"180 jours", le roman d’une crise morale qui guette l’élevage industriel

Et si ce n’était pas une crise de compétitivité mais une crise morale qui menaçait à long terme la filière porcine bretonne. Quand la littérature se mêle d’élevage industriel, ce ne sont plus seulement des animaux qui souffrent mais surtout des hommes.

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L’élevage industriel est en perte de compétitivité en France. En particulier la filière porcine qui a mis les nerfs de la Bretagne à vif et poussé le gouvernement à débloquer un milliard pour la renflouer. Mais il faut se demander si au final, au-delà de la crise de compétitivité, de la crise économique, de la crise de nerf ce n’est pas une crise morale qui va submerger cette industrie. Car ce ne sont plus seulement les économistes qui se penchent sur ce secteur, ni quelques groupes de pression de défenseurs du bien-être animal mais des penseurs, des artistes, des cinéastes, des romanciers. Leurs moyens d’actions : des documentaires, des essais et maintenant des romans. Hors la littérature est une matière explosive. Le roman d’Isabelle Sorente "180 jours" publié en septembre dernier est une bombe à fragmentation. Il remue jusqu’au fond des tripes même les spécistes de la pire espèce, comme l’auteur de ces lignes, qui n’ont aucun problème à mettre l’homme en tête de la hiérarchie des êtres vivants.

Son ouvrage parait deux ans après l’enquête méthodique de l’américain Jonathan Safran Foer "Faut-il manger des animaux ?" (un best-seller aux Etats-unis) et 15 ans après que la philosophe française Elisabeth de Fontenay ait décortiqué la question dans son célèbre essai "Le silence des bêtes". Isabelle Sorente n’aborde le sujet ni par l’enquête (quoique son ouvrage soit fort bien documenté), ni par la philosophie mais par l’intime. Elle s’adresse à l’âme. 180 jours, c’est le temps que "vit" un cochon de sa naissance à l’abattoir. Son roman met en scène un jeune professeur de philosophie, bouffeur de viande sans complexe, confronté à la réalité de l’élevage industriel pour préparer un séminaire sur l’animal. Ce prof donc, dénommé Enders, décide de se documenter en se rendant dans l’élevage d’une petite bourgade bretonne. Ce voyage va bouleverser sa vie. Car ce qu’il y trouve c’est un système qui ne broie pas seulement des cochons mais aussi des hommes.

Le martyre de ces animaux ramené à la condition de viande (très provisoirement sur pattes) fait remonter à la surface les propres souvenirs d’un épisode douloureux de son enfance où il a été réduit à l’état de chose. Il noue une amitié improbable avec un porcher, surnommé Camélia qui sent son humanité se vider à force de devoir nier la simple idée qu’un élan vital puisse habiter ses cochons. Il y a là aussi Laurence, Jean-François et Legai, le patron de l’élevage. Plus le professeur est proche d’eux plus il s’éloigne de sa femme, de ses amis parisiens, de son directeur de département qui l’a envoyé dans cet enfer. Coupé de tous ceux qui ne savent pas ce qui se passe vraiment dans les sept bâtiments de cet élevage où le cycle infernal insémination, sevrage, engraissement, abattage se poursuit sans fin. Un jour Enders donne un nom à une des truies de l’élevage, elle a les yeux cerclés de noirs comme maquillée, il la baptise Marina et là tout bascule. Nommer c’est faire exister, mettre en mots, en phrases, en histoires une industrie c’est le choix qu’a fait Isabelle Sorente. Le philosophe et le porcher deviennent des frères, les truies sont leurs sœurs, leurs cousines, leurs mères. Et à la fin le lecteur n’a plus tellement envie de manger du jambon.

Anne-Sophie Bellaiche

"180 jours" d’Isabelle Sorente aux éditions JC Lattès. 460 pages, 20 €.

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