"Au foot comme en entreprise, le bon entraîneur est rarement celui qui était le meilleur attaquant", explique David Marmo
Quand le directeur du cabinet OasYs mobilisation, David Marmo, rencontre le leader de la rubrique football de L'équipe, ils écrivent Football Management, un livre qui montre comment le football peut inspirer la pratique des dirigeants. Dans les deux cas, c'est la cohésion de l'équipe qui compte. David Marmo, le directeur associé, a répondu à nos questions.
L'Usine Nouvelle - Pourquoi avez-vous écrit Football management ? Pensez-vous que le football et le management sont de même nature ?
David Marmo - Même les personnes qui ne s'intéressent pas au football en entendent parler régulièrement. Tout le monde connaît Aimé Jacquet ou Raymond Domenech. Tout le monde (ou presque) a un avis sur le foot, sur ce que devrait faire l'entraîneur. Alors, plutôt qu'écrire un énième livre de management, j'ai eu l'idée d'écrire un livre qui parle de management en s'appuyant sur ce qui se passe dans le football. C'est un bon point d'entrée pour faire comprendre certaines problématiques du management.
Lesquelles par exemple ?
Reprenons le cas de Domenech et de Jacquet, tous les deux entraîneurs. L'opinion commune est de dire que le premier a tout réussi. Pas le second. Pourtant, on ne peut pas comparer les deux situations. Ils n'ont pas coaché les mêmes équipes. Beaucoup de personnes ont en tête le fiasco de l'équipe de France en Afrique du Sud, mais tout le monde oublie que c'est Raymond Domenech qui était l'entraîneur de l'équipe de France qui a été en finale en 2006 dans le fameux match où Zidane donne son coup de boule. C'est le même entraîneur, ce n'est pas la même équipe.
En 2006, contrairement à 2010, il pouvait s'appuyer sur des joueurs qui étaient des relais techniques sur le terrain. Ces joueurs partageaient le projet de l'entraîneur. L'équipe de France d'Aimé Jacquet peut s'appuyer sur Blanc et Deschamps. Sur le terrain, ils oeuvraient à organiser l'équipe selon la demande de l'entraîneur. Après c'est l'absence de ce type de profil qui s'est faite sentir. Pour gagner, un grand entraineur a toujours une grande équipe avec lui.
Si je vous suis, un bon manager n'est rien sans son équipe et inversement ?
Oui. Dans une entreprise aussi, pour réussir, il faut que tout le monde aille dans le même sens. A la direction de définir la stratégie générale, qu'elle doit communiquer aux managers pour qu'ils puissent la relayer auprès des personnes les plus proches du terrain. Ces derniers doivent alors s'approprier le discours et le mettre en oeuvre.
Autrement dit, les meilleures entreprises ne sont pas celles qui ont les meilleurs éléments, mais celles qui sont les plus cohérentes du top manager à l'opérateur de production ?
Le succès c'est le projet d'équipe partagé par tous. Un exemple venu du football explique cela très bien. Il y a quelques années, dans le championnat de France, on avait d'un côté le PSG qui venait d'être racheté par les Qataris et Montpellier aux moyens plus modestes. Numéro deux du championnat, ils réalisent qu'ils peuvent devenir champions de France. Cela devient leur projet collectif, qui soude toute l'équipe. Résultat : ils décrochent le titre, alors qu'il est évident qu'ils n'ont pas les meilleurs joueurs du moment.
L'été passe, les joueurs de Montpellier ont été contactés par d'autres équipes, ils ont repris leur projet personnel. L'année suivante, la même équipe avec les mêmes joueurs finit neuvième. L'adhésion au projet collectif n'était plus aussi forte.
Comment fait l'entraîneur ou le manager pour créer justement cette adhésion ?
C'est une question de charisme, de priorité. José Mourinho est un entraîneur qui a gagné partout où il est passé. De l'avis des autres entraîneurs qu'a interrogé mon co-auteur journaliste à L'équipe, il est le meilleur d'entre-eux. Quand il leur a demandé pourquoi, ils ont répondu qu'il avait gagné mais surtout qu'il savait créer un climat tel que les joueurs étaient prêts à mourir pour obtenir l'objectif. En une phrase : il savait mobiliser son équipe comme personne.
Cela n'est pas dû au hasard. C'est un entraîneur qui met toujours son équipe en avant. De même en début de saison, il envoie une lettre en quelques points à chaque joueur. Il commence par lui rappeler qu'il est important. Ensuite, il ajoute que l'équipe est encore plus importante. Il explicite alors le rôle qu'il attend du destinataire et termine en rappelant les valeurs du groupe.
Un manager devrait-il envoyer une telle lettre ?
Une lettre peut-être pas, mais lors de l'entretien annuel ou d'un point organisé, il faut savoir rappeler aux membres de l'équipe leur place dans l'équipe et l'objectif collectif.
L'attaquant doit marquer des buts, le commercial décrocher des contrats. Pour marquer des buts, l'attaquant a besoin qu'on lui passe des balles. De même, le commercial a besoin de services marketing qui le soutiennent. Tout le monde doit aller dans le même sens, c'est essentiel. Mais chacun doit savoir aussi quelle est sa place.
Sinon, le risque est grand que chacun accuse les autres. Le marketing ou la production va critiquer les commerciaux. Ces derniers vont dire qu'on leur demande de vendre de mauvais produits...
Quels sont les qualités pour être un bon entraîneur ? Sont-elles les mêmes pour un bon manager ?
Si je peux reformuler votre question, il faut se demander si les entreprises nomment les bons managers. Au football, les entraîneurs sont rarement des attaquants. Ces derniers ont des qualités mais sont souvent très individualistes. Les deux seuls joueurs de 1998 qui sont devenus sélectionneurs sont Blanc et Deschamps, qui ne sont pas, ce n'est pas les insulter, des joueurs flamboyants.
Or, dans les entreprises, on a souvent tendance à nommer manager le meilleur commercial dont le profil ressemble à celui de l'attaquant. Or un bon manager c'est quelqu'un qui doit avoir confiance, dans les autres, quelqu'un qui sait faire faire, une mission qui ne requiert pas les mêmes compétences que faire. Etre le meilleur dans son métier ne fait pas de vous le meilleur manager.
Vous avez souligné l'interdépendance entre l'équipe et l'entraîneur pour obtenir de bons résultats. Dans une entreprise, on ne choisit pas toujours ses joueurs. Comment fait-on ?
Le FC Barcelone est un bon exemple. Ce club au parcours remarquable a développé un style de jeu spécifique. Ils recrutent de jeunes joueurs qui ont les compétences nécessaires pour pouvoir développer ce style de jeu. Ils ont développé une cohérence entre leur projet et leur recrutement.
Dans l'entreprise, c'est pareil. J'ai envie de dire que c'est facile d'écrire un projet stratégique. Si personne ne s'en empare pour le diffuser, ça ne sert à rien. C'est pour cela que les DRH ont un rôle clé : ils doivent savoir de quelles compétences l'entreprise dispose pour mener le projet, de quelles compétences elle a besoin et de travailler pour rapprocher ce dont on dispose de ce dont on a besoin. Sinon le meilleur projet restera... un projet.
Au-delà de tous les points communs quelles sont les différences entre le football et l'entreprise ?
Elles existent. La première c'est qu'au football il y a presque autant de joueurs sur le banc de touche que sur le terrain. Dans l'entreprise, à part les personnes mises au placard, rares sont ceux qui attendent.
Une deuxième différence est liée au temps : au football on s'entraîne puis on joue. Dans la vie économique, le match se joue de façon continue.
La dernière concerne les managers. Ils sont très souvent sur le terrain en même temps qu'ils coachent, contrairement à l'entraîneur. Il y a de très rares cas d'entraîneurs qui jouent sur le terrain avec les autres joueurs. Raymond Domenech a, un temps, été les deux. Il a expliqué à mon co-auteur toute la difficulté de cette double mission. Quand l'entraîneur joueur fait une faute ou rate une passe stratégique, c'est très difficile de remotiver à la mi-temps l'équipe en lui disant "c'est pas grave, on continue".
Dans l'entreprise, c'est d'autant plus compliqué que le manager qui continue à exercer son activité se voit confier les dossiers les plus complexes, les plus sensibles. Pour cela, il doit y passer du temps, s'isoler. Pendant ce temps-là, son équipe se sent abandonnée.
Propos recueillis par Christophe Bys
Lisez un extrait du livre consacré justement aux méthodes du FC Barcelone ci dessous :
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