[Avis d'expert] L’économie circulaire, acte II de la transition énergétique ?
Les enjeux et les impératifs de l'économie circulaire peuvent-ils s'appliquer au secteur de l'énergie, s'interroge Jacques-Arthur de Saint Germain, Directeur Energy & Utilities chez CGI Business Consulting.
Le grand public découvre les impacts environnementaux liés à la production d’énergies "propres". Au-delà des polémiques, un constat : celui d’un nécessaire tournant vers une consommation sobre et responsable des ressources naturelles et des matières premières. Une logique de circularité qui s’impose de plus en plus dans les agendas politiques, mais qui semble trouver peu d’échos dans le secteur de l’énergie. Cadre réglementaire naissant, marchés incertains, transformation des chaînes de valeur… Autant d’ébauches qui restent à concrétiser.
Une percée indissociable d’une vision nouvelle de l’énergie
L’économie circulaire porte l’exigence de flux de matières et d’énergie optimisés, de chaînes de valeur sûres, durables et, si possible, locales. Parfois considérée comme une chimère, elle n’en est pas moins en phase avec les changements structurels qui parcourent le secteur de l’énergie. A commencer par la territorialisation : les projets énergétiques apparaissent désormais clairement comme des leviers de création de valeur, de dynamisme et d’attractivité territoriale. Le biométhane en est un exemple quasi archétypal.
Forme d’écologie industrielle et territoriale, sa production contribue au développement du tissu économique local en générant de nombreuses externalités positives. Environnementales tout d’abord, puisque le biométhane offre un substitut moins carboné au gaz naturel, génère un digestat substituable aux engrais chimiques et permet le développement de solutions de mobilité durables (bioGNV). Economiques et sociales ensuite avec la création d’emplois locaux (1 à 2 emplois en équivalent temps plein par site de production) et des compléments de revenus pour les agriculteurs.
Des potentiels forts mais des réalisations encore fragiles
Les autres technologies de production sont cependant loin de bénéficier des synergies du biométhane. Leur champ de progression se concentre ainsi sur la dimension produit avec l’éco-conception, l’allongement de la durée de vie et le recyclage. Si la R&D est en première ligne, le développement de ces solutions dépend tout autant de signaux réglementaires et de dynamiques de marché. Un alignement des planètes difficile à obtenir, même pour les filières les plus avancées.
Prenons l’exemple de la filière de l’éolien terrestre. La prise en compte de la fin de vie des éoliennes terrestres par les industriels et les acteurs publics a eu des effets remarquables. D’une part, les travaux de R&D ont abouti à un potentiel de recyclabilité de 90% (1). D’autre part, la réglementation s’est saisie du sujet du démantèlement, désormais encadré par le code de l’environnement (2) et intégré à partir de 2023 au sein de la filière D3R(3). Cependant, ces avancées n’ont en rien diminué les défis liés à la valorisation matière effective, qui continue de buter sur des problématiques technologiques mais surtout économiques et réglementaires.
Du manque d’attractivité du recyclage
Tandis que le pic de démantèlement (939 000 tonnes de matériaux à traiter en 2030(4)) et l’augmentation du parc éolien apportent des garanties de volume, c’est du côté de la rentabilité que le bât blesse, avec une marge opérationnelle qui se situe à titre d’exemple autour de 9k€ pour une éolienne de 3 MW, soit un peu plus de 7% des coûts de démantèlement/recyclage (5). Les composantes les plus stratégiques – terres rares et certains matériaux composites des pales éoliennes – bénéficient quant à elles de peu voire d’aucune filière de valorisation dédiée.
La pratique du repowering achève d’illustrer le peu d’attractivité du marché du réemploi / recyclage, puisqu’elle montre qu’il peut être plus rentable de remplacer des installations que prolonger leur durée de vie. Enfin, en limitant la réutilisation de pièces à la maintenance de parcs existants, la conditionnalité des soutiens à des installations neuves constitue un frein réglementaire au développement du réemploi quand des installations allemandes impliquant des fondations à base de béton recyclé ont démontré leur fiabilité.
Chimère ou véritable tournant ?
Comme tout changement systémique, l’économie circulaire charrie son lot de difficultés et d’incertitudes liées au développement tâtonnant d’un nouvel écosystème économique, technologique et réglementaire. C’est ainsi une forme de pari pascalien qui se dessine : l’économie circulaire constitue-t-elle le chapitre 2 de la transition énergétique ? Si oui, les producteurs d’énergie ont tout intérêt à s’inscrire de façon proactive dans la création de ces nouveaux modèles pour anticiper les contraintes réglementaires et bénéficier de la prime au(x) premier(s) entrant(s). Si non, les investissements réalisés auront du moins garanti l’acceptabilité des infrastructures, ouvert des opportunités économiques et impulsé des synergies propres à la circularité.
A ces perspectives de bénéfices économiques s’ajoutent des impératifs écologiques et sociaux qu’il paraît difficile de contourner. Des impératifs qui interrogent les engagements RSE des acteurs de l’énergie et, plus largement, leur capacité à se placer dans le temps long, en phase avec les enjeux environnementaux et sociétaux.
Jacques-Arthur de Saint Germain, Directeur Energy & Utilities chez CGI Business Consulting
Les avis d'experts sont publiés sous l'entière responsabilité de leurs auteurs et n'engagent en rien la rédaction de L'UsineNouvelle.
(1) Donnée France Energie Eolienne
(2) Articles 553-1 à 8 du Code de l’Environnement
(3) Instituée par la Programmation Pluriannuelle de l’Energie, cette filière vise la Déconstruction des parcs éoliens, Reconditionnement des gros composants, Recyclage des pales et la Revente des métaux, des matériaux recyclés et des composants.
(4) ADEME, Opportunité de l’économie circulaire dans le secteur de l’éolien, mai 2015
(5) MTES, MEF, Economie circulaire dans la filière éolienne terrestre en France, mai 2019
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