Analyse : Moi, Président d'EDF, je serai un équilibriste
La nomination de Jean-Bernard Lévy à la tête d'EDF pour remplacer Henri Proglio s'est accompagnée d'une feuille de route précise, fruit d'une négociation entre l'Elysée et le nouveau patron. Présider EDF, c'est tout un équilibre à trouver entre le modèle du service publique de l'énergie à la française et la concurrence voulue en Europe, l’articulation entre une société du CAC 40 et une entreprise publique, un arbitrage entre la demande de fournir des dividendes à l’Etat et celle d'investir pour répondre aux demandes du gouvernement...
Moi, Président d'EDF, je serai pilote de la transition énergétique tout en prolongeant mon nucléaire
Au grand dam des associations écologistes, la loi de transition énergétique, écrite par Ségolène Royal, ministre de l’Ecologie, du développement durable et de l’Energie, laisse une grande marge de manœuvre à EDF. Selon l’article 55, il y a "obligation pour les exploitants d’installations de production dont le poids dépasse le tiers de la production électrique totale d’établir un plan stratégique présentant les actions qu’ils s’engagent à mettre en œuvre pour respecter les objectifs de diversification de la production d’électricité fixés dans la programmation pluriannuelle de l’énergie". Or des acteurs produisant un tiers de l’électricité en France, il n’y en a qu’un : EDF.
Si l’électricien a toute latitude pour gérer l’évolution de son parc de production, il le fera dans un cadre contraint par le plafonnement de la puissance nucléaire et par la diminution de la part du nucléaire de 75 à 50 % d’ici 2025. Quand l’EPR de Flamanville (Manche) ouvrira, EDF devra fermer un ou deux réacteurs. Même si Emmanuelle Cosse, la patronne des Verts, assure que ce sera Fessenheim, conformément à la promesse présidentielle de 2012, Ségolène Royal assure que l’électricien aura le choix. En plus de cette première ambiguïté, EDF devra abaisser la part du nucléaire tout en continuant le grand carénage [prolongation de la durée de vie des réacteurs de 40 à 50, voire 60 ans], plan de 55 milliards d’euros déjà largement engagé, puis la société devra initier le remplacement des premiers réacteurs qui arriveront en fin de vie.
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Moi président d'EDF, je ferai face à la dérégulation des marchés de l'énergie tout en conservant ma prédominance
Ce n’est pas le sujet le plus médiatique. Pourtant, Jean-Bernard Levy prend ses fonctions à un moment très particulier. Fin 2014, les tarifs réglementés pour tous les consommateurs de gaz non particuliers vont disparaître et, fin 2015, ce sera au tour des tarifs réglementés de l’électricité. La fin de ses tarifs "protégés et garantis" sert la demande de Bruxelles d’ouvrir le marché de l’énergie en France. Une nouvelle donne qui va nécessairement pousser nombre de clients d’EDF à voir si l’herbe est plus verte ailleurs.
Dans le même temps, EDF est en pleine négociation sur le prix de l’Arenh (Accès régulé à l’électricité nucléaire historique) pour 2015. Il s’agit de la part d’électricité d’origine nucléaire qu’EDF doit vendre à ses concurrents fournisseurs à prix coûtant. Un tarif qui prête à débat. Ce contexte de dérégulation inquiète les syndicats d’EDF qui y voient une mise en danger de l’entreprise. "Il ne faut pas détruire la péréquation tarifaire. EDF est une épine dans le pied de ceux qui veulent libéraliser l’énergie en Europe. Le véritable objectif est de s’attaquer au service public de l’énergie, EDF !", assure Marie-Claire Cailletaud, porte-parole de la CGT-Mines-Energie. Or, assurer une bonne coopération avec les syndicats et la paix sociale au sein d’EDF a été l’une des missions des patrons du groupe. Henri Proglio y est parvenu et a placé la barre très haut pour son successeur Jean-Bernard Lévy.
Moi président d'EDF, j'investirai dans mes barrages hydrauliques sans être sûr de les conserver
Depuis 5 années, la question du devenir des barrages hydroélectriques est un point d’interrogation du système électrique français. Bruxelles impose à la France de mettre en concurrence 20 % des concessions de barrages, dont plus de 80% sont exploitées par EDF. La loi de transition énergétique prévoit la création de sociétés d’économie mixte (SEM) détenues majoritairement par l’Etat, le reste par des sociétés privées. Cette solution déplaisait fortement à Henri Proglio qui, auditionné par la commission spéciale sur la loi de transition énergétique, expliquait que "les SEM ont beaucoup de défauts et pas beaucoup de qualités. L'hydroélectricité n'est pas qu'un moyen de production. C'est aussi un moyen d'optimisation du système électrique. Si on ne le prend pas en compte, on oublie l'essentiel de sa valeur. Un des sujets est de savoir jusqu’où nous irons dans la concurrence et la désoptimisation !".
Jean-Bernard Lévy va devoir préparer l’échéance de cette mise en concurrence, tout en achevant dans le même temps le plan SuperHydro. Il s’agit d’un plan d’optimisation de la sûreté et de la performance des installations hydrauliques dont le montant s’élève à 900 millions d’euros sur la période 2007-2015.
Moi président d'EDF, je maintiendrai la cohérence de la filière nucléaire à l'export tout en m'associant avec des étrangers
En 2010, la publication du rapport Roussely sur l’avenir de la filière nucléaire préconisait de faire d’EDF le chef de la filière nucléaire française. Depuis quatre ans, tout a été fait dans ce sens. L’illustration fut éclatante lors du Bourget du Nucléaire, le World Nuclear Exhibition qui s’est déroulé du 14 au 16 octobre 2014. Même si Henri Proglio y a perdu son poste, l’électricien était clairement présenté comme le leader de la filière tricolore. Le problème est que si EDF doit entrainer avec lui tous les acteurs de la filière, le marché international change et pousse à s’associer avec des acteurs étrangers.
En Grande-Bretagne, la construction des deux EPR par EDF a nécessité l’entrée au capital du projet d’industriels chinois à hauteur de 30 à 40 %. Les observateurs du WNE n’ont d’ailleurs pas manqué de noter les liens forts qui existent entre EDF et les électriciens chinois. Pourtant, début 2013, EDF se faisait taper sur les doigts par le gouvernement pour s’être engagé dans des coopérations avec ces mêmes acteurs pour développer un réacteur de 1000 MW. Résultat : face aux atermoiements français, les chinois ont avancé seul et ont certifié leur premier réacteur de 3e génération. Les acteurs français œuvrent maintenant à reprendre une place sur ce projet, en particulier à l’export.
Moi président d'EDF, je devrai rester une machine à cash de l'état tout en investissant dans la transition
Lorsqu’il faisait valoir son bilan, Henri Proglio n’hésitait pas régulièrement rappeler les massifs dividendes que la société verse à son principal actionnaire, l’Etat. En distribuant plus de 60 % de ses bénéfices (soit 10 points de plus que la moyenne du CAC 40), l’électricien verse un peu plus de deux milliards d’euros par an à l’Etat.
Dans le même temps, le groupe est régulièrement débouté pour ses demandes de hausses des tarifs de l’électricité. Et Ségolène Royal attend que l’essentiel du financement de la transition énergétique (dont le coût total reste à estimer) vienne des entreprises privées. Préserver les marges du groupe tout en accroissant ses investissements (12,2 milliards d’euros en 2013), tel va être l’un des équilibres les plus difficiles à définir pour Jean-Bernard Lévy… même si au ministère de l’Ecologie, on a conscience qu’on ne peut pas tout demander à EDF.
Ludovic Dupin
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