A Togliatti, Renault croit en la renaissance de son allié russe Avtovaz
Amélioration de la qualité et des performances de l’outil industriel, renouvellement de la gamme en cours, transformation de l’image des Lada… Le travail opéré sur Avtovaz permet au groupe Renault de croire au potentiel de croissance du fabricant des Lada sur le marché russe et au-delà. Mais les défis restent encore nombreux à relever.
Au sommet de l’immeuble bleu réservé à l’administration d’Avtovaz, d’où l’on bénéficie d’une vue panoramique sur les 600 hectares de la gigantesque usine de Togliatti (sud-est de la Russie), l’équipe dirigeante du constructeur russe – issue pour partie des rangs de Renault – affiche un certain enthousiasme. Les résultats récents s’y prêtent. Après avoir enregistré une nouvelle perte nette record de 710 millions d’euros en 2016, le fabricant des emblématiques voitures Lada a atteint l’équilibre au cours du premier semestre 2017. "Une très bonne nouvelle", glisse Nicolas Maure, appelé à la rescousse en avril 2016, après trois années passées comme PDG de la marque roumaine Dacia.
Avtovaz voit-il enfin le bout du tunnel ? Au sein du groupe Renault, qui a racheté la semaine dernière les 9,15% de parts détenues par son allié Nissan, on veut croire que les efforts commencent à payer. Non sans raison. En neuf ans, le groupe Renault a investi plus d’un milliard d’euros pour redresser l’entreprise, dont il détient indirectement 53% du capital avec l’équivalent de l’agence des participations de l’Etat russe, Rostec. En comparant au cas Dacia, Nicolas Maure admet que les besoins pour Avtovaz pourraient excéder à terme les plus de 2 milliards d'euros nécessaires à la remise sur pied de la marque roumaine.
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Des effectifs divisés par trois
On est loin du scénario idyllique de 2008. A son entrée au capital du constructeur russe, le Français au Losange y voit en effet une source d’opportunité, avec un groupe leader du marché et un marché russe au fort potentiel. Mais, entre la crise économique mondiale, et celle du rouble qui sévit actuellement, les ventes d’automobiles en Russie s’effondrent. Entre 2009 et 2008, le marché est divisé par deux – de 2,76 millions de véhicules à 1,376 entre 2008 et 2009, puis de 2,358 millions à 1,507 entre 2015 et 2016. Dans un secteur automobile sinistré, les problèmes structurels d’Avtovaz s’affichent alors au grand jour.
Premier chantier engagé par le prédécesseur de Nicolas Maure, Bo Andersson, ancien militaire suédois venu des rangs de General Motors et premier non-russe à la tête d’Avtovaz : couper dans les effectifs. Le choc est brutal. Plus de 100 000 salariés travaillent pour Avtovaz en 2009. Ils ne sont plus que 36 300 à l’heure actuelle. C’est sans doute ce dossier, "réalisé dans des conditions un peu voyantes par rapport à la responsabilité citoyenne à Togliatti", admet à demi-mot Nicolas Maure, qui coûtera à Bo Andersson son poste. Message reçu par son successeur. Lui aussi doit composer avec des services de sécurité très… investis sur les divers sujets animant l’entreprise, de la gestion des fournisseurs à celle de vols dans les ateliers, qui restent encore un fléau. Les pouvoirs publics russes veillent sur leur ancien fleuron de l’automobile.
Qualité et productivité
Au sein de l’immense usine de Togliatti, dont les allées proprettes serpentent à perte de vue, de nombreux tableaux rappellent les exigences de qualité sur les murs. Suspendues au plafond, des affiches géantes célèbrent de leur côté les performances des meilleurs salariés. Objectif: impliquer le personnel et lui rappeler constamment les règles, afin de faire remonter la qualité des véhicules qui sortent chaque jour des lignes de production.
C’est là un des points noirs des Lada. Les plaisanteries sur le sujet ne manquent pas dans les villes et campagnes russes… "Sur le plan de la qualité, seule une ligne d’assemblage de véhicules, sur trois, n’a pas un niveau de qualité équivalent à celui de Renault", tient toutefois à rassurer Ales Bratoz, en charge de la production et de la supply chain chez Avtovaz. "Quant à notre deuxième site d’Izhevsk (au nord de Togliatti), il présente également un niveau de qualité identique à celui du groupe".
Progressivement, les différentes lignes de production "se mettent aux standards de l’Alliance", comme le répètent à l’envi les chefs des différents ateliers de Togliatti. En 2012, la ligne B0 – dite "B zéro", et qui produit des Lada, mais aussi des Renault et Nissan – a pu être déployée grâce au concours d’une centaine d’expatriés dépêchés par Renault en Russie, rappelle Denis Le Vot, directeur de la région Eurasie pour le groupe. Grâce à un investissement de 400 millions d’euros, elle fait désormais office de démonstrateur en vue d’étendre les méthodes de l’Alliance à l’ensemble du site de Togliatti.
Mais les progrès restent encore nombreux pour obtenir un outil industriel performant. La productivité en Russie demeure, pour l’heure, inférieure de 20% en moyenne par rapport à celle de l’Alliance Renault-Nissan. Il faudra ainsi trois à quatre ans pour recoller au niveau moyen du groupe, prévoit Nicolas Maure. Vidées de leurs salariés, les immenses chaînes de production tournent aussi au ralenti. Seules 312 000 voitures sont sorties de Togliatti en 2016, alors que la capacité de l’usine tutoie les 650 000 unités. Avtovaz espère que d’ici 2023, le site de Togliatti ainsi que celui d’Izhevsk tournent à pleine capacité en trois équipes, avec un million de véhicules produits au total.
Renouvellement de la gamme
Le travail se fait aussi avec les fournisseurs. La direction du fabricant des Lada déploie la méthode "Monozukuri" avec eux, afin de pouvoir optimiser le coût tout en gagnant en qualité. Il s’agit également de continuer à améliorer le taux d’intégration locale, "essentiel face à la volatilité de la monnaie russe", détaille Denis Le Vot. Celui-ci atteint déjà près de 86% pour la production des Lada, mais n’est "que" de 70% si l’on prend en compte l’ensemble des véhicules de l’Alliance.
Au-delà du volet industriel, Avtovaz a engagé le renouvellement complet de sa gamme, dont les véhicules sont autant d’héritages de l’ère soviétique. La Granta, la plus vendue des Lada actuellement, date de 2011, tandis que la Niva, toujours en vente, a été commercialisée pour la première fois en 1977 ! L’heure presse. Nicolas Maure a d’ores et déjà hérité de deux nouveaux véhicules voulus par son prédécesseur. La berline Vesta et le SUV XRay ont été lancés respectivement en novembre 2015 et en février 2016. Le design a au passage été totalement réinventé, sous la houlette de Steve Mattin, ancien de Daimler et Volvo, afin de rajeunir notamment la marque.
La recette semble porter ses fruits. Au cours des huit premiers mois de l’année, la Vesta s’est installée à la troisième place des ventes russes – presque 48 000 exemplaires vendus –, juste derrière la Kia Rio et l’indéboulonnable Lada Granta. La XRay écope de son côté de la neuvième place avec 20 800 unités écoulées. Une bonne surprise, d’autant plus que ces deux nouvelles voitures s’inscrivent dans une volonté de montée en gamme, comme le souligne Denis Le Vot. Mais l’évolution reste toute relative: les deux voitures coûtent autour de 8 800 euros. Au total, entre 2020 et 2026, dix nouveaux véhicules sont prévus ainsi que sept renouvellements de modèles existants dans des gammes de prix accessibles pour le consommateur russe.
Faire une "marque moderne"
Un mouvement accompagné par un travail sur l’image de la marque Lada. "Nous voulons en faire une marque moderne", éclaire Jan Ptacek, directeur ventes et marketing. Depuis trois ans, fleurissent des spots publicitaires à l’image volontairement jeune et vantant les mérites du nouveau Lada. La marque a tout à gagner: les enquêtes évaluant les intentions d’achats pour les trois ans à venir font de Lada l’avant-dernier candidat sur sept, avec seulement 16,4% d’intention contre presque 60% pour le premier… Mais "l’arrivée dans le parc automobile des nouveaux Lada y contribuera, ainsi que le dynamisme de notre activité Motorsport et le renouvellement du réseau de concessionnaires", veut y croire Nicolas Maure.
Le changement est visible sur le plan des parts de marché. En 2016, Avtovaz a hérité d’une part de 19,7%. Un progrès après le creux de 2014 où le groupe dépassait difficilement les 16%. "Nous souhaitons désormais installer solidement Lada comme leader du marché en Russie avec une part de marché de 20% au minimum", martèle Nicolas Maure. D’ici 2018, le constructeur ambitionne également d’atteindre l’équilibre sur le plan financier, puis de dégager une marge opérationnelle supérieure à 5% à partir de 2021, en surfant sur le redémarrage du marché russe.
De quoi permettre de consolider la marque sur le créneau du low cost au pays des tsars: "Nous voulons avoir un positionnement complémentaire à celui de Renault, ce qui signifie évidemment que nous adopterons un positionnement plus bas même si nous ne nous interdisons pas de grimper un peu dans les niveaux de prix", ajoute le PDG d’Avtovaz. Sur le plan de l’export, le groupe vise dans une deuxième phase à (re)conquérir les pays périphériques comme le Kazakhstan et la Biélorussie, mais également des anciens pays "amis" sous l’ère soviétique en Amérique Latine… comme Cuba.
A Togliatti, Julie Thoin-Bousquié
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