[Avis d'expert] Le projet d’Intel en Europe est-il conforme à l’European Chips Act ?
François Francis Bus, ancien de Texas Instruments, auteur de "A l’époque où les puces font leurs lois", considère que la proposition d’Intel va techniquement dans le sens prévu de l’augmentation de la part européenne dans la production mondiale des semi-conducteurs mais soulève néanmoins beaucoup de questions.
Pat Gelsinger, directeur général d’Intel, a indiqué être prêt à investir en Allemagne, Irlande, France, Italie, Espagne et Pologne au total 33 milliards d'euros qui pourrait aller à 80 milliards sur 10 ans. Qu’est ce qui a été proposé par Intel ?
Côté fabrication des puces
L’usine de Magdebourg (17 milliards d’euros) envisagée en Allemagne, «produira les semi-conducteurs les plus avancés que nous soyons capables de construire, indique le DG d’Intel Pat Gelsinger, soit les puces sub-nanométriques de l'ère Angström, et notamment les modèles Intel 20A et Intel 18A. C’est-à-dire des gravures de 7nm pour l’Intel 4 et 5nm pour l’Intel 20A. Les investissements supplémentaires annoncés dans notre site de production en Irlande (12 milliards) visent aussi à concevoir de telles puces, qui seront conditionnées en Italie. Le Chips Act européen met clairement l'accent sur les puces les plus avancées, et nous avons voulu faire en sorte de répondre à ces attentes ». Leur mise en service est prévue pour 2026, avec 3 000 emplois à la clé.
Notons que les responsables d’Intel considèrent que les puces qu’ils fabriquent ont des performances supérieures à celles à finesse de gravure de même dimension obtenues avec un procédé différent, celui de TSMC ou de Samsung. Ainsi le nœud SuperFin 10 nm est ainsi rebaptisé Intel 7 parce que considéré comme aussi performant que celui produit avec des gravures de 7 nm par TSMC. Plus important, rappelons qu’Intel a décidé de sous-traiter les gravures inférieures à 10 nm à TSMC. Dans cette configuration, actuellement la fabrication de telles puces est donc toujours asiatique ou sera américaine car aux Etats-Unis, il y a le même problème et pour le régler, une usine TSMC produisant des puces avec une finesse de gravure de 5 nm doit être construite à Phoenix, en Arizona. Cette unité représente un investissement de 12 milliards de dollars. La production doit démarrer en 2024 avec une capacité de 20 000 tranches de 300 mm par mois. Elle emploiera à terme près de 2000 personnes. Samsung a prévu une usine similaire de 17 milliards de dollars à Taylor, au Texas.
La sous-traitance chez TSMC s’expliquerait par le manque chez Intel de capacité de production de puces et non par les difficultés de mettre au point un procédé industriellement rentable. Si c’est bien le cas, l’usine de Magdebourg et celle d’Irlande pourront effectivement produire des puces avec des finesses de gravure équivalentes à 7 et 5 nm (Intel 4 et Intel 20A). «Pas question de donner de l'argent européen à investir dans les technologies matures » a averti le commissaire européen Thierry Breton.
Côté assemblage et conditionnement
Intel compte travailler à la création d’un site de conditionnement et d’assemblage en Italie qui couterait 4,5 milliards d’euros, le détail et les objectifs exacts ne sont pas connus. Est-ce que ce site permettra en Europe d’être compétitif ou au minimum de se rapprocher des coûts de revient de l’assemblage des semi-conducteurs en Asie ? Intel apparemment pour les Etats Unis ne prend pas la même direction puisqu’il a été annoncé en décembre 2021 la création d’une activité d’assemblage en Malaisie à Penang avec un investissement qui se monte à 6,3 milliards de dollars avec la promesse de création de plus de 4 000 emplois directs.
Côté conception de produits
Intel a annoncé la création de son futur pôle européen de recherche et développement sur le plateau de Saclay (Essonne). Avec 1 000 emplois, dont 450 dès la fin 2024, ce site deviendra le siège européen d’Intel pour les capacités de conception de calcul à haute performance (HPC) et l’intelligence artificielle. C’est une très bonne chose, Intel connait ce genre d’activité en France car ce n’est pas la première fois qu‘Intel y crée un centre de RetD. Il y en a eu par exemple un créé en 2012 pour la téléphonie mobile à Sophia Antipolis à l‘époque où y était concentrée la compétence sur le sujet et qui a compté jusqu’à 700 personnes, puis qui a été fermé en 2017. De même en 2019 a été créé un centre pour l’automobile qui depuis a été repris par Renault.
Des investissements en R&D sont également prévus en Espagne et en Pologne.
En outre, Intel prévoit d’établir son principal centre de conception de fonderie européenne en France, offrant des services de conception et des garanties de conception aux partenaires et clients industriels français, européens et mondiaux via son entité Intel Foundry Services (IFS). « Au cours de l’année qui s’est écoulée depuis sa création, IFS a constitué une équipe de classe mondiale soutenue par les technologies de pointe d’Intel. Ce centre de R&D permettra une approche collaborative pour créer un écosystème ouvert florissant afin de soutenir le pipeline d’innovation de nos clients", a indiqué le DG d’Intel. Est-ce que les règles de conception d’IFS seront de nature identique, plus simples ou moins simples qu’avec celles des autres fondeurs qui n’utilisent pas le procédé de fabrication d’Intel ?
En conclusion, le projet Intel amène pour 2026 des capacités de production de puces avancées, ce qui va donc contribuer à augmenter la part des semi-conducteurs fabriqués en Europe dans la production mondiale, l’objectif du Chips Act étant de la doubler d’ici à 2030. Le projet est donc techniquement conforme aux critères du Chips Act.
Ceci n’exonère pas pour des raisons de sécurité et d’indépendance d’avoir une seconde source de puces avancées. Il ne faut pas être dans la situation d’utiliser uniquement des puces à base de technologies appartenant à un pays qui pourrait faire en sorte d’empêcher d’exporter des produits finis contenant de tels semi-conducteurs. Une fabrication européenne sera également nécessaire pour la filière FD-SOI, (Le FD-SOI, la technologie conçue par le CEA-Leti, qui repose sur l’ajout d’une fine couche d’oxyde de silicium isolant qui permet de faire des transistors 25 % plus rapides et 30 à 40 % moins énergivores) filière spécifique à l’Europe et à la France grâce à la société Soitec. Cette seconde source peut être soit d’origine européenne grâce aux développements technologiques prévus dans le Chips Act par le centre de recherche Imec en Belgique et le CEA-Leti en France, soit avec une unité TSMC ou Samsung. Si l’on veut une telle solution avant 2026, la solution TSMC/Samsung est actuellement la seule disponible et donc la plus rapide à mettre en œuvre.
François Francis Bus, auteur de "A l’époque où les puces font leurs lois"
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