[Avis d'expert] Remettre l’industrie du vélo en selle

Paul-Adrien Cormerais, CEO-fondateur de l’entreprise angevine de micro mobilités Pony, milite pour la reconstruction d’un tissu industriel dédié au cycle en France. Si les usages de mobilité se transforment dans toutes les villes, il affirme que nous devons retrouver une capacité de production et d’innovation pour accompagner ce mouvement.

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[Avis d'expert] Remettre l’industrie du vélo en selle
Paul-Adrien Cormerais, CEO et co-fondateur de Pony

Depuis le lancement de la campagne pour les élections municipales, pas un seul jour ne passe sans que ne soient vantées les vertus du vélo pour les mobilités urbaines. La crise sanitaire ne fait qu’accélérer cette tendance. Respectueuse de l’environnement, économe de l’espace public et bonne pour la santé : il est vrai que la petite reine n’a que des qualités. À l’heure de la distanciation sociale et de l’urgence écologique, il faut se féliciter de ce consensus. Mais, alors que la pénurie de masques nous a tristement rappelé les dangers d’une production totalement délocalisée, qu’en est-il de la fabrication de nos bicyclettes ?

En France et en Europe, il n’existe plus de filière du cycle : la quasi-totalité des vélos, mécaniques et électriques, est fabriquée en Asie. Votre engin indiqué "Made in France", peu importe sa gamme et son prix, est en fait très probablement chinois ou taïwanais. La dénomination "Made in France" ou "Made in Europe" ne représente hélas que les derniers coups de tournevis.

À quelques kilomètres de Taipei se trouve une ville entièrement dédiée à l’industrie du cycle : Taichung. En une journée, il est possible de concevoir un vélo de A à Z : extrusion, usinage, pliage, soudure, injection plastique, peinture. Tous les grands accessoiristes y ont leurs usines, on trouve le meilleur rapport qualité-prix pour tous les budgets. On y réalise enfin l’assemblage, les tests qualité, les certifications et le conditionnement.

Ce bassin industriel, constitué de centaines d’usines différentes situées dans un rayon de quelques kilomètres est né à la suite des nombreuses délocalisations des années 80. Au cours des 40 dernières années, il a innové sans relâche et dispose aujourd’hui d’un savoir-faire inégalé. Là où les fournisseurs asiatiques produisent toutes les gammes, du modèle enfant à celui qui gagne le Tour de France, il n’est même plus possible de faire fabriquer une série de cadres, pièce centrale du vélo, en Europe.

Conséquence, les fabricants français continuent d’effectuer leur recherche et développement sur le territoire national mais ne sont pas en mesure de produire sur place. Pourtant, le coût de la main d’œuvre n’est plus un obstacle à une relocalisation : à Taïwan, le salaire médian est supérieur à 1 200 euros ; à Shenzhen, autre bassin, il est à plus de 1 100 euros. Alors, pourquoi les entreprises du secteur ne réinstallent-elles pas leur outil de production en France ou en Europe ? En grande partie, parce que le savoir-faire qui a permis de fabriquer les modèles iconiques de notre imaginaire, les Peugeot, Motobecane ou encore Gitane, n’a pas été défendu.

En apparence simple, les vélos sont un concentré de technologies. En France et en Europe, de nombreuses start-ups dotées d’ingénieurs inventifs et talentueux produisent chaque année des innovations qui, après avoir été largement financées, meurent sur les étagères à défaut de trouver une déclinaison industrielle. L’éloignement des lieux de production rompt le lien entre théorie et pratique : nos ingénieurs ont de plus en plus de difficultés à appréhender les défis de la mise en production. L’absence d’usine constitue un véritable frein à l’innovation, pourtant centrale dans l’industrie du cycle.

Alors que les espaces urbains donnent une place croissante aux micro-mobilités, l’industrie du cycle que nous avons délaissée dans le passé s’affirme comme un enjeu stratégique de demain. La crise du Covid-19 génère aujourd’hui une gigantesque demande de vélos que nous devons utiliser comme un catalyseur pour rebâtir une industrie nationale et créer en France un bassin des micro-mobilités à l’image de celui de l’aéronautique en Midi-Pyrénées. Dans le cas contraire, chaque euro déboursé dans un vélo s’envolera vers l’Asie. Plus grave, si la Chine et Taïwan ferment leurs frontières, les Français retourneront à leur voiture.

Paul-Adrien Cormerais, CEO et co-fondateur de Pony

Les avis d'experts sont publiés sous l'entière responsabilité de leurs auteurs et n'engagent en rien la rédaction de L'Usine Nouvelle

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