A l’image d’E.ON, l’Europe est prise entre les deux mondes de l’énergie

E.on va se scinder en deux sociétés spécialisées. D’un côté, les énergies renouvelables, de l’autre les énergies thermiques traditionnelles. Cette décision met en exergue un monde de l'énergie bipolaire qui est désormais établi en Europe. La refonte du groupe allemand interroge sur la capacité des énergéticiens classiques à se développer dans ce nouveau monde.

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A l’image d’E.ON, l’Europe est prise entre les deux mondes de l’énergie

E.on, le premier électricien allemand, vient de donner un grand coup de pied dans la fourmilière énergétique européenne. Le lundi 1er décembre, son PDG, Johannes Teyssen, annonçait la scission pure et simple de son entreprise. E.on conservera 40 000 des 60 000 salariés du groupe et toutes les activités liées aux énergies renouvelables, efficacité énergétique et réseaux intelligents. Les 20 000 salariés restants seront regroupés dans une nouvelle société, sous le contrôle des actionnaires d’E.on. Cette nouvelle entreprise récupérera les activités traditionnelles : charbon, gaz, nucléaire, trading et exploration. Cela représente environ 50 GW de puissance, soit un peu moins que l’équivalent du parc nucléaire français. Cette opération massive s’accompagne de 4,5 milliards d’euros de dépréciations d’actifs et 2,5 milliards d’euros de cessions.

Nous avons assisté à deux grands types de réactions, parfois caricaturales, après l’annonce d’E.on. Les premiers se réjouissent de voir un des plus grands énergéticiens européens "se débarrasser de l’ancien monde (énergie fossiles et nucléaire) pour aller vers les nouvelles technologies". L’électricien semble enfin embrasser pleinement l’EnergieWende (la transition énergétique allemande), qui vise un système zéro nucléaire en 2025 et 80 % de renouvelables en 2050. Les seconds y voient le signe d’une entreprise abîmée par le choix allemand de sortir de l’atome. Il ne tient plus le choc face à la déstabilisation des marchés de l’électricité sous l’effet du développement massif des énergies renouvelables. La réalité se situe sans doute entre ces deux extrêmes. E.on s’engage réellement sur la voie du futur… mais sous la contrainte avec une diminution des effectifs de 20 000 personnes et une perte de capitalisation boursières de deux tiers en cinq ans.

70 GW de gaz à fermer

Pour Nicolas Goldberg, analyste chez Colombus Consulting, la décision d’E.on "est une réponse cohérente et ambitieuse face à un monde bicéphale. Or les deux encéphales ne peuvent plus cohabiter. L’Europe a cru pouvoir faire vivre main dans la main un monde de l’énergie qui répond à la loi du marché (les énergies traditionnelles, ndlr) et un autre monde qui n’y répond pas (renouvelables, ndlr)", ajoute-t-il. Un des ponts entre ces deux mondes aurait dû être le prix du carbone. Ses cours sont dérisoires. Résultat, la surproduction européenne de renouvelables, liée à l’atonie économique du continent, met à genoux les énergies traditionnelles, pourtant nécessaires à la stabilité du réseau électrique. La conséquence la plus visible est la fermeture en masse des centrales à gaz devenues non rentables. "Les dix plus grands électriciens européens vont fermer ou mettre sous cocon 70 GW de centrales thermiques", affirmait le 3 décembre Gérard Mestrallet, PDG de GDF Suez, lors du forum énergie de Paris-Dauphine.

Face à ce monde double, la question se pose. Le modèle actuel des grands énergéticiens est-il viable et va-t-il laisser la place à un monde d’acteurs et d’énergies décentralisés ? "Ce que vivent actuellement les énergéticiens, comme E.on, n’est pas sans rappeler le monde ferroviaire des années 50. Lorsque l’automobile s’est démocratisée, de nombreuses lignes de trains régionaux ont disparu. Dans ce monde, la question de la pertinence des modèles d’EDF, E.on, Enel se pose…", explique Vincent Rious, expert énergie et régulation chez le cabinet Microeconomix. A l’inverse, Nicolas Goldberg assure que "le modèle des utilités va durer encore longtemps car les grands projets d’énergie renouvelable, comme l’éolien offshore, demandent de gros capitaux".

GDF Suez anticipe et EDF résiste

En fait, la question de l’adaptation des utilités se pose au cas par cas. Le premier électricien mondial, EDF, concentré sur le plus dur des marchés - l’Europe -, n’a pas souffert de la crise comme ses homologues. Le nucléaire qui n’a connu aucune dépréciation l’a protégé. Pire ! Alors que ses concurrents ferment des actifs gaziers à la chaine, EDF a investi dans trois nouveaux cycles combinés gaz ces dernières années.

La situation est différente pour GDF Suez qui a mis sous cocon de nombreuses centrales en Europe et a même déprécie 14,9 milliards d'euros d’actifs en 2014. Depuis deux ans, le PDG a entamé une mue stratégique de sa société pour s’adapter à la bipolarité de l’énergie européenne. Il n’a pas coupé son groupe en deux sociétés, mais a réalisé une véritable césure géographique. Gérard Mestrallet aime dire que "GDF Suez est le spécialiste des services à l’énergie en Europe et l’électricien de référence sur les marchés en croissance".

Mais le groupe énergétique français n’a pas abandonné le combat en Europe puisque Gérard Mestrallet est à la tête du groupe Magritte qui réunit onze des plus grands énergéticiens européens. D’une seule voix, ils appellent l’Europe à établir des règles énergétiques capables de garantir à l’Europe sa sécurité d’approvisionnement, sa compétitivité et la lutte contre le changement climatique… Bref à réunir les deux mondes l’énergie qui ont de plus en plus de mal à parler le même langage.

Ludovic Dupin

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