[Avis d'expert] Le «Chips Act» européen, un challenge qui ne laisse pas indifférent

François Francis Bus, ancien de Texas Instruments, auteur de "A l’époque où les puces font leurs lois", considère le « Chip Act » comme un challenge réalisable. Toutefois, il prévient qu'il ne faut pas en sous-estimer les difficultés.

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[Avis d'expert] Le «Chips Act» européen, un challenge qui ne laisse pas indifférent

Que propose le « Chips Act » européen ? Le commissaire européen Thierry Breton indique « qu’il y a trente ans, l’Europe représentait 40% de la production mondiale des semi-conducteurs, elle n’en est plus aujourd’hui qu’à 10 %, notre objectif est de doubler cette part en la portant à 20 % en 2030 ». Comme d’ici là, le chiffre d’affaires mondial des semi-conducteurs devrait doubler, cela revient à quadrupler en valeur le niveau actuel de la production européenne de semi-conducteurs.

Pour doubler sa part, cela nécessite soit être plus compétitif sur les produits existants soit proposer des produits nouveaux, plus vraisemblablement les deux. Pour cela, il faut impérativement faire évoluer les méthodes de conception et de réalisation des produits et la technologie de ceux-ci.

Quelles sont les technologies proposées ?

Le volet recherche du « Chips Act » vise notamment la mise en place de trois lignes pilotes :

-une de puces avancées en technologie FinFET de 2 nanomètres et moins à l’Imec, en Belgique

-une de puces en technologie FD-SOI de 10 nanomètres et moins au CEA-Leti, en France

-une unité d’assemblage et de packaging à l’Institut Fraunhofer, en Allemagne.

Il prévoit également la création d’une plateforme mutualisée de conception, qui intègre les installations de conception existantes et nouvelles dont la conception électronique automatisée (EDA) réunissant concepteurs, éditeurs de logiciels de CAO, fabricants et utilisateurs pour le test de nouvelles applications, y compris par les PME et les sociétés qui ne font que la conception, « le design » mais vu la complexité de plus en plus grande des circuits qui peuvent aller jusqu’à comprendre plusieurs milliards de transistors, elles ont besoin de logiciels et d’équipements de conception spécifiques.

Le FinFET, c’est le procédé qu’utilisent TSMC, Samsung et Intel. En l’état de l’art aujourd’hui, c’est le procédé indispensable pour faire des produits nécessitant des finesses de gravure inférieures à 10 nanomètres. Seuls à l’heure actuelle TSMC et Samsung savent mettre en œuvre de telles finesses de gravure.

Le FD-SOI, technologie conçue par le CEA-Leti, repose sur l’ajout d’une fine couche d’oxyde de silicium isolant. Cette innovation permet de faire des transistors qui sont 25 % plus rapides et 30 à 40 % moins énergivores que des transistors équivalents classiques réalisés en silicium massif. Grâce à la technologie FD-SOI, la puissance d’un transistor et donc sa dépense d’énergie sont modulables en fonction des opérations effectuées. Cette technologie développée en Europe est commercialement un plus important.

L’unité d’assemblage et de packaging de l’Institut Fraunhofer devrait aboutir au développement d’équipements automatiques permettant de gagner en productivité et donc de devenir compétitif avec des fabrications asiatiques.

Quel est l’outil industriel nécessaire ?

Le FD-SOI est un procédé déjà mis en œuvre en Europe avec des gravures de 22 nanomètres grâce à la coopération entre Soitec, STMicroelectronics et GlobalFoundries (société américaine, quatrième fondeur de semi-conducteurs au monde avec une usine en Europe à Dresde, en Allemagne). GlobalFoundries envisageant de passer à des gravures de 12 nanomètres, cela devrait permettre toujours en coopération de mettre en place une production avec cette finesse de gravure.

Pour le Fin-FET, même si l’Imec sait faire une puce avancée avec les bonnes caractéristiques dans cette technologie en 2 nanomètres, la mise en place d’une production industrielle n’est pas une simple formalité. L’expérience a montré surtout particulièrement pour les semi-conducteurs qu’il n’est pas évident de passer du laboratoire à une ligne de production industrielle avec un rendement de pièces bonnes en fin de chaîne permettant la rentabilité de la production. Intel n’y arrive toujours pas. L’aide d’ASML, fabricant néerlandais de matériel de photolithographie aux ultra-violets extrêmes, serait surement d’une grande aide si ce n’est déjà le cas. La solution idéale de sécurité étant d’avoir une unité de production TSMC ou Samsung en Europe.

Une fab TSMC de 5 nanomètres doit être construite à Phoenix, en Arizona. Elle représente un investissement de 12 milliards de dollars. La production doit démarrer en 2024 avec une capacité de 20 000 tranches de 300 mm par mois. La fab emploiera à terme près de 2000 personnes. Samsung a prévu une usine similaire à Taylor, au Texas. Peut- être la coopération entre Imec, ASML, GlobalFoundries et STMicroélectronics pourrait arriver à cette finesse de gravure !

Comment obtenir les commandes clients au niveau désiré ?

L'Europe est actuellement forte dans des domaines tels que l'électronique de puissance, l'automatisation industrielle et la fabrication d'équipements, les puces analogiques et la technologie à faible consommation et devrait encore se développer dans ce sens.

Le fait d’avoir une industrie européenne des semi-conducteurs plus développée peut être un avantage pour les clients en leur offrant la possibilité d’avoir une seconde source beaucoup plus sure en termes d’aléas politiques et climatiques que certaines autres zones du monde. Par contre, il faut que les clients soient sûrs de ne pas être traités comme non-prioritaires en cas de pénurie, donc moins bien traités que d’autres clients.

Par ailleurs, le classement des sociétés de semi-conducteurs montre l’importance des sociétés fabless, c’est-à-dire qui sous-traitent la fabrication de leurs produits à des fondeurs de puces. Il y en a de très grosses comme Qualcomm, Broadcom et Nvidia qui font partie des 10 plus importantes sociétés de semi-conducteurs en 2021. En Europe, la société Kalray, issue du CEA-Leti a conçu un processeur pour l’Intelligence Artificielle. Elle est promise à un important développement et est déjà cotée en bourse. Il faut faciliter la création de telles sociétés pour qui il faut un fondeur en Europe capable de fabriquer leurs puces avancées.

En conclusion la réalisation de cet important challenge demande la mobilisation de toute la filière de semi-conducteurs et des filières connexes européennes car les efforts à fournir sont nombreux, mais le Chips Act européen ne part pas de zéro et propose un plan d’action dont certaines sont déjà au moins partiellement lancées. Le point-clé étant de savoir comment sera obtenue une finesse de gravure de 3 nanomètres. Mais attention, l’analyse des évènements passés montre que dans l’intervalle de temps qui nous sépare de 2030, il peut se passer beaucoup de choses auxquelles il faut prêter attention et qui pourraient éventuellement amener à infléchir les lignes d’action originellement prévues sans perdre de vue l’objectif fixé.

François Francis Bus, auteur de "A l’époque où les puces font leurs lois"

Les avis d'experts sont publiés sous l'entière responsabilité de leurs auteurs et n'engagent en rien la rédaction de l'Usine Nouvelle.

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