Tout le dossier Tout le dossier

Areva : au-delà des pertes abyssales, un avenir prometteur

Laurent Meslin est expert pour Colombus Consulting. Il invite à ne pas s'arrêter à la perte de 5 milliards d'euros annoncé par Areva le 3 mars dernier. Selon lui, en décortiquant les comptes, on découvre de vraies raisons d'espérer pour le groupe notamment en ce qui concerne les marchés amont et des services.

Partager
Areva : au-delà des pertes abyssales, un avenir prometteur

Le 4 mars dernier, Areva a présenté ses résultats annuels 2014 mais un seul chiffre reste en tête : un résultat net avec près de 5 Md€ de pertes… A plus y regarder, ce chiffre, constitué à 90% de dépréciations d’actifs et de provisions pour perte en tous genres, dissimule un excédent brut d’exploitation (EBE) positif de 735 millions d'euros, d’un besoin en fond de roulement (BFR) opérationnel en diminution et des investissements opérationnels maîtrisés. Autant de signes qui méritent qu’on s’intéresse aux détails des opérations. Alors que ces résultats ont été obtenus dans un contexte de dégradation de la conjecture (absence de redémarrage des réacteurs au Japon, baisse des prix de l’uranium, baisse des budgets de maintenance...). quelles-sont réellement les activités du Groupe qui permettent un EBE positif ?

Un marché des combustibles compétitif

Face aux besoins énergétiques croissants, le nucléaire devrait continuer à assurer une partie significative des productions d'électricité de base. Les fondamentaux de la demande énergétique confirment même des perspectives de croissance du marché du nucléaire. Selon les estimations disponibles, la capacité nucléaire mondiale augmenterait de 50 % d’ici 2030, tirée par le marché asiatique notamment. La prolongation de durée de vie des réacteurs combinée à l’installation de quelques nouveaux à travers le monde, laisse augurer au moins d'une stagnation des besoins en combustible : c’est sur cette base prudente qu’Areva a dimensionné ses installations au seul besoin du parc nucléaire existant. Même si la taxation du carbone pourrait avoir une influence significativement positive sur ce marché, cette hypothèse n’a volontairement pas été retenue dans le business case du groupe.

Dans ce contexte, le business group (BG) Amont d’Areva regroupe les activités liées à la conversion et l’enrichissement de l’uranium, ainsi qu’à la conception et la fabrication du combustible pour les réacteurs nucléaires. En 2014, sur les 735 M€ d’EBE du Groupe, le BG Amont participe à hauteur de 60% et progresse d’environ 45% par rapport à 2013. Ces bons résultats s’expliquent notamment par la hausse de l’activité, la montée en puissance de l’usine d’enrichissement Georges Besse II et les efforts du BG en matière de performance de son activité.

Carnet de commandes plein sur l'amont

Le BFR et les investissements opérationnels du BG Amont sont maîtrisés et sont en ligne avec la montée en puissance des installations d’enrichissement (Georges Besse II) et de conversion (Comurhex II). Le résultat opérationnel négatif du BG Amont (- 405 millions d’euros) ne traduit donc pas de sa bonne santé effective, mais correspond à une forte dépréciation de son actif industriel de conversion, Comurhex II (- 599 millions d’euros). En effet, l’augmentation du coût à terminaison de la première tranche de ce nouvel actif et les perspectives maussades de l’évolution du marché de la conversion retardent l’extension de capacité de cette usine ce qui impacte de facto le bilan économique de l’ensemble du BG Amont.

Ainsi, le savoir-faire d’AREVA sur l’amont du cycle, traduit par son carnet de commande plein, et la stabilité du marché du combustible permet d’assurer au groupe une rentabilité forte sur cette partie de ses activités industrielles. Les mauvais chiffres du BG Amont traduisent davantage aujourd’hui le renouvellement trop tardif de son outil industriel qui s’opère de surcroit dans un secteur nucléaire, post-Fukushima, encore très déprimé. Les renouvellements ayant désormais été opéré, il y a fort à espérer des résultats de cette activité.

La croissance du marché des services

Au-delà de la construction et du marché des combustibles, il existe également un secteur méconnu : celui de la maintenance des réacteurs en service actif et les opérations de fin de cycle (démantèlement et décontamination). En effet, dans une ère mondiale post-industrielle, le marché du nucléaire vit aujourd’hui à deux vitesses : d’un côté une rétractation du marché des nouvelles constructions et de l’autre un accroissement du marché des services dicté par des impératifs de rentabilité et de vieillissement des parcs.

C’est donc logiquement en Europe, aux Etats-Unis et au Japon, clients traditionnels d'Areva et partie mature du marché du nucléaire, que se développe le marché des services. Pour exemple, EDF va devoir engager une phase d’investissement très importante nécessaire à l’allongement de la durée de vie de ses réacteurs. Cette opération – grand carénage – fera naître nécessairement des marchés quasi captifs pour Areva mais nécessitera, au-delà de l’aspect technique, de mettre sous contrôle les coûts associés à ces grandes opérations de maintenance. En effet, sur le long terme, ce marché interne pourrait se chiffrer en plusieurs dizaines de milliards d’euros qu’il faudrait donc répartir dans le temps et piloter avec une expertise de suivi de grand programme.

Toutefois, après la France, les autres pays disposant d’un parc vieillissant pourraient être demandeurs d’un "grand carénage international", ce qui permettrait d’exporter ce savoir-faire sur la base d’un retour d’expérience significatif. Le marché des services est donc en pleine expansion. Ceci devrait donc inciter les acteurs comme Areva à investir ces deux grands métiers que sont la maintenance et le démantèlement.

Fin 2014, environ 7 milliards d'euros ont été provisionnés pour les services liés à la fin de cycle des centrales nucléaires. Le groupe Areva semble se diriger assez logiquement vers la réunification sous un même pôle des activités liées à la base installée : maintien en condition opérationnelle d’un côté et démantèlement de l’autre. Cette orientation parait correspondre aux grands enjeux à moyen terme de l’industrie de l’atome, notamment en Europe. Ces stratégies sont d’ailleurs complètement pilotées par les grands choix de l’Etat en matière de mix énergétique, de sa capacité à financer cette transformation et les volontés de synergies entre EDF et Areva.

Savoir conserver les actifs clés

Par son positionnement sur l’ensemble de la chaîne de valeur du nucléaire, Areva dispose de compétences de maîtrise d’ouvrage (assimilable à des projets d’investissements) et de maîtrise d’œuvre (radioprotection incluse) des opérations de fin de cycle. De la même manière le maintien en condition opérationnelles des éléments clés des réacteurs des centrales du parc d’EDF démontre le savoir-faire du groupe et lui donne toute légitimité sur les grosses opérations de maintenance sur l’ensemble des parcs de sa base installée.

Le groupe dispose donc d’atouts majeurs pour aborder le marché des services nucléaires. Son positionnement actuel lui confère une légitimité sur les deux axes : maintenance des parcs en service actif et opération en fin de cycle. Sur ces deux pans qui paraissent stratégiques pour le groupe, les efforts devraient porter sur la performance opérationnelle. Aussi, il faudra être vigilant et savoir conserver quelques actifs clés notamment dans les opérations de fin de cycle.

Laurent Meslin, expert pour Colombus Consulting

SUR LE MÊME SUJET

PARCOURIR LE DOSSIER

Energie

Areva prêt à ouvrir son capital à la Chine, explique son président Philippe Varin

Energie

EDF – Areva : un accord pour le rapprochement validé in extremis

Energie

Entre difficultés et restructuration, Areva engrange deux juteux contrats

Communiqué

Cuve de l’EPR : l’ASN dédouane Areva de toute dissimulation mais l’accuse de négligence

Energie

Areva : les défauts de la cuve de l’EPR connus depuis 2006 ?

Energie

EDF et Areva s’engagent sur le nucléaire chinois… mais ne vendent pas de nouveaux EPR

Nucléaire

Anomalies de l’EPR, nouveau réacteur, grand carénage, Areva… EDF ne craint rien

Energie

"Si les soupapes ne se comportent pas comme attendu aujourd’hui, ce n’est pas dramatique", affirme Sylvie Cadet-Mercier de l’IRSN au sujet de l’EPR

Nucléaire

Philippe Varin pose ses conditions au rachat d’Areva NP par EDF

Energie

EPR de Flamanville : après la cuve, les soupapes de sécurité sont mises en cause

Nucléaire

L’Etat a tranché : EDF reprendra les réacteurs d’Areva

Nucléaire

Areva : EDF et Engie dévoilent leur jeu

Energie

"Areva a des problèmes stratégiques, diminuer l’emploi est une solution de facilité ", selon la CFDT

Nucléaire

Urgent : Areva cherche actionnaire pour relation sérieuse et durable (plaisantins s'abstenir)

Energie

Quelle place pour Areva dans le nouveau paradigme énergétique mondial ?

Energie

Areva pourrait supprimer 3 500 postes en France

Energie

Trois groupes industriels chinois intéressés par des actifs d'Areva

Nucléaire

Areva va faire examiner son usine du Creusot où a été produite la cuve du réacteur de Flamanville

Energie

Nouveau problème sur l’EPR de Flamanville : la cuve fournie par Areva présente des défauts

Éco - social

Opération vérité chez Areva

Nucléaire

Economies, recentrage des activités, rapprochement avec EDF : les 3 grands chantiers d'Areva

Tout le dossier

Sujets associés

NEWSLETTER La Quotidienne

Nos journalistes sélectionnent pour vous les articles essentiels de votre secteur.

Votre demande d’inscription a bien été prise en compte.

Votre email est traité par notre titre de presse qui selon le titre appartient, à une des sociétés suivantes...

Votre email est traité par notre titre de presse qui selon le titre appartient, à une des sociétés suivantes du : Groupe Moniteur Nanterre B 403 080 823, IPD Nanterre 490 727 633, Groupe Industrie Service Info (GISI) Nanterre 442 233 417. Cette société ou toutes sociétés du Groupe Infopro Digital pourront l'utiliser afin de vous proposer pour leur compte ou celui de leurs clients, des produits et/ou services utiles à vos activités professionnelles. Pour exercer vos droits, vous y opposer ou pour en savoir plus : Charte des données personnelles.

LES ÉVÉNEMENTS L'USINE NOUVELLE

Tous les événements

LES PODCASTS

Poundbury, cité idéale à la mode Charles III

Poundbury, cité idéale à la mode Charles III

S’il n’est pas encore roi, le prince Charles semble avoir un coup d’avance sur l’environnement. Au point d’imaginer une ville nouvelle zéro carbone.

Écouter cet épisode

A Grasse, un parfum de renouveau

A Grasse, un parfum de renouveau

Dans ce nouvel épisode de La Fabrique, Anne Sophie Bellaiche nous dévoile les coulisses de son reportage dans le berceau français du parfum : Grasse. Elle nous fait découvrir un écosystème résilient, composé essentiellement...

Écouter cet épisode

Les recettes de l'horlogerie suisse

Les recettes de l'horlogerie suisse

Dans ce nouvel épisode de La Fabrique, notre journaliste Gautier Virol nous dévoile les coulisses de son reportage dans le jura suisse au coeur de l'industrie des montres de luxe.

Écouter cet épisode

Le rôle des jeux vidéo dans nos sociétés

Le rôle des jeux vidéo dans nos sociétés

Martin Buthaud est docteur en philosophie à l'Université de Rouen. Il fait partie des rares chercheurs français à se questionner sur le rôle du jeu vidéo dans nos sociétés.

Écouter cet épisode

Tous les podcasts

LES SERVICES DE L'USINE NOUVELLE

Trouvez les entreprises industrielles qui recrutent des talents

ORANO

Ingénieur Cyber sécurité réseaux industriels F/H

ORANO - 11/03/2023 - CDI - La Hague

+ 550 offres d’emploi

Tout voir
Proposé par

ARTICLES LES PLUS LUS