"Avec le contrat indien, Dassault Aviation s'affirme comme un grand de l'aviation de combat"

Philippe Plouvier, expert des questions de défense pour le Boston Consulting Group (BCG) estime que la maîtrise des programmes aéronautiques acquise à la fois sur les marchés civils et militaires, permettra à l'avionneur tricolore de minimiser les risques quand à la bonne exécution du programme indien. 
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Philippe Plouvier, specialiste de la Defense au Boston Consulting Group (BCG)
L'Usine Nouvelle. - L'Inde vient de sélectionner le Rafale. Après le Qatar et l'Egypte. Êtes vous surpris par cet enchaînement de succès?
Philippe Plouvier. - Ce n'est pas étonnant. D'un point de vue technique, d'abord. Le Rafale s'affirme comme l'avion le plus performant de sa génération. Même si le concept initial a 30 ans, son électronique embarquée a sans cesse été modernisée pour être au niveau des dernières technologies. Il aura cependant fort à faire avec la concurrence du nouvel F35 américain qui est véritablement un avion de nouvelle génération avec un fuselage et un système de mission de 2015.
D'un point vue politique, ce n'est pas surprenant non plus. L'Inde vise deux objectifs. Elle veut disposer d'armes de défense de premier plan et se doter de capacités industrielles locales. Ces deux objectifs sont difficiles à réaliser en pratique. D'une part, côté vendeur, il y a des réticences à transférer des technologies sensibles. D'autre part, côté acheteur, ce n'est pas simple de recevoir les transferts technologiques. La France investit depuis 30 ans dans le Rafale. On n'acquiert pas ce savoir-faire en quelques années. Ce n'est pas uniquement un problème d'ingénieur mais aussi de savoir faire industriel.
Plus de 4 ans pour aboutir à un contrat. Comment interpréter la durée sans fin des négociations...
Il ne faut pas sous-estimer la portée de ce qui sera signé. Il existe cinq grandes nations en matière d'achat d'équipements de défense et l'Inde en fait partie. L’Inde est d’ailleurs le 1er importateur d’équipements de défense avec 23 milliards de dollars de contrats sur les six dernières années. Les négociations y sont souvent compliquées et longues. Par ailleurs, ce contrat ne devrait pas être remis en cause car il résulte d'un accord de gouvernement à gouvernement. C'est le cas d'environ 80% des transactions réalisées en Inde ces dernières années. Les autres types de contrats peuvent plus facilement être remis en cause voir annulés, même après la signature.
Dans cette négociation, les équipes de Dassault ont été professionnelles et prudentes jusqu'au bout. Le nouveau marché est conclu sur des bases réalistes. Dassault a su refuser les conditions indiennes pour le contrat initial des 126 appareils car il estimait qu'elles n'étaient pas acceptables industriellement. A titre de comparaison, les industriels de l'A400M (avion militaire de transport européen, ndlr) n'ont pas pu négocier des conditions initiales aussi raisonnables. Cela explique largement les difficultés actuelles qu’ils rencontrent
Au départ, les Indiens étaient demandeurs pour 126 appareils. Cela ouvre-t-il des perspectives à Dassault?
Ce contrat est en effet prometteur. En matière d'aviation de combat, les Indiens ont des programmes indigènes en coopération avec les Russes. Or, faire un avion de combat, c'est long et complexe. A chaque fois, les budgets sont dépassés. Les dérives budgétaires sur le F35 américain dépassent les 50%. Le Rafale et le Typhoon du consortium européen Eurofighter ont également dépassé les coûts initiaux. Pour l'Inde, le risque de dérapage du développement réalisé avec les russes est très significatif. Il ne suffit pas de faire voler un avion. Il faut que toute l'électronique embarquée délivre la performance attendue. En cas de retard, la solution la plus naturelle serait alors de continuer de se fournir à l'export. Et la France est l'un des seuls pays à disposer du savoir-faire technologique et industriel d'un niveau mondialement reconnue. Si la coopération indienne avec la Russie échouait, cela permettrait à la France de s'imposer alors comme un partenaire encore plus stratégique.
Pour Dassault Aviation, quelle est la portée de ce contrat?
Avec ce contrat, Dassault Aviation s'affirme comme un grand de l'aviation de combat. Le marché historiquement accessible à un équipement ‘made in France’ ne représente que 5% du marché mondial. Les Etats-Unis, soit 50% du marché mondial, la Chine et la Russie sont des marchés fermés. Le Grippen de Saab, le Typhoon et le Rafale se battent dans une bande étroite. Et l'avionneur français vient de s'imposer sur l'un des très rares pays qui représente un marché significatif, avec une centaine d'appareils potentiellement. Comme l'Arabie Saoudite également. C'est comparable au marché français, britannique, ou allemand. Il y a donc très peu de grands clients accessibles.
Comment voyez l'exécution du contrat?
Ce sera un véritable défi. Ce n'est pas jamais facile de travailler dans un pays lointain avec un client qui n’est pas votre propre gouvernement. Les pratiques d’achat ne sont pas les mêmes entre l'Inde et la France. Cela implique énormément de rigueur dans l'exécution pour répondre aux attentes du client indien.
Toutefois, le Team Rafale est bien préparé à relever le défi. La compétence de Dassault en matière d'exécution des programmes n'est plus à démontrer. Ses équipes enchaînent les programmes en renouvelant régulièrement sa famille de jets d'affaires. Par ailleurs, il est épaulé par des partenaires qui ont une solide expérience à l'internationale comme Thales fournisseur de l'électronique de défense et le missilier MBDA.
Dassault acquiert-t-il une nouvelle dimension avec un tel contrat?
En termes purement comptables, non. Au final, la part qui retournera Dassault Aviation pourrait atteindre la moitié du contrat, soit environ 4 milliards d'euros de chiffre d'affaires sur plusieurs années. Fondamentalement, cela ne changera pas la dimension de la société. En termes de chiffre d'affaires, des Thales ou des Airbus Group seront toujours beaucoup plus gros.
Toutefois, cela renforcera clairement son outil industriel et l'impose comme un acteur de premier rang sur la scène internationale.

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