[Avis d'expert] Nécessaire mais pas si simple de prolonger la vie des parcs éoliens en France

Le renouvellement des parcs éoliens terrestres en France, ou "repowering" est nécessaire, voire indispensable, pour atteindre les objectifs de la nouvelle feuille de route énergie, la PPE, explique Adrien Fourmon, avocat en droit public et en énergies renouvelables du cabinet Jantet. L’opération, possible, va s’avérer complexe, prévient l’expert, qui détaille pour L'Usine Nouvelle le cadre réglementaire et contractuel dans lequel doivent s'inscrire les opérateurs. 

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[Avis d'expert] Nécessaire mais pas si simple de prolonger la vie des parcs éoliens en France
Au cours de la période allant jusqu’à 2028, un ensemble hétérogène de parcs éoliens d’une capacité cumulée de 7 GW arriveront au terme de leur contrat d’obligation d’achat.

La présence de dispositions et d’un cadre permettant une gestion appropriée de l’extension de la durée de vie et du renouvellement des parcs éoliens constitue un enjeu clé de l’atteinte des objectifs nationaux de croissance, liés à la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) publiée en avril 2020 en matière d’énergie renouvelable (EnR).

En effet, le renouvellement des installations éoliennes, également appelé "repowering ", est un sujet encore émergent, mais d’importance grandissante, dans la mesure où il devrait contribuer significativement à l’atteinte des objectifs en matière d’EnR, tandis que son cadre juridique est encore largement à construire. Ce marché devant encore se structurer, les démarches sur le plan juridique et administratif ne sont pas si simples et doivent être anticipées.

Fin des contrats d’obligation d’achat pour 7 GW en 2028

On constate que la question du "repowering" prend de l’ampleur dans la stratégie des acteurs de la filière, notamment dans le cadre des financements de projet (refinancement brownfield et effet de portefeuille).

Au cours de la période allant jusqu’à 2028, un ensemble hétérogène de parcs éoliens d’une capacité cumulée de 7 GW arriveront au terme de leur contrat d’obligation d’achat. Ainsi, près de 1 GW par an devront sortir du mécanisme de l’obligation d’achat d’ici 2015. Dès lors, suite à l’augmentation attendue des volumes de parcs éoliens français sortant de leur contrat d’obligation d’achat, les exploitants ont plusieurs options pour le renouvellement de ces parcs.

L’Ademe a d’ailleurs publié, le 16 juillet 2020, une étude technico-économique sur le renouvellement des parcs éoliens en France intitulée « Quelles stratégies possibles et envisageables en fin d'exploitation pour les parcs éoliens terrestres ? », réalisée à partir d’une analyse des 742 parcs construits avant 2015 et actuellement en production, l’occasion de revenir sur ce sujet.

Un choix stratégique pour les opérateurs

L’économie du repowering éolien (développement des corporate PPA et rentabilité sur le marché de la vente directe de la production d’électricité, des capacités et des garanties d’origine) et leurs aspects techniques (disponibilité des pièces de rechange et obsolescence des équipements, stratégie de maintenance, environnement complexe et zones propices au développement de l’éolien, avec régime de vent approprié) sont des leviers importants de déclenchement d’une opération de renouvellement, à l’interface avec les enjeux liés à la réglementation et l’environnement.

On rappellera que le tarif d’achat éolien a été fixé jusqu’à 2015 par des arrêtés tarifaires d’une durée de 15 ans. Cette durée du mécanisme de soutien apparait en pratique inférieure aux durées de vie technique attendues pour la plupart des parcs concernés.

On notera en revanche qu’un renouvellement anticipé conduirait à des pénalités, supposant un remboursement d’une partie des subventions d’exploitation perçues ; Il s’agit d’une spécificité du régime de soutien français.

Trois scénarii pour sortir du subventionné

Dès lors, à l’approche du terme du mécanisme de soutien, et en fonction des stratégies de gestion des producteurs, l’exploitant peut envisager 3 scenarii pour sa sortie du mécanisme de soutien : engager le démantèlement, poursuivre l’exploitation ou s’engager dans une forme de renouvellement du parc.

Pour des cas où un renouvellement serait impossible ou nécessairement à l’identique (par exemple pour des éoliennes situées à moins de 500 mètres de parcelles habitables), l’exploitation du parc éolien initial pourra être poussée à 25 ans, si les conditions économiques et techniques le permettent, jusqu’à ce que le projet atteigne la fin de sa vie technico-économique.

A noter cependant que les articles de la section 3 de l’arrêté ministériel du 26 août 2011 imposent que les installations soient conformes aux normes exigées en la matière (notamment la norme IEC), sans donner d’échéance.

Un cadre administratif précis

Rappelons que l’article L. 181-14 du Code de l’environnement prévoit tout de même que toute "modification substantielle" d’une installation relevant de l’autorisation environnementale doit être soumise à une nouvelle autorisation environnementale, tandis que toute "modification notable" intervenant dans les mêmes circonstances doit être portée à la connaissance de l’autorité administrative compétente pour délivrer ladite autorisation.

Plus spécifiquement, le traitement des dossiers de demande de repowering s’établit en application de la circulaire du ministère de la Transition écologique et solidaire du 11 juillet 2018 relative à l’appréciation des projets de renouvellement des parcs éoliens terrestres, qui vise à faciliter le traitement par les services de l’Etat de dossiers de renouvellement.

La circulaire du 11 juillet 2018 distingue cinq cas possibles de renouvellement pour les parcs éoliens :

- remplacement des éoliennes par un autre modèle de dimensions identiques, au même emplacement ;

- remplacement, au même emplacement, par des éoliennes de même hauteur hors tout (mât, nacelle et pâle à la verticale), mais avec des pales plus longues

- remplacement, au même emplacement, par des éoliennes plus hautes

- remplacement et déplacement des éoliennes ;

- ajout de mâts.

En pratique, si cette modification est considérée comme notable (c’est-à-dire non substantielle), une nouvelle autorisation environnementale n’est pas nécessaire.

Ainsi, une augmentation de moins de 10% de la hauteur totale d’une éolienne relève d’une modification simplement notable. Par contre, le caractère substantiel ou notable d’une modification entre 10 % et 50 % de la hauteur est apprécié au cas par cas ; tandis que la modification est nécessairement considérée comme substantielle dans le cas d’une augmentation de plus de 50% de la hauteur totale.

Nouvelle étude d’impact

S’agissant du renouvellement d’un parc strictement à l’identique, un porter-à-connaissance sur la réalisation des travaux et les conditions de remise en état sera requis. En revanche, pour un renouvellement au même emplacement, par des éoliennes plus hautes ou des pales plus longues, la localisation en zone Natura 2000 pourra amener le Préfet à considérer le projet de renouvellement comme substantiel, dès lors que le suivi environnemental conclut à des impacts significatifs sur la biodiversité.

Mais, en dehors de la hauteur et de l’emplacement, d’autres critères relatifs à l’environnement du projet (tels que bruits, radars, paysage par exemple) seront également examinés par le Préfet pour déterminer le caractère substantiel ou non des modifications envisagées.

En fonction de la situation, le projet entrainera la nécessité de réaliser une étude d’impact différentielle limitée, ou une étude d’impact complète. Une analyse proportionnée aux enjeux devra permettre d’évaluer les impacts de la modification envisagées notamment sur les principaux impacts, dont les suivants: nuisances visuelles et sonores, perturbations sur les radars et la navigation aérienne (civile et militaire), paysage et patrimoine, biodiversité.

Nécessaire anticipation

Là encore, l’anticipation s’avère importante, la phase de préparation et de planification du renouvellement devant être engagée plusieurs années avant la date de réalisation (en pratique de l’ordre de trois à cinq ans).

D’autant que s’agissant des risques juridiques associés au repowering, celui-ci est potentiellement double, avec (i) d’une part celui du refus d’une nouvelle autorisation si la modification est qualifiée de substantielle, et (ii) celui des recours administratifs contre l’autorisation environnementale d’autre part.

L’approche consistant au changement de turbine ("Returb"), c’est-à-dire le cas de remplacement des éoliennes, en remployant les fondations existantes et l’infrastructure électrique, permet de viser une puissance installée identique ou en légère augmentation considérant les tolérances du gestionnaire de réseau de distribution vis-à-vis de la puissance injectée.

En pratique, cette démarche correspond aux catégories I et II de la circulaire de juillet 2018 relative à l’appréciation des projets de renouvellement des parcs éoliens terrestres.[1]

Dans le cas contraire, une demande de raccordement complémentaire devra être réalisée suivant la capacité d’injection supplémentaire à prévoir.

Dans certains cas, les caractéristiques techniques des éoliennes sont contraintes, la hauteur totale actuelle correspondant par exemple au plafond imposé par un couloir aérien militaire ou par un opérateur radar.

Un changement de fondations et des turbines (« Refound »), approche la plus commune du renouvellement, implique quant à lui un renouvellement des fondations et des éoliennes, le plus souvent avec une implantation modifiée et une augmentation de la puissance unitaire des machines.

Pléthore de circulaires

Cette démarche correspond ainsi aux catégories III et IV de la circulaire de juillet 2018.

L’infrastructure existante sera en revanche démantelée et renouvelée sur la base d’un projet très différent du projet initial, pour les sites pour lesquels il n’existe aucune limite de hauteur et pour lesquels les choix de renouvellement pourront intégrer les dernières générations d’éoliennes avec des diamètres de rotor et des hauteurs de tour plus importants, dans un but de maximisation de la production et de minimisation du coût de production, l’approche permettant un saut technologique significatif (« Redev »).

Cette démarche vise la catégorie IV de la circulaire de juillet 2018, voire à la catégorie III, si l’implantation est inchangée.

Attention aux aspects contractuels du renouvellement des parcs éoliens

D’autres aspects contractuels devront être pris en compte, notamment la sécurisation foncière du projet, le réemploi des voiries et plateformes, des câbles inter-machines ; la gestion des contrats de projet et plus particulièrement la maintenance des éoliennes au-delà de la durée de 15 ans au regard de la fréquence/nature des contrôles préventif à prévoir, de la détérioration du productible, de la baisse de disponibilité/dégradation de la performance des installations, ainsi que de la disponibilité de pièces détachées. Le recours au marché de l’occasion permet d’ailleurs de réduire les coûts pour des projets éoliens « de deuxième main ».

En outre, des interventions techniques telles que l’entretien, la réparation et la modernisation des installations, à plus ou moins faible CAPEX et à faible temps de retour sont envisagées dans la continuité de l’exploitation du parc (tel que le remplacement des unités de contrôle ; le « reblading » consistant en un replacement des pales existantes par des pales plus longues ; ou l’installation d’appendices aérodynamiques pour améliorer la production, voir même le reconditionnement ou « overhaul », qui suppose une remise en état générale ou ciblée des machines indépendamment d’une défaillance).

De plus, les composants des éoliennes sont en grande majorité recyclables à 90% et la majeure partie des déchets de chantier dispose de filières de débouchés établies, s’agissant essentiellement de béton et de ferraille, en principe recyclés. S’agissant des pales, elles sont composées de fibre de verre et matériaux composites, à priori non recyclables, mais qui peuvent faire l’objet d’une valorisation énergétique, sous forme de combustible solide de récupération (CSR).

Les acteurs du secteur vont ainsi devoir s’adapter rapidement à l’émergence annoncée de cette filière du recyclage et du repowering éolien.

Adrien Fourmon, Avocat à la Cour, Jeantet AARPI



[1] NOR : TREP1808052J, publication au Bulletin officiel n°2018-07 du 25 juillet 2018.

Les avis d'expert et tribunes sont publiés sous la responsabilité de leurs auteurs et n'engagent en rien la rédaction de L'Usine Nouvelle.

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