soit absolue (le vaccin peut être adapté à plusieurs variants), qui nécessitent un besoin accru d’informations et de connaissances. Comment cerner avec certitude les effets secondaires d’un vaccin à 5 ou 10 ans alors que seuls les effets à très court terme semblent établis ? Les vaccins sont introduits sur le marché avant d’être finalisés, les malades devenant les véritables testeurs.
Les recherches ont amplement souligné l’idée que les projets innovants sont fondamentalement ambigus : difficulté de distinguer les bons projets de ceux qui le sont moins, appréciations divergentes sur l’apport des nouvelles connaissances scientifiques et technologiques, sur la nécessité de déclasser ou non des connaissances antérieurement accumulées (virus atténué ou inactivé) au profit de sentiers technologiques nouveaux (ARN messager), et sur l’identification des compétences complémentaires nécessaires à la réalisation du projet.
Comment réduire l’ambiguïté de l’innovation ?
C’est sur ce point que le déficit français est le plus manifeste. La forme organisationnelle efficace est un écosystème d’innovation et de production qui regroupe plusieurs acteurs entre lesquels s’instaure une division du travail cognitif. La fonction d’exploration est assurée par des start-up et des biotechs (ce qui suppose des marchés financiers profonds et structurés), ou des instituts de recherche publics et/ou privés qui prennent en charge la création de nouveaux produits et une partie de leur développement. Les Big Pharmas assurent les fonctions d’exploitation telles que les tests cliniques, la production, le marketing et la commercialisation. L’écosystème comprend également des financiers et des experts juridiques spécialisés dans la gestion de la propriété intellectuelle.
La production d’une innovation ne se résume pas à la R&D. Pour que la connaissance puisse être transférée, même sous forme de licences et de brevets, il faut des interactions fortes entre les participants dans le cadre de dispositifs contractuels qui prennent la forme d’un langage commun et d’une grammaire technique qui créent les canaux et les codes grâce auxquels la communication est permise. L’efficacité du dispositif est tributaire de la qualité de la coordination. L’argument relationnel devient essentiel pour assurer une fonction clé de la gouvernance de l’écosystème: réaliser des investissements spécifiques dans des actifs humains et physiques, définir les seuils de risques et planifier la répartition des résultats. L’innovation n’est pas un acte individuel qu’on peut modéliser comme une loterie, elle a une dimension collective qui exige un dialogue construit qui n’a pu être établi entre l’Institut Pasteur, producteur de connaissances scientifiques, et l’opérateur industriel Merck, détenteur de connaissances scientifiques et instrumentales, qui a estimé que les réponses immunitaires du candidat vaccin étaient insuffisantes dans une course à l’innovation dans laquelle du retard avait été pris.
Par Bernard Guilhon, professeur des université à Skema Business School
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