Autant le dire tout de suite, le film "Grand central" fait débat à la rédaction. Mon collègue qui suit l’actualité des technologies à L’Usine Nouvelle n’a pas accroché. Personnellement, j’ai adoré. Je n’ai pas réussi à le convaincre mais il me reste d’autres catégories de spectateurs à persuader. Car le dernier film de Rebecca Zlotowski peut trouver des afficionados. Ceux que le monde du nucléaire fascine, ceux que les relations de travail passionnent, les clients des histoires d’amour passionnées et compliquées. Et pour ceux qu’aucun de ces thèmes n’attire, il reste l’image sublime du directeur de la photographie du film, Georges Lechaptois.
Le film se passe donc dans la petite communauté des intérimaires du nucléaire. Ces travailleurs se déplacent et transhument aux quatre coins de France, suivant les arrêts de tranche des 58 réacteurs de nos 19 centrales, pour y effectuer les travaux de maintenance. La scénariste a été inspirée par le court roman d’Elisabeth Filhol, "La centrale", paru en 2010, qui levait le voile sur ces salariés. Des sous-traitants au statut précaire, installés au camping, et selon les mots de l’un des personnages du film, de vrais "galériens", alors que les salariés d’EDF sont présentés comme les "aristocrates" du nucléaire.
Mais au sein des galériens, on a le sens de sa mission et pour être un sous-prolétariat, ils n’en sont pas moins parfaitement conscients des responsabilités, des risques et des enjeux de leur mission. D’où de très intéressantes scènes sur la culture des relations de travail dans le nucléaire où chacun dépend de l’autre, de la précision de ses gestes, de la solidarité des actions qui permet d’enchaîner les opérations les plus dangereuses. Le chef d’équipe incarné par Olivier Gourmet y est particulièrement convaincant. Autour d’eux rode… la dose. Invisible, impalpable, dangereuse, la dose radioactive mesurée chaque jour grâce à un petit appareil portatif, posé sur la poitrine de chacun. La dose il faut la surveiller en permanence. Dépassé, le salarié est hors jeu ; plus de job, éjecté de la communauté.
Deux doses toxiques
Cette dose de radioactivité, c’est celle que le héros, Gary, incarné par Tahar Rahim, est prêt à braver au-delà du soutenable car, en même temps qu’il s’intoxique à l’atome, il est contaminé par une passion tout aussi dangereuse, voire toxique. Celle qu’il éprouve pour la femme d’un de ses collègues, Karole (Léa Seydoux). La petite bimbo du camping pense maîtriser cette dose de passion et puis finalement, ce n’est pas si simple, et elle s’expose comme son amant à la brûlure d’un désir contrarié par le groupe, le couple, et tout ce qui pourrait amener de la permanence dans sa précarité.
Enfin, au-delà de l’intérêt et de la justesse du scénario où courent l’amour, la mort et l’amitié, il faut souligner la beauté formelle des images. Elle se joue dans une perspective inversée. Les scènes d’intérieur, dans la centrale monumentale, sont marquées par le gigantisme, alors que les scènes d’extérieur, au bord du fleuve, dans la forêt, sont au contraire empreintes d’intimité, de douceur. Comme celle, sublime, où les deux amants filent sur l’eau dans une barque, de nuit, dans une obscurité un peu iréelle.
Anne-Sophie Bellaiche
07/09/2013 - 19h31 - BOB
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