3 questions sur l’amende record infligée à Google par la Commission européenne
La Commission européenne a infligé le 18 juillet à Google une amende record de 4,34 milliards d’euros. En cause : un abus de position dominante de Google sur différents marchés, dont celui des systèmes d’exploitation pour smartphones sur lequel elle est présente au travers d’Android. L’Usine Nouvelle a interrogé Charles Terdjman, expert en droit de concurrence et collaborateur senior au sein du cabinet d’avocats Gide Loyrette Nouel. Décryptage.
L'Usine Nouvelle - En quoi la décision de la Commission européenne est-elle historique? Pourrait-elle créer un précédent?
Charles Terdjman - Cette décision est plus historique de par son montant que par la nature des pratiques en cause. De telles pratiques, notamment la mise en œuvre de ventes liées, ont déjà été sanctionnées dans le passé, comme par exemple à l’encontre de Microsoft qui imposait sur les ordinateurs équipés des systèmes Windows une pré-installation de son logiciel Windows Media Player ou encore de son navigateur Internet Explorer. L’une des pratiques reprochées à Google, à savoir le fait d’imposer aux fabricants de téléphones mobiles la pré-installation de l’application Google Search et de l’application Google Chrome, comme des prérequis pour avoir accès au magasin d’applications Google PlayStore, renvoie donc notamment à ces précédents concernant Microsoft.
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En revanche, c’est l’une des premières fois que la Commission s’attaque au marché des OS mobiles et l’approche qui a été retenue s’agissant de la définition de ce marché est donc plus particulièrement intéressante.
Au-delà du fond du dossier, le plus marquant reste le montant de la sanction : 4,34 milliards d’euros, alors que le précédent record d’amende - qui concernait déjà Google l’an dernier - était de l’ordre de 2,4 milliards. En l’espace d’un an, il a donc été quasiment doublé. Et si on remonte un peu plus en arrière, le record était précédemment d’environ 1 milliard, à l’encontre d’Intel. On voit donc qu’en seulement deux ans et deux décisions contre Google, les records d’amende ont été pulvérisés.
Ceci s’explique par la taille de Google et le chiffre d’affaires généré par les pratiques sanctionnées. Il faut d’ailleurs mettre ce montant en perspective avec le plafond légal qui existe en matière d’amende en droit de la concurrence, à savoir 10% du chiffre d’affaires mondial du groupe, ce qui portait le risque théorique d’amende à un montant encore nettement supérieur. Ce niveau record d’amende s’explique aussi certainement par un objectif de dissuasion s’agissant de possibles nouveaux comportements anticoncurrentiels de Google. A cet égard, il faut avoir en tête qu’une autre enquête est toujours en cours devant la Commission européenne, cette fois concernant ses activités de régie publicitaire. C’est donc un message fort qui est adressé à Google, et peut-être aux autres GAFA.
Il s’agit d’un montant record. Pensez-vous que Google fera appel ?
Oui. Google a déjà annoncé par le biais du compte Twitter de son porte-parole, Al Verney, que l’entreprise fera appel. Google avait deux mois pour le faire et n’a donc pas tardé à réagir. Cet appel se fait devant le Tribunal de l’Union européenne. Compte-tenu de la complexité de l’affaire, la procédure risque d’être assez longue et on peut s’attendre à un minimum de deux à trois ans avant qu’une décision ne soit rendue par le Tribunal. Cette dernière pourra alors elle-même faire l’objet d’un pourvoi, soit par Google s’il n’est pas satisfait de la décision rendue, soit par la Commission européenne si à l’inverse le Tribunal fait droit à la demande de Google. Le pourvoi est formé devant la Cour de Justice de l’Union européenne.
"Au-delà de la garantie bancaire, Google a trois possibilités pour échapper au paiement de l’amende ou pour le moduler"
Google aurait-il le moyen de ne pas payer l’amende en intégralité, et comment ?
Par principe, l’appel n’est pas suspensif. Google reste tenu du paiement de l’intégralité de l’amende mais plusieurs voies lui sont offertes.
La première est que Google peut constituer, parallèlement à son recours au fond, une garantie bancaire exécutable à première demande destinée à garantir à la Commission européenne le paiement de l’amende, sans avoir à effectivement payer cette amende à la Commission tant qu’une décision définitive n’est pas intervenue...
Au-delà de la garantie bancaire, il existe trois possibilités pour échapper au paiement de l’amende ou pour le moduler. La première consiste à faire valoir auprès de la Commission européenne que l’entreprise sanctionnée n’a pas la capacité contributive pour payer l’amende, en raison par exemple de difficultés financières. Cette première voie est donc très improbable s’agissant de Google, qui vient de publier ses résultats financiers (un chiffre d’affaires d’environ 100 milliards d’euros, pour un bénéfice de près de 10 milliards d’euros).
Une deuxième possibilité, toute aussi compliquée à obtenir, consiste à introduire une demande en référé devant le Président du Tribunal de l’Union européenne pour obtenir un sursis dans l’exécution de la décision. La difficulté ici qu’il faut remplir des conditions rarement réunies : démontrer l’urgence (les dommages graves et irréversibles en cas de paiement de l’amende) et le bien-fondé prima facie des moyens soulevés au fond dans le cadre de l’appel. Là encore, cette voie procédurale semble peu propice pour Google.
La troisième voie, plus vraisemblable en l’espèce, consisterait à demander un échelonnement du paiement de l’amende auprès de la Direction Générale de la Commission européenne en charge du Budget, généralement sur une période de trois à cinq ans, parfois plus.. Sa contrepartie est que Google aurait des intérêts à supporter, et il serait nécessaire de présenter à la Commission une garantie bancaire couvrant l’ensemble de l’amende, principal et intérêts.
Propos recueillis par Intissar El Hajj Mohamed
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