Au théâtre du Rond-point, la tragédie intime d’un PSE

Pour sa première pièce de théâtre, le romancier Eric Reinhardt prend à bras le corps la question des restructurations d’entreprises. Dans "Elisabeth ou l’équité", il décortique les conséquences humaines d’un PSE, aussi bien sur les salariés que sur la DRH. Porté par d’excellents acteurs, cette pièce échappe au manichéisme, même si elle n’est pas sans défaut. 

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Au théâtre du Rond-point, la tragédie intime d’un PSE

Ils sont deux, un homme et une femme, chacun à une extrémité de la longue scène du théâtre du Rond-Point. Le rideau n'est pas encore ouvert, ils se font face. Bientôt, les spectateurs vont découvrir qu'elle est la DRH d'ATM, un groupe parapétrolier, et qu'il est membre de la CGT. Ils se sont connus dans une autre unité de production et ont gardé une certaine complicité de ces années passées. Pourtant, pendant les deux heures et demie que dure "Elisabeth ou l'équité", la première pièce du romancier Eric Reinhardt, ces deux personnages vont s'opposer.

Dès la première scène, le spectateur est plongé dans le bureau new yorkais d'un dirigeant de fonds de pension avec vue sur les buildings de Manhattan. A ses côtés, Elisabeth, la DRH, et le directeur de la filiale française débattent des meilleurs moyens à mettre en oeuvre pour réduire le nombre de salariés du site de Villeneuve-Saint-André. Dès cette première scène, tout ce qui fait qu'on aimera ou pas ce spectacle est en place : un parti pris très réaliste, quasiment naturaliste, où les questions économiques sont abordées frontalement, sans fioritures et un théâtre assez aride, car peu irrigué par les sentiments. Ici on raisonne sur la marche du monde, parfois avec humour : l'incompréhension de Peter Dollan, le boss américain, génialement incarnée par D.J. Mendel, devant les finesses de la loi sociale française est ainsi dépeinte avec amusement, tandis que le directeur de la filiale française incarne un de ces dirigeants assez subtils pour se retrouver toujours du bon côté du manche.

De retour en France, la DRH incarnée par la plus vraie que nature Anne Consigny et son Dg se retrouvent en comité central d'entreprise, où ils vont devoir faire accepter le deal de leur actionnaire à des syndicalistes récalcitrants, échaudés par des précédents qui leur ont montré que la parole de la direction n'est pas sûre. A partir de là se met en place une machine infernale, où les valeurs d'Elisabeth, la DRH, seront mises à mal. Elle devra affronter grèves et suicides, cabales médiatiques et déchirures familiales. "Equité n’est pas justice, c’est l’appréciation de ce qui est dû à chacun. Comme l’amour, c’est un sentiment, c’est fragile, c’est vivant, ça s’entretient", concluera-t-elle au cours d’un parcours qui la fera réviser la place qu’elle occupe dans le monde.

La pièce d'Eric Reinhardt colle frontalement à la réalité économique et sociale, et loin d'être une illustration bébête de l'opposition entre les gentilles DRH qui pensent au social et les méchants financiers obsédés par le profit, elle préfère poser la question autrement plus intéressante de la liberté de chacun face à un système qui le domine (comme on dit qu'un chalet domine la vallée), s'interroger sur le degré de responsabilité des uns et des autres, et, ne l'esquivons pas, celles des journalistes aussi, parfois trop prompts à résumer tous les problèmes en termes binaires.

Elisabeth, l'inflexible DRH, a-t-elle un coeur ? Est-elle prête à trahir sa parole comme le croit le vieux collègue syndicaliste ? Ou est-elle prise dans un engrenage qui la dépasse, dans les rouages d'une machine administrative, où tel le Charlot des temps modernes, elle est emportée sans pouvoir réagir ? C'est un des enjeux de la pièce.

Le personnage du patron de fonds de pension est particulièrement réussi. Loin d'être un homme obsédé d'argent, il est plutôt dépeint comme une personne capable de sorties poétiques sur le ciel d'automne ou sur la beauté de l'été indien, mais un homme craignant avant tout de voir le monde s'arrêter, avide de mouvements et de vie... redoutant plus que tout cette immobilité qu’on appelle aussi conservatisme. Au crédit de la pièce également, les comédiens tous très bons, la mise en scène de Frédéric Fisbach, dynamique, s'appuyant sur de simples mais très astucieux décors qui, avec trois fois rien, figurent aussi bien un bureau new yorkais, un appartement parisien ou un bureau de DRH.

On regrettera certaines longueurs dans le texte, notamment les scènes avec l'amie avocate (en droit social !) de la DRH, dont la contribution à la progression dramatique n'est pas évidente, et aussi quelques tirades générales sur la dureté du capitalisme, qui n'ajoutent rien à une pièce qui est justement très forte dans les moments où les personnages sont dans leur réalité. C'est d'autant plus dommage que cela rallonge un spectacle qui serait plus fort s'il était un peu plus court. Eric Reinhardt a peut-être douté de la force de son écriture dramatique, se croyant obligé de souligner son propos. C'est d'autant plus regrettable qu'il excelle dans le théâtre et que son propos est bien plus subtil qu'un tract d’extrême-gauche.

Christophe Bys

Jusqu'au 8 décembre au théâtre du Rond Point, Paris
Les 11 et 12 décembre au Théâtre Liberté de Toulon, d'autres dates à venir.

Le texte est disponible aux éditions Stock

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