[Avis d'expert] Le digital est mort, vive le numérique !
La Commission d’enrichissement de la langue française vient de trancher : nous ne devons plus utiliser l’anglicisme « digital », mais lui préférer le terme « numérique ». Placée sous l’autorité du Premier ministre, cette commission, qui est actuellement présidée par l’écrivain et membre de l’Académie française Frédéric Vitoux, a pour objectif de favoriser notre langue, notamment dans un usage professionnel, au détriment des anglicismes, dont elle subit régulièrement les assauts. Sa devise : « Il y a un mot pour chaque chose, pour chaque notion, chaque réalité. »
Du « digital » au « numérique », il n’y a qu’un pas…
Retour sur l’histoire du digital… Digital, digitalis signifie en latin « relatif au doigt », mais prend le sens en anglais de « données discrètes et non continues ». Il vient d’un ancien terme anglais d’arithmétique qui désignait les nombres inférieurs à dix, soit les nombres que l’on pouvait compter… avec ses doigts ! Le mot s’est ensuite répandu aux États-Unis avec l’avènement de l’informatique.
Ainsi, lorsqu’on parle d’empreintes digitales, c’est bien du dessin des dermatoglyphes (plis et rainures des doigts) dont il s’agit, une empreinte propre à chaque individu, donc unique. Tandis que lorsqu’on parle d’empreinte numérique, c’est la pollution des usages internet qui est pointée du doigt. Il semblerait même que 30 % des nouveau-nés aient une empreinte numérique avant même leur naissance !
Digitalisation, marketing digital… Le monde professionnel regorge de ce terme. En 2013, l’Académie française avait pourtant déjà tranché, estimant que « l’adjectif digital en français signifie "qui appartient aux doigts, se rapporte aux doigts". Il vient du latin digitalis, "qui a l’épaisseur d’un doigt", lui-même dérivé de digitus, "doigt". […] C’est parce que l’on comptait sur ses doigts que de ce nom latin a aussi été tiré, en anglais, digit, "chiffre", et digital, "qui utilise des nombres" ».
Technologie versus expérience de la technologie
En vertu d’un décret de 1996, les termes et expressions publiés au Journal officiel sont « obligatoirement utilisés à la place des termes et expressions équivalents en langues étrangères». Ainsi le numérique devra remplacer le digital.
Cependant, si l’on parle d’une application mobile, on pourrait légitimement considérer que l’expérience se vit… grâce à ses doigts. La notion de « numérique », qui est polysémique, tend à renvoyer à la dimension technologique, là où le digital renvoie à l’expérience de cette technologie.
Si l’on prend le substantif « numérisation », on peut le définir par dématérialisation. La digitalisation va bien au-delà, puisqu’elle traduit la communication sur des outils et supports numériques. Une marque ne se numérise pas, elle se digitalise, elle se vit comme une nouvelle expérience via des supports dématérialisés.
On parle d’industrie numérique et de pratiques digitales, le chiffre et la main, car sans être incompatibles, elles sont complémentaires dans les usages. Si l’usage fait loi en matière de linguistique, il sera difficile, pour ne pas dire impossible, d’oublier le digital au profit du numérique. La révolution, à défaut d’être digitale, sera peut- être linguistique… Une histoire à s’en mordre les doigts !
Delphine Jouenne, associée cofondatrice d’Enderby et autrice du livre « Un bien Grand Mot »
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