« Avec le scénario CLEVER, il y a un vrai appel à une vision commune et solidaire de la trajectoire énergétique et climatique à l’échelle européenne », affirme Yves Marignac, porte-parole de NégaWatt
Industrie&Technologies - La sobriété est au cœur du scénario CLEVER que vous proposez. Pouvez-vous expliquer ce que cela signifie ?
Yves Marignac - Cette préoccupation n’est pas nouvelle pour nous, puisque NégaWatt la porte dans le débat français avec ses scénarios pour la France depuis une vingtaine d’années maintenant. Mais c’est à partir de la COP21 que nous avons commencé à mesurer tout le vide qu’il y avait par rapport à ce concept au niveau international dans les discussions énergétiques et climatiques, et donc de l’intérêt à le développer. Nous avons ainsi contribué à le faire émerger à ce niveau. Et point intéressant, la traduction anglaise « sufficiency » nous convient aujourd’hui mieux que la version française puisqu’elle renvoie à la notion de suffisant. Or l’idée de sobriété désigne ce qui est suffisant pour les individus et la société, en tenant compte des limites planétaires (en termes d’émissions de GES, de ressources énergétiques) mais aussi de conditions de vie décentes pour tous. Cela permet de discuter d’enjeux de redistribution, de justice sociale, soit autant de sujets que l’on a essayé de creuser dans ce scénario européen.
Comment avez-vous travaillé à son élaboration ?
Notre scénario est vraiment issu de réflexions et d’interventions qui ont émergé au niveau européen et international après la COP 21. Nous avons donc voulu faire ce que nous faisons déjà en France, à savoir des scénarios à long terme qui permettent de réfléchir sur la trajectoire à adopter et de discuter des politiques publiques, mais au niveau européen et de manière partenariale, d’où le « collaborative », qui est le point d’entrée de l’acronyme CLEVER. Nous avons donc réuni autour de nous 25 partenaires issus de 20 pays, pour élaborer un scénario qui couvre les 27 pays de l’Union Européenne, auxquels on a ajouté le Royaume-Uni, la Suisse et la Norvège. Cette collaboration nous a permis de développer à l’échelle européenne, en passant par un travail dans chaque contexte nationaul, cette approche systémique qui est depuis toujours au cœur de la démarche de NégaWatt, et d’ancrer ce scénario dans le cadre SER (pour sobriété – efficacité – renouvelables).
En quoi consiste cette approche ?
Dans cette approche, la sobriété arrive en premier, pour réduire la demande en ressources et donc les enjeux, puis vient l’efficacité. Et enfin, dans un troisième temps, la substitution de ressources peu soutenables par des ressources soutenables, comme les énergies renouvelables dans le domaine de l’énergie. C’est l’inverse de l’approche traditionnelle, qui a comme porte d’entrée les ressources mobilisables et va rarement jusqu’à la sobriété. Grâce à ce cadre, nous sommes capables de trouver un équilibre entre ce qu’on a appelé le réalisme de l’ambition (c’est-à-dire ne pas transiger avec les objectifs de soutenabilité issus de travaux scientifiques, tels que les objectifs proposés par le GIEC, etc.) et le réalisme de la mise en œuvre. Nous avons pour cela beaucoup travaillé sur la question de la juste répartition des efforts et bénéfices.
C’est ce que montre l’importance accordée dans vos travaux à l’équité et à la solidarité, notamment…
Oui, et c’est ce qui marque la différence par rapport à d’autres exercices. L’équité est en lien direct avec la sobriété, telle que je l’évoquais plus haut, notamment en termes de conditions de vie décente. Nous avons travaillé à ce que l’on a appelé des « corridors de convergence des services énergétiques ». C’est-à-dire que lorsqu’on construit une trajectoire à l’échelle européenne et qu’on s’intéresse à des indicateurs sur le niveau de service rendu par l’énergie aux individus (comme le nombre de mètres carrés chauffé par habitant ou de kilomètres parcourus), il y a de grandes hétérogénéités entre les différents pays. Pour répondre à ce problème, on s’est d’abord accordé pour définir des corridors avec une fourchette à viser entre une borne haute et une borne basse acceptable pour ces services - par exemple, la littérature internationale parle d’un minimum de 30 mètres carrés chauffé par habitant.
Dans un deuxième temps, chaque partenaire a cherché à amener sa trajectoire dans ce corridor, dans la mesure du possible, dans un objectif de réduction des inégalités. Dans le même temps, nous avons travaillé sur la notion de solidarité autour de l’idée qu’il est difficile pour certains pays, compte-tenu de leurs caractéristiques géographiques et économiques, d’atteindre le 100% renouvelable ou la neutralité carbone à l’échelle de leur territoire. Entre la Suède, la Hongrie ou le Portugal, la possibilité de recourir à l’éolien offshore, le niveau d’ensoleillement ou la ressource en biomasse est différente. L’idée, c’est donc de mutualiser les difficultés mais aussi les potentiels. On a donc tenu compte de ces disparités pour construire des trajectoires où des pays vont au-delà de leurs propres besoins pour répondre à des difficultés que peuvent avoir d’autres pays. Derrière cela, il y a un vrai appel à une vision commune et solidaire de la trajectoire énergétique et climatique à l’échelle européenne.
En tenant compte de tous ces paramètres, quelles sont les conclusions de vos travaux sur le scénario CLEVER ?
Grâce à cette notion de sobriété, le scénario prévoit une indépendance énergétique totale de l’Europe d’ici à 2050, capable de s’approvisionner à 100% en énergies renouvelables locales - principalement l’énergie solaire et éolienne, des bioénergies produites dans des conditions soutenables, mais aussi l’hydrogène et le Power-to-X (conversion de la production excédentaire d'énergie renouvable en un autre vecteur énergétique, ndlr) dans les secteurs difficilement électrifiables tels que le transport maritime ou l’aviation. Mais notamment pour l’hydrogène, on fait attention à ce que la production reste à des niveaux compatibles avec l’indépendance énergétique. En termes d’émissions de gaz à effet de serre, la neutralité carbone pourrait être atteinte dès 2045 pour tenir l’objectif de maintenir le réchauffement climatique en dessous de 1,5°C, avec un premier pallier à -64% en émissions nettes dès 2030. Tout cela n’est possible qu’avec une forte maîtrise de la demande en énergie : nous envisageons une division par un peu plus de 2 de la consommation d’énergie, soit 55% de baisse, en misant à parts relativement égales sur la sobriété et l’efficacité énergétique.
SUR LE MÊME SUJET
« Avec le scénario CLEVER, il y a un vrai appel à une vision commune et solidaire de la trajectoire énergétique et climatique à l’échelle européenne », affirme Yves Marignac, porte-parole de NégaWatt
Tous les champs sont obligatoires
0Commentaire
Réagir