[Avis d'experts] Rénovation énergétique : une (bonne) prime ne suffit pas

Si le plan du gouvernement entend mettre la rénovation des logements sur la trajectoire de la neutralité carbone, il faudra aller bien au-delà de la refonte du dispositif MaPrimeRenov’. Hadrien Hainaut et Maxime Ledez de l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE) explorent le potentiel d’un cumul plus judicieux des aides et des prêts, des tiers de confiance territoriaux, et de l’animation des groupements d’artisans.

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[Avis d'experts] Rénovation énergétique : une (bonne) prime ne suffit pas
Deux millions de ménages entreprennent chaque année des travaux d’entretien dans leur logement.

Le gouvernement a souhaité inscrire son plan “France Relance” sous l’égide de la neutralité carbone à l’horizon 2050, en commençant par rattraper d'ici deux ans le retard pris sur la stratégie nationale bas-carbone (SNBC). Il entend pour cela donner un nouveau souffle à la rénovation des logements. Si près de deux millions de ménages entreprennent chaque année des travaux d’entretien dans leur logement, bien peu aboutissent à réduire effectivement les consommations d’énergie et les émissions de gaz à effet de serre. Le gouvernement souhaite porter le nombre de rénovations annuelles à 500 000 (objectif du Plan Climat 2017) et en accroître considérablement la performance.

Pour les rénovations globales...

Aujourd’hui, les rares rénovations qui parviennent à réduire drastiquement les consommations d’énergie et les émissions procèdent de façon globale, le plus souvent en isolant les murs et la toiture, en changeant le système de chauffage et en installant une ventilation efficace. Mais ces travaux coûtent, qui coûtent de l’ordre de 50 000 euros pour une maison, bien plus que ce que la majorité des ménages se disent prêts à consacrer, en moyenne, à leur projet de rénovation. Et aux prix actuels de l’énergie, les économies d’électricité et de combustible ne rentabilisent un tel investissement qu'après plusieurs dizaines d’années.

... le forfait prévu aura peu d'impact...

Dans son plan présenté fin septembre, le gouvernement propose de consacrer 2 milliards d’euros supplémentaires à MaPrimeRénov. La prime devient accessible à tous les propriétaires qui occupent leurs logements, et le barème s’enrichit d’un forfait dédié à la rénovation globale, ce qui est une première au niveau national. Cependant, nous estimons que ce nouveau forfait aura peu d’impact. En effet, le plafond de ce forfait, initialement annoncé à 20 000 euros, est finalement fixé à 7 000 euros pour les tranches de revenus intermédiaires, et 3 500 euros pour les revenus supérieurs.

...même avent le cumul des aides

C’est bien peu en comparaison du coût complet d’un programme de travaux ambitieux. De plus, bien qu’il soit possible de cumuler cette prime avec celle des certificats d’économie d’énergie (CEE), ou avec diverses aides locales, les démarches sont souvent si complexes que les ménages ne s’y retrouvent pas, tandis que les professionnels de l’accompagnement y perdent un temps précieux. Enfin, ce forfait est proposé à toutes les rénovations économisant au moins 55% d’énergie finale (sans augmenter les émissions). Un tel critère n’encouragera pas les ménages à viser le niveau "bâtiment basse consommation" qui constitue pourtant l’horizon à atteindre dans la stratégie nationale. En d’autres termes, ces logements seront donc à rénover une seconde fois d’ici 2050.

Les aides devraient couvrir plus de la moitié des travaux

Pour devenir véritablement attractive, la rénovation globale et performante doit bénéficier aux ménages dès le moment où sont réalisés les travaux. Idéalement, les charges (factures d’énergie + annuités d’emprunt) baissent dès la première année. Il existe diverses manières d’atteindre ce seuil en fonction des caractéristiques des logements ou des propriétaires, mais nous pensons qu’en règle générale, les aides publiques devraient couvrir au moins la moitié du coût des travaux. Les travaux d’isolation devraient être au moins aussi aidés que ceux sur les appareils de chauffage (pour lesquels il existe déjà d’intéressantes primes comme celles des CEE).

via un Elargissement de l'ecoPTZ

Et pour étaler le reste à charge, le plafond de l’éco-prêt à taux zéro devrait être augmenté et sa maturité allongée. Les subventions et le prêt aidé solliciteront d’autant moins la trésorerie des ménages s’ils sont versés au moment où se présentent les factures des travaux. Pour garantir la performance énergétique tout en assurant le suivi de l’impact, ces aides pourraient être conditionnées au cahier des charges "BBC rénovation", certification éprouvée et opérée depuis plusieurs années dans le parc social.

Il faut aussi rassurer...

Le gouvernement a tout intérêt à créer ainsi les conditions favorables au développement de la rénovation globale et performante. Il existe peu de risques qu’une aide généreuse récompense à tort des projets qui auraient de toute façon eu lieu (effet d’aubaine), car peu de rénovations ambitieuses émergent spontanément à ce jour. D’ailleurs, au-delà des financements, beaucoup de ménages redoutent d’entreprendre des travaux complexes et coûteux, et peu d’artisans sont engagés dans des groupements de qualité.

Utiliser les tiers de confiance territoriaux

Les ménages qui font aujourd'hui le pas vers des rénovations globales ont souvent recours aux services des plateformes territoriales de la rénovation (PTRE). Selon les territoires, et avec certaines sociétés d’économie mixte (SEM), ces antennes peuvent conseiller les ménages sur les projets, les aider à prendre contact auprès d’artisans de qualité, conventionner avec ces mêmes artisans le suivi des chantiers, administrer les dossiers d’aides publiques, voire proposer eux-mêmes les prêts à taux zéro lorsque les banques de détail ne le font pas déjà.

Il s’agit d’orienter les ménages vers des travaux ambitieux le plus en tôt possible. En effet, beaucoup de propriétaires se présentent aux pouvoirs publics en ayant déjà décidé de leur projet de travaux, parfois même après le début des chantiers. Dans ces conditions, les aides actuelles constituent au mieux une aubaine, au pire une déception (lorsqu’on n’est pas éligible), mais incitent rarement à changer d’approche.

Cibler les acquéreurs d'un nouveau bien

Pour remédier à cela, davantage d’informations pourraient être transmises aux acquéreurs d’un nouveau bien, car c’est un moment privilégié pour entreprendre des travaux. Par exemple, l’obligation d’accompagner le diagnostic de performance énergétique (DPE) d’un audit listant les travaux et leurs bénéfices potentiels pourrait être étendue à toutes les transactions. Pourquoi ne pas faciliter l’ajout d’un éco-prêt à taux zéro, éventuellement assorti de garanties, à l’emprunt immobilier des acquéreurs ? Plus d’un million de logements anciens ont changé de propriétaire en 2019 : autant d’occasions (manquées) de les rénover en profondeur.

Mobiliser les artisans

Les artisans sont-ils prêts à répondre à une demande croissante pour des rénovations performantes ? La question porte aussi bien sur le nombre de professionnels à mobiliser que sur la qualité des réalisations et leur capacité à travailler ensemble. En effet, réussir une rénovation performante n’implique pas seulement d’effectuer certains gestes techniques, mais aussi d’opérer en groupement. Là encore, les tiers de confiance territoriaux et leurs relais auprès des filières professionnelles peuvent jouer un rôle moteur, en anticipant les besoins de compétences et en animant les formations initiales et continues des artisans.

Et prévoir des contrôles de chantier

Les contrôles, pendant et après le chantier, comme dans le programme Effizienzhaus mis en place par la KfW en Allemagne, sont un gage de performance apprécié des ménages. Une bonne coordination des artisans est source d’économies sur la facture des travaux, ce qui doit achever de convaincre les pouvoirs publics d’y dédier davantage de ressources.

En contribuant à améliorer le financement des travaux, l’accompagnement des ménages et l’organisation des artisans, le gouvernement peut, dans le cadre de la relance, faire décoller une filière constitutives de ses orientations stratégiques.

Hadrien Hainaut et Maxime Ledez, de l’association à but non lucratif Institut de l’économie pour le climat (I4CE)

Les avis d'expert sont publiés sous la responsabilité de leurs auteurs et n'engagent en rien la rédaction de L'Usine Nouvelle.

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